jeudi 21 août 2008
Sur le terrain
posté à 11h28, par
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Le fils du voisin, sourire béat et casque hi-fi sur les oreilles en permanence, vous paraît bien sympa sauf qu’un peu amorphe ? Ne le répétez pas, mais… c’est sans doute un usager de drogue. Pas un drogué à l’ancienne, qui roule des joints ou prend de la coke. Mais un du futur, qui télécharge ses doses sur internet et les consomme devant son PC. Place à l’idose, came légale et numérique !
Vous pouvez balancer votre nécessaire à rouler, jeter ce qu’il vous reste de cocaïne et effacer tous les numéros de dealer inscrits dans votre répertoire : la drogue de papa, c’est terminé… « The future is now », comme dirait l’autre et il est temps que les toxicomanes se mettent au diapason de la modernité. Qu’ils s’essayent à la drogue numérique, celle qui ne s’injecte pas. Ne se sniffe pas. Ne se fume pas. Mais s’écoute, casque audio sur les oreilles, après avoir été téléchargée.
Je vous vois venir… Vous vous dites, « Tiens, ils abusent des produits psychotropes, chez Article11 ? »Non. Enfin, un peu… Mais ce n’est pas la question… Parce que l’idose, cette drogue virtuelle qu’on croirait sortie d’un ouvrage de Philippe K. Dick ou du fantasme naïf d’un adolescent tentant d’imaginer le futur un soir de fumette, n’est pas une blague. Et ses adeptes, pour la plupart adolescents ou jeunes majeurs, se multiplient. Le quotidien américain USA Today en a d’ailleurs tiré un article sobrement intitulé : « Web delivers new worry for parents : digital drugs. » En un mot, ça craint grave… En France, le phénomène n’a pas encore eu les honneurs de la presse, mais il commence à être évoqué sur le net : un bref article vient de paraître sur Agora Vox, juste de quoi donner envie d’en savoir un peu plus.
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Du son ou de la drogue ?
Première surprise : l’idose n’est rien d’autre que du son. Soit un fichier musical qui se télécharge sur le net, s’utilise avec un logiciel adapté et s’écoute avec un casque. Le truc, c’est que ce fichier a été créé de façon à ce que vos deux oreilles ne perçoivent pas la même chose. En clair : des sons de fréquences différentes parviennent dans chacune de vos esgourdes. La différence entre ces deux fréquences agirait sur le cerveau, provoquant une modification de l’état de conscience.
« Le cerveau produit un phénomène résultant de basse fréquences de pulsations dans le volume d’une perception sonore lorsque deux tonalités sont présentés séparément aux oreilles d’un sujet, a l’aide d’écouteurs. Un son battant sera perçu, comme si les deux sons se mélangeaient naturellement, en dehors du cerveau. La fréquence des battements doit être inférieure a environ 1 000 à 1 500 Hz, pour que le battement soit perçu. La différence entre les deux traitements doit être faible (inférieure à 30 Hz) pour que l’effet se produise, sinon les deux tons seront entendus séparément et aucun battement ne sera perçu. »
Vous doutez ? Il y a de quoi… Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à y croire. En France, ils se retrouvent notamment sur I-Doser-X, première communauté des adeptes de l’idose. Lancé il y a un an par Skog, ce site non-commercial compte déjà 3 800 inscrits. Il se veut une plate-forme d’échange d’expériences pour tous les adeptes de l’idose, invités à y comparer les effets des plusieurs dizaines de fichiers (dits doses) en circulation.
« Ce site présente toutes les différentes doses proposées pour le logiciel I-Doser, précise la page d’accueil. Nous les avons testés pour vous, ainsi vous pourrez plus facilement comprendre chaque dose et en connaitre les effets. »
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Ça plane pour eux !
LSD, Trip, Ketamine, Marijuana, Alcohol, Cristal Meth, Heroin, Ecstasy, Opium, Cocaine, Divinorum, Black Sunshine, Peyote, Speed… C’est simple : les doses en circulation recoupent toutes les appellations recensées sur le marché des drogues réelles, plus quelques autres (Anesthesia, Orgasm, Out of Body, Gate of Hades, Rave…) Surtout, les utilisateurs parlent de ces doses de la même façon que les vrais toxicomanes des leurs.
« Après quelques longues minutes, je me suis senti planer, je me suis senti léger, très léger. (…) Je me sentais m’envoler très haut, rapidement, avec ce vent qui me propulsait dans les airs à une vitesse grand V. (…) A la fin de cette propulsion, tout était comme réel, j’avais l’impression d’être »en apesanteur« , je me sentais flotter dans les airs entre les nuages qui me chatouillaient le corps. Enfin (…) tout en me sentant super bien, j’ai commencé a être violent a l’intérieur, j’avais l’impression que ma tête allait exploser. J’avais super chaud et je tremblais comme un fou (…). A la fin, le son a diminué étrangement, puis j’ai eu l’impression de retomber dans mon lit lentement. Je me suis réveillé. »
Les récits de ce genre se comptent par dizaines. Ils finissent par laisser une étrange sensation, le lecteur ne sachant plus s’il est question de drogues réelles ou numériques. Comme dans cet autre post :
« Au début, rien ne s’est passé. Après dix minute, une sensation de froid s’est répandue dans ma ceinture abdominale, suivie d’un engourdissement général (…). Comme si tout instinct de survie m’avait quitté. J’avais envie de rester là toute ma vie. A la fin de la dose, je n’arrivais plus à me lever, je restais là à attendre (…). Conclusion : énorme, c’est l’une des dose qui m’a fait le plus planer. (…) Que l’esprit de la défonce soit avec vous ! »
La confusion entre la drogue numérique et son pendant réel semble volontairement entretenue. A l’exemple d’une utilisatrice qui, en réponse à un test du fichier Crystal Meth, évoque les dangers de la métamphétamine, drogue bien tangible qui fait des ravages aux Etats-Unis. Alors : fiction ou réalité ?
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De la bonne ?
Ok, les commentaires enthousiastes sont légions. Mais de nombreux utilisateurs se plaignent aussi de ne rien ressentir et jettent le doute. Pipeau, pas pipeau ? Effets tangibles ou auto-suggestion ? Difficile de savoir. Pour Skog, jeune homme de 19 ans qui a lancé le site I-Doser-X en juillet 2007, après avoir découvert les doses sur le site américain qui les commercialise, « ce n’est pas un placebo » : « Il faut juste respecter les conseils d’utilisation pour que ça marche. » Comprendre : une écoute du fichier au casque, immobile et dans l’obscurité, en restant concentré sur ce que l’on éprouve.
Si ça marche, quid des conséquences sur la santé ? Pas anodin, puisque la majorité des membres du site ont entre 16 et 18 ans, âge « où on cherche à pousser (ses) limites et à decouvrir de nouvelles choses », selon Skog. « Il existe des dangers. Un des anciens modérateurs du site peut en témoigner : il prenait trop de doses quotidiennes et sa santé s’est dégradée. En général, on se sent faible et fatigué lorsque qu’on écoute trop de doses (…). En ce qui me concerne, j’utilise de moins en moins I-Doser, précise l’administrateur3, par manque de temps et par égard pour ma santé. Si je me mets a écouter des doses tous les jours, je ne vis plus… »
Le forum d’I-Doser-X compte d’ailleurs un post consacré aux effets secondaires. Long de 12 pages, il évoque en vrac des cas de troubles de la concentration, de développement de l’anxiété, de confusion entre rêve et réalité, de coups de déprime et de fatigue générale. Retenez que l’abus d’idose peut être néfaste. Difficile d’en savoir plus en l’absence de toute étude sur la question.
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Un business rentable
Et les sous ? Pour le petit frenchie I-Doser-X, pas d’argent à la clé ; le site ne propose aucun fichier en téléchargement, que ce soit payant ou gratuit. Mais il en va tout autrement de I-Doser.com, boutique virtuelle montée par la compagnie qui met au point les doses, I-Doser Labs.
Ce site marchand ne fait pas vraiment dans la philanthropie : si le logiciel à utiliser est gratuit, ce n’est pas le cas des doses, vendues pour la plupart de 3 à 5 $ pièce. Sauf pour les fichiers réputés les plus puissants, beaucoup plus chers : Gates of Hade et Hand of God se refourguent à 199.95 $ pièce. Même si le fichier est ré-écoutable à volonté, il semble difficile que l’acheteur puisse en avoir pour son argent… A l’inverse de la société I-Doser-Lab qui revendiquait la vente de 10 000 fichiers de fin 2005 à fin 2006. Un succès mettant en joie son président, un certain Nick Ashton. « I-Doser is the first in the industry to refine and release simulated experiences to a mass audience. Our innovation and our dedication to quality shows true in our sales », se gargarisait en 2006 le petit malin.
La plupart des doses se dénichent pourtant gratuitement sur le net, pour peu qu’on fasse l’effort de chercher et qu’on se fiche de télécharger illégalement. Ce que la rédaction d’Article11, prenant tous les risques, n’a pas hésité à faire. Bref, on a testé. Et ? Ben… pour être franc, le résultat n’a pas été vraiment convaincant, à l’exception d’un bourdonnement tenace dans les oreilles et d’une très légère sensation de malaise. On n’a pas insisté. « Future is now », d’accord. Mais pas encore tout de suite non plus.
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Pour ceux qui souhaitent se faire une idée par eux-mêmes, il suffit de télécharger le fichier ci-dessous. Il comprend le logiciel et deux doses gratuites. Bon test, vous nous raconterez…
1 Cette image, ainsi que la suivante, est tirée de A Scanner Darkly, adaptation ciné du chef d’œuvre de Philippe K. Dick, Substance Mort. Le bouquin conte notamment (mais c’est beaucoup plus compliqué que ça…) les ravages de la substance M, une drogue à la fois numérique et chimique qui assèche littéralement le cerveau de ceux qui la consomment. Comme quoi…
2 Quelques fautes d’orthographe, de ponctuation et de concordance des temps ont été corrigées. C’est aussi le cas du test suivant.
3 Skog a été interrogé par MSN. On est moderne ou on l’est pas…