mercredi 9 septembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 13h14, par
25 commentaires
J’en frémis déjà, de bonheur anticipé et de ferveur combattante sur le point d’exploser. Chaud bouillant, je suis. Tant - même - que l’attente jusqu’au 7 octobre, date de la prochaine journée de mobilisation syndicale va être longue, très longue. Plutôt que de continuer à scruter en ricanant les déclarations de Thibault, j’ai décidé de la mettre à profit avec quelques lectures. Au hasard : Benjamin Péret.
Il se trouve - tu en as peut-être entendu parler - que c’est la rentrée.
Il se trouve aussi - tu dois déjà être au courant - que celle-ci va être, en matière sociale, chaude, brûlante, voire carrément explosive, au point que la canicule de 2003 n’aura été à côté qu’un épisode rafraichissant et semi-glaciaire, on se les caille un peu, est-ce qu’il ne serait pas temps de ressortir les lainages ?
Il se trouve enfin - ça n’aura pas non plus échappé à ta sagacité légendaire - que les syndicats sont dans les starting-blocks, remontés, très motivés, vachement résolus à faire entendre la voix des travailleurs et à mettre un coup d’arrêt aux mesures anti-sociales du gouvernement, bref, chauds comme un commando cégétiste qui s’entraîne au maniement du gourdin en attendant d’investir la Bourse du Travail.
D’où - découlant des trois précédentes considérations - , paf : journée de mobilisation en vue.
(Si, si : je t’assure !)
Et j’espère quand même beaucoup que t’as rien de prévu pour le sept octobre parce qu’il se pourrait bien que ça ne m’étonnerait pas plus que ça que - éventuellement - il y ait un défilé et que - éventuellement - on lance quelques slogans et mots d’ordre et que - éventuellement - le front syndical et la mobilisation, clairsemée mais est-ce bien le plus important ?, contraignent le gouvernement à de lourdes concessions, façon impromptue déclaration présidentielle ou même - soyons fous - engagement gouvernemental à poursuivre le dialogue avec les partenaires sociaux.
Pour te dire : j’en suis tout excité.
Ouh-làlà.
Ouh.
Que je suis excité.
Ouh.
Pour ne rien te cacher, j’escompte bien - par ailleurs, camarade - que cette grande et belle journée de mobilisation sera l’occasion de tirer un trait sur quelques dissensions qui ont agité mon syndicat préféré - que je suis sûr que c’est le tien aussi et qu’on vibre à l’unisson devant les oriflammes outrageusement rougeoyants et fièrement dressés de la centrale la plus révolutionnaire de France, je ne te donne pas son nom, tu vois tout à fait de qui je veux parler.
Parce qu’il est temps que les quelques bisbilles de ces derniers mois soient enfin réglées et que les querelles de chapelle ou de personnes ne gênent plus la réalisation de ce but commun que nous partageons tous, l’avènement de la Sociale.
Aussi me félicite-je avec un enthousiasme non feint que le plus intransigeant des dirigeants syndicaux de ces cinquante dernières années, Bernard Thibault, aka Kamarade-Nanard-je-lâche-rien-et-que-si-t’es-pas-content-je-te-monte-une-barricade-là-tout-de-suite-dans-le-grand-salon-de-l’Elysée-où-j’ai-pris-mes-quartiers-on-est-comme-ça-à-la-CGT-on-est-des-oufs, que Bernard Thibault, donc, siffle la fin de partie et tente de remettre un peu d’ordre en sa centrale.
Qu’il qualifie d’« inepties » les considérations selon lesquelles « la CGT serait coupée de la base, dépassée par la radicalité qui s’exprime dans les luttes avec un secrétaire général plus occupé à discuter avec l’Elysée qu’à soutenir les luttes »1.
Et qu’il les explique par l’intention mauvaise des pas-beaux-méchants-jaloux qui font rien tant qu’espérer que sa Centrale se prenne les pieds dans le tapis révolutionnaire : « J’en connais qui se frotteraient les mains à l’avance si nous leur faisions un tel cadeau », a déclaré le guérillero en colère, dénonçant « une campagne insidieuse (qui) s’installe pour semer le doute, créer la suspicion, alimenter les clivages dans la CGT ».
Pour te dire : il a raison.
Ouh-làlà.
Ouh.
Qu’il a raison.
Ouh.
Rassure-toi, ami : la bave du vil crapaud agitateur n’atteint pas la blanche colombe syndicale.
Et Kamarade Nanard ne va pas se laisser impressionner pour si peu, lui qui - tout autant que son syndicat - est habitué aux critiques.
Aujourd’hui comme hier comme avant-hier.
Pour te dire : je feuilletais négligemment ces jours-ci un petit opuscule vindicatif, très acerbe sur la question syndicale, publié en 1952 par un poète surréaliste se piquant de politique radicale2.
Et force est de constater que ce texte - limpide, brillant, passionnant - n’a pas pris une ride, aussi pertinent à sa publication que cinquante ans plus tard, réquisitoire si bien mené et intelligent contre les réformistes syndicaux qu’on devrait le distribuer à tous ceusses qui gardent encore assez d’illusions pour participer à la prochaine journée de mobilisation, afin qu’ils ouvrent enfin les yeux, balancent leurs badges d’un geste rageur et se jettent eux-mêmes - de dépit - dans la Seine sur le trajet Bastille-Nation.
Les Syndicats contre la révolution, ça s’appelle3.
Et c’est œuvre de Benjamin Péret, secondé de Grandizo Munis.
Et tu devrais te le procurer au plus vite.
Et si tu ne le fais pas, ce n’est pas trop grave, car je compte t’en parler un brin dans les lignes qui suivent.
Et puis, je t’en recauserai encore dans les semaines à venir, jusqu’à ce que ça te gonfle tellement que tu n’auras plus que deux solutions, lire ce fichu livre ou adhérer à la CFDT.
Bref.
Péret part d’une considération essentielle : même à ses débuts, mi et fin XIXe, quand les grèves étaient sauvages et violentes, que le sang endeuillait les rares mouvements revendicatifs et que les ouvriers étaient si pressurés par les possédants qu’ils ne faisaient que trimer et mourir, même là, alors que quelques formes d’organisation se faisaient timidement jour, le syndicalisme n’a jamais été qu’un « pis-aller » pour ceux qu’il prétendait servir.
Et ce pour une bonne raison :
« Même lorsque le syndicalisme adopte des principes de lutte des classes, il ne propose à aucun moment, dans le combat quotidien, le renversement de la société ; il se borne au contraire à rassembler les ouvriers en vue de la défense de leurs intérêts économiques, dans le sein de la société capitaliste. Cette défense prend parfois un caractère de combat acharné, mais ne se propose jamais, ni implicitement, ni explicitement, la transformation de la classe ouvrière, la révolution », écrit Péret, avant de souligner quelques lignes plus loin : « Le syndicat, né d’une tendance réformiste au sein de la classe ouvrière, est l’expression la plus pure de cette tendance. Il est impossible de parler de dégénérescence réformiste du syndicat, il est réformiste de naissance. »
C’est ainsi, l’histoire syndicale de l’avant-Première Guerre mondiale, de 1864 à 1914, n’est que l’histoire de la lutte des places, celle qui voit les plus en vus des dirigeants imposer le réformisme.
Et cette trahison originelle trouve sa consécration avec le premier conflit mondial, en France comme ailleurs, quand les responsables syndicaux décident de se rallier à l’Union sacrée, s’intégrant définitivement à l’État capitaliste : « Au moment décisif, alors qu’il fallait choisir entre le risque de compromettre une situation acquise (Jouhaux4 et la majorité confédérale de 1914 ont avoué explicitement que la crainte de la répression les avait alors incités à l’acceptation de la guerre), en appelant les masses à rejeter la guerre et le régime qui l’avait engendrée, ou renforcer leur position, en optant pour le régime, ils ont choisi le second terme de l’alternative et se sont mis au service du capitalisme. »
Emballé, c’est pesé.
La pomme était croquée, le pêché originel entériné, la trahison syndicale - à commencer par celle de la CGT - définitive.
Hop !
Péret ne fait pas dans l’invective : il analyse, documente, argumente et multiplie les exemples historiques, évoquant les syndicats russes hostiles aux soviets en 1917 ou le syndicalisme stalinien s’arrogeant l’insurrection populaire espagnole de 1936.
Il ne nie pas - non plus - les avancées sociales permises par les syndicats, d’ailleurs « plutôt le fait de l’action menée par les la minorité syndicaliste révolutionnaire que de la pratique syndicale en général ».
Mais il explique simplement - anarchiste de toujours - que le dévoiement syndical était une fatalité.
Et que les syndicats, fondés sur une organisation hiérarchique anti-démocratique et créant de fait une nouvelle aristocratie, n’ont aucun intérêt à un changement d’ampleur qui les verrait perdre leur rôle de médiateur essentiel, de poulie centrale ; ils ne songent plus - logiquement - qu’aux « marchandages de l’armistice » et « l’élan vers l’émancipation dégénère en accommodement dans le cadre du capitalisme ».
« Le syndicat, dès qu’il a quelque importance, extrait ses dirigeants de l’usine, les soustrayant ainsi au contrôle nécessaire des travailleurs. Et, en général, une fois sorti de l’usine, le dirigeant syndical n’y retourne plus. Ces innombrables dirigeants syndicaux qui ont quitté l’usine se créent peu à peu des intérêts d’abord étrangers, puis opposés à ceux des ouvriers qui les ont élus. Ils aspirent avant tout à la stabilité de leur nouvelle situation, que toute action des travailleurs risque de mettre en péril. On les voit donc intervenir auprès des patrons dès qu’une grève menace d’éclater. »
On ne saurait mieux dire, hein ?
Je te fais grâce de la suite, puisqu’il faut bien terminer (un billet tout autant qu’une grève), et que je ne peux décemment recopier tout l’ouvrage.
Sache néanmoins que Benjamin Péret oppose aux syndicats fondamentalement traîtres les comités d’usine, moteur de la révolution sociale.
Et que si les premiers - qui ont « fait main basse sur la grève » - servent de fait le système, même quand ils obtiennent « pour le travailleur exploité des conditions moins intolérables et moins humiliantes » - lesquelles sont, « le temps l’a montré, plus rentables pour le capital » - les seconds sont seuls aptes à organiser les ouvriers sans les aliéner, à permettre la révolution sans trahir.
Sache aussi que j’ai fait l’impasse ici sur la partie du livre rédigée par Grandizo Munis, mais qu’elle se révèle tout autant passionnante et pertinente.
Sache enfin que Benjamin Péret, outre qu’il fut un littérateur de premier ordre, a notamment combattu pendant la Guerre d’Espagne au sein de la colonne Durutti.
Oui : on est loin, très loin, de Bernard Thibault.
Et tu sais quoi ?
Parfois ça m’énerve tellement que je me pointerais bien à la manif du sept octobre avec une faux, histoire de couper sur pied toutes ces hampes de drapeaux rouges.
Je suis sûr que ça le ferait marrer, Benjamin.
Je profite de ce billet, ami, pour te signaler que le prochain dossier de Fakir, à paraître fin septembre, sera consacré aux syndicats.
Je serais toi, je mettrais déjà de côté quelques euros pour me le procurer.
1 Tu noteras, camarade, qu’on ne peut accuser Bernard Thibault de n’avoir pas compris ce qu’on lui reprochait : en ces quelques mots, il a brillamment résumé les raisons pour lesquelles il devrait se voir jeté bas de son poste et être invité à rejoindre céant son milieu naturel, l’université d’été du Medef.
2 Oui : le salaud a tout les torts…
3 Editions Eric Losfeld - Le Terrain Vague, publié en 1968 ; je ne sais pas si l’ouvrage a ensuite été réédité.
4 (Ceci n’est pas une note de Péret) Le 4 août 1914, lors des obsèques de Jean Jaurès, Léon Jouhaux s’enflamme : « Au nom de ceux qui vont partir et dont je suis, je crie devant ce cercueil que ce n’est pas la haine du peuple allemand qui nous poussera sur les champs de bataille, c’est la haine de l’impérialisme allemand. » Le secrétaire général de la CGT, prétendant exprimer ainsi le sentiment de « la classe ouvrière au cœur meurtri », rallie alors son syndicat à l’Union Sacrée.