jeudi 28 août 2008
Médias
posté à 19h19, par
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Quand le nouvel animateur vedette des matinales d’Europe 1 décide de marquer son territoire, le sordide n’est jamais loin. A l’image de l’insoutenable interview commise mercredi, qui donna l’occasion à Fogiel de se payer un scoop béton en obtenant des parents du petit Valentin, assassiné au début de l’été, leur premier témoignage depuis leur rencontre avec Sarkozy. Verdict : simplement vomitif.
Depuis qu’il a posé la main sur l’antenne d’Europe 1, en charge de redresser des audiences sévèrement entaillées, Alexandre Bompard sort le grand jeu. Pour l’ancien patron des sports de Canal +, sarkozyste affiché, la télévision reste le modèle dominant, de sorte qu’il s’est employé durant l’été à un recrutement très hertzien - de Michel Drucker à Alexandre Ruiz. Sans oublier l’incomparable Marc-Olivier Fogiel, ex-petit prince de la putasserie made in M6, qui déboule sur les ondes avec la ferme intention de ne pas faillir à son fier pedigree. Relevons en passant qu’en matière d’informations, Europe 1 ne recule devant aucune audace : le matin, c’est Fogiel ; le midi, c’est Morandini. Applaudissements.
On s’attendait au pire, on était encore loin de la vérité. Après deux jours d’un rodage légitime, la belle mécanique « fogielienne » s’est mise en route mercredi matin, donnant à entendre ce que l’on eût préféré ne jamais écouter, versant sans vergogne dans l’habituel fossé de crasses impudeurs et de fausses retenues qui font le cuir de ce professionnel hors pair. Les deux semelles campées dans la détresse humaine, la voix modulée à hauteur de la compassion inspirée par ses interlocuteurs, Fogiel s’en est allé1 exhumer avec une gourmande délectation le fait divers de l’été : l’assassinat, le mois dernier dans l’Ain, d’un garçonnet de onze ans par deux routards marginaux. Face à lui, les parents de la petite victime, « qui témoignent pour la première fois depuis leur visite à L’Elysée, jeudi dernier ».
On devine le vide prêt à s’ouvrir devant nous, un gouffre sans fond. Fogiel ne déçoit pas. Après avoir obtenu de la maman ses impressions après la rencontre avec Sarkozy2, il peut s’attaquer aux choses sérieuses, rogner l’os. Dents blanches. Carnassier.
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Fogiel : « Qu’est-ce que ça fait de mettre un visage sur l’horreur, Jean-Pierre et Véronique ? C’est un soulagement ou c’est encore plus dur ? »
La mère : « C’est encore plus dur. »
Fogiel : « Comme moi, vous avez pu lire des portraits des coupables présumés dans les journaux… »
La mère : « Quelque part, je me dis que ça ne m’étonne pas que ces gens aient pu commettre un acte pareil. De voir leur visage… ils ont la tête de l’emploi. Ils ont la tête de criminels. »
Fogiel : « Quand on s’est fait enlever son enfant de manière aussi sauvage, on peut admettre que le meurtrier soit considéré comme un malade ? »
La mère : « Dire que c’est un malade mental, je n’accepte pas. Il a prémédité son acte. »
Fogiel : « Vous redoutez qu’il ne soit pas condamné ? »
La mère : « Dans mon cœur, j’espère qu’il purgera sa peine. »
Fogiel : « Quand Rachida Dati a fait savoir que la procédure judiciaire serait engagée quel que soit l’avis des médecins, ça vous a rassurés ?3 »
La mère : « Oui, énormément. »
Fogiel : « Vous avez un autre fils, comment vit-il la disparition de son petit frère ? »
La mère : « Très mal. »
Fogiel : « Vous avez pu lire les conclusions du procureur. Si on a pu mettre la main sur le coupable présumé, c’est grâce au courage de Valentin qui ne s’est pas laissé faire et a obligé l’agresseur à laisser une trace ADN. Vous devez être fiers… »
La mère : « Pour nous, il restera un héros. »
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Relisez – si les haut-le-cœur ne vous en dissuadent pas : tout y est.
Les tentatives d’extorsion de larmes en passant le plat de questions seulement destinées à satisfaire les desseins abjects de Fogiel.
Le récit circonstancié, avec force précisions, du calvaire enduré par le petit Valentin4.
La contribution par le vernis émotionnel des victimes au recouvrement du débat sur les propos empressés de miss Dior.
Ainsi que la pipolisation effrénée du fait divers, jadis entreprise par la presse de caniveau et désormais empoignée par la télévision et la radio…
Chapeau l’artiste.
1 S’en est allé, oui, car en dépit d’une agile mise en scène donnant à penser que l’interview était réalisée en direct, l’ambiance sonore pourrie témoignait d’un enregistrement extérieur au studio probablement effectué la veille. Mais bon, l’illusion du direct contribuait ce matin-là à la spectacularisation du témoignage.
2 « Un immense privilège (…) Il a eu des mots très simples. Monsieur Nicolas Sarkozy est un président d’exception, un papa avant toute chose, et cette chaleur humaine (…) Il y a une humanité immense à L’Elysée », expliquera au micro la mère de Valentin
3 Lire ou relire sur le même thème le billet publié par Article 11 le 5 août dernier.
4 A ce sujet, un doute subsiste : « l’ambiance sonore » de l’enregistrement variait selon les questions de Fogiel et les réponses des parents ; au point qu’il est permis de se demander si les questions, telles qu’elles ont été diffusées à l’antenne, n’ont pas été enregistrées a posteriori, dans une version « enrichie » faisant office de compte-rendu complet du sordide fait divers destiné à mieux « informer » l’auditeur.