samedi 29 août 2009
Le Cri du Gonze
posté à 12h21, par
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Et si les révolutions du passé avaient échoué faute d’un fond sonore adéquat ? Si la clé de voûte d’une insurrection réussie se trouvait dans l’utilisation adaptée, « in vivo », d’un patrimoine musicale subversif ? L’idée, tentante (même si un tantinet capillaro-tractée), a guidé l’écriture de ce billet, éminemment subjectif. Deuxième salve samedi prochain, sous la plume d’Ubi.
Elle se fait attendre depuis un certain temps, je te l’accorde. C’est que la vieille dame est capricieuse, elle ne sort que quand toutes les conditions sont réunies et le terrain vraiment favorable. Manière de ne pas brader ce qu’elle représente, de se faire vraiment désirer. Mais au fond, ça ne change rien. Parce que, tu le sais : la révolution ne va plus tarder, maintenant.
Pour patienter, pour être prêt le moment venu, Article11 te propose un top 10 des musiques à beugler sur les barricades (ou à brailler dans ta chambre quand tu rêvasses aux mêmes). Pas de chapelles ni de prise de position, juste des pistes correspondant à mon humeur du moment et à une stratégie sonico-libertaire imparable1.
1 - « State of shock » / The Ex
Ça ne va pas forcément plaire à tout le monde, cette consécration sur la première marche du podium d’un groupe d’obscurs bataves qui toujours refusèrent les paillettes et la facilité. Comparée au « Street Fighting Man » des Stones, par exemple, la portée historique de « State of shock » reste limitée. M’en fous, l’élan est là, tellement porteur, qu’une révolution digne de ce nom ne saurait se passer de cette énergie (pour les puristes, la version originale du morceau, en hollandais, se nomme « Koken Asfalt » ; encore plus remue-tripes, elle n’est pas très présente sur Internet ; ici, une version au son tout pourrave). Comme Fugazi, The Ex est un des rares groupes à avoir su concilier intégrité artistique absolue, ouverture d’esprit totale, refus de tout embrigadement et caetera, ceci sur la durée. Comme le disait peu ou prou Tarantino décernant la palme d’or cannoise à Michael Moore : « S’il est politique, mon choix ? Mais bien sûr qu’il est politique, je ne vois pas en quoi c’est critiquable. »
2 - « Kick Out the jams » / MC5
Il est temps de tout exploser autour de toi, fils de pute. Blam. Ça pose un début de chanson, mine de rien. En manière de rock politique, impossible d’aller plus loin que le Motor City 5 (en référence à Détroit, ville de l’industrie automobile où le groupe se forma - c’est aussi de là que viennent les stratosphériques Stooges et le non moins mirifique Al Bundy). Distorsion à fond les ballons, concerts explosifs, narcotiques en perfusion, le MC5, précurseur du punk (ceci dès la fin des années 1960, « Kick out the jams » date de 1969), ne tarda pas à se faire un nom. Mais c’est quand ils furent rejoints par John Sinclair, individu notoirement cinglé et politiquement ultra radicalisé (à la tête du mouvement des White Panters, pas des enfants de cœur) qu’ils se mirent à véritablement envoyer du steak niveau message révolutionnaire. Devenu leur guide/manager/gourou, Sinclair les entraina dans une radicalisation effrénée, qui connut son apogée lors de la Convention démocrate de 1968, laquelle partit méchamment en quenouille et vit le groupe livrer une prestation démoniaque. Les flics finirent par choper Sinclair pour possession de quelques joints et le condamnèrent à 10 ans de taule (dont il ne fera qu’une partie, grâce notamment à une mobilisation monstre2 des Grands du monde rock ; John Lennon consacra ainsi une chanson à l’affaire). Par la suite, le MC5 ne retrouvera jamais cette énergie sanglante des débuts. Reste que leur chanson phare est sans doute le plus bel appel à l’émeute qui ait jamais été enregistré. Ici, version live dont l’énergie fulminante fait largement oublier le côté brouillon/braillard.
3 - « Il est cinq Heures, Paris s’éveille » / Jacques Le glou
Détournement du tube de Jacques Dutronc par Jacques Le Glou, obscur ami de Debord devenu plus tard producteur de cinéma, « Il est cinq heures, Paris s’éveille » fait partie d’une compilation mythique sortie en 1974 : « Pour en finir avec le travail ». Entre deux pastiches signés Debord et des textes de Vaneigem, on trouve cette petite pépite dudit Le Glou. On est ici en terrain connu, imaginaire soixante-huitard triomphant & mélodie pop franchouillarde en perfusion. Pas grave, la mayonnaise prend illico et l’effet est immédiat : ça te démange méchamment du pavé.
4 - « Anarchy in the UK » / The Sex Pistols
Tout a été dit sur les Sex Pistols et « Anarchy in the UK », hymne pounk ultime sorti en single le 26 novembre 1976, inutile de s’attarder ni de justifier la présence de ce morceau sur cette liste. De toute manière, le rictus de Johnny Rotten est à lui tout seul un appel à l’émeute. Et puis réviser les classiques ne fait pas de mal. Simplement, rappelons cette sentence du même Rotten, celle qui résume toute la carrière du groupe et son ambition extra-musicale : « Nous ne sommes pas intéressés par la musique, nous sommes intéressés par le chaos. »
5 - « Attaque la Banque mondiale » / Miss Hélium
Ok : c’est basique. Bourrin, même. Mais juste : c’est foutrement efficace. Miss Hélium, groupe anarcho-tekno-punk traînant dans la mouvance free-parties et celle des squats, a déjà le mérite de rappeler que - quelquefois - il convient de débrancher son cerveau et de foncer dans le tas. Attaque la Banque mondiale / Attaque la Banque mondiale / Et brûle le fric, qu’ils chantent, et on saute sur place en rêvant d’organiser un immense autodafé de banquiers. Habitué à se produire gratis et à jouer en manif (enfin : avant de se mettre en pause, courant 2008), le groupe a mis ses gros beats-hardcores-qui-tachent au service de la cause et animé pas mal de mornes cortèges revendicatifs (si tu n’as jamais défilé en tricotant des gambettes derrière Miss Hélium, Nation-Bastille au son des brûlots du groupe et une bouteille de rosé dans chaque main, il te manque quelque chose).
« Miss Hélium, c’est une arme de guerre contre le système », revendiquait Tof, chanteur du groupe, en une interview sympathiquement accordée il y a deux ans à votre auguste serviteur. De un : on est d’accord. Et de deux : on l’attaque, cette banque ?
6 - « Know your ennemy » / Rage Against the Machine
Je convoquerais illico Rage Against the Machine si je cherchais à donner de l’énergie (voire de l’intelligence stratégique) à une foule en instance de barricades. Pendant une dizaine d’années, Tom Morello (guitariste), Zack de La Rocha (scandeur de brulôts), les deux émeutiers principaux de RATM, accumulèrent les chansons hymnes et les albums rentre-dedans, mêlant allégrement métal, rap et funk pour former un mélange explosif. Cerise sur le gâteau, leur activisme politique était indissociable de leur musique (ils parvinrent ainsi à faire fermer la bourse de New-York pendant quelques heures le temps d’un concert improvisé sur son parvis). Chose rare, ils ne se contentaient pas de brailler, ils faisaient aussi marcher leurs cerveaux3. Comme ils le claironnent dans « Know your enemy », dénonciation au vitriol des sirènes du Rêve américain : "Il est temps de passer à l’action. Pas besoin de clé, on passera en force.4" On ne saurait être plus clair.
7 - « Les anarchistes » / Léo Ferré
Il y a des chansons qui sont hors classement, qu’on ne peut mêler à d’autres car elles sont incomparables, existent en dehors de toute galaxie musicale. Y’en pas une sur 100 et pourtant elles existent. « Les Anarchistes » de Ferré, logiquement, aurait dû faire partie de cette catégorie à part. Mais voilà, si j’avais commencé un classement hors-concours, il m’aurait quasiment fallu en faire un billet à part entière. Alors, paf, sacrilège, je t’ai mis dans cette liste l’hymne remue-cœurs du grand Ferré. A écouter religieusement, le matin venu, quand les insurgés prennent un peu de repos à l’ombre des barricades et cherchent à se ressourcer dans une ambiance sacrée. Avec, en tête, ces paroles toujours d’actualité : « Et puis, faudrait pas oublier que ça descend dans la rue, les anarchistes… »
8 - « Teenage Riot » / Sonic Youth
Bordel, j’ai pas encore parlé une seule fois de Sonic Youth dans cette série Public Image Unlimited. C’est largement suffisant pour justifier la présence de « Teenage Riot » (« Emeute adolescente », très bon pendant au White Riot des Clash) dans ce top 10, même si le montage épileptique de cette vidéo (tirée du documentaire « 1991, The Year punk rock explode », bible de mes 16 ans) fout légèrement la nausée.
9 - « La rage » / Keny Arkana
L’ensemble a beau avoir la subtilité musicale d’un Mégalodon bourré, il n’en suinte pas moins le Coktail Molotov à dix kilomètres à la ronde. Infantilisée par des médias condescendants, Keny Arkana n’en reste pas moins davantage qu’une icône pour altermondialistes niais et trace sa route avec une intégrité éminemment respectable.
10 - « Breaking The Law » / Judas Priest
Parce que si la révolution ne sert pas au moins un tantinet à se fendre la gueule, on voit mal à quoi elle serait bonne. Et quel clip pourrait rivaliser avec celui de « Breaking the Law » des papis Judas Priest en matière de zygomatiques subversives ? C’est lourd, c’est gras, ça colle aux dents, c’est saturé en esthétique série B, c’est parfait.
Ps : La liste faite d’une traite pour ne pas trop gamberger, je me rends compte que manquent des fondamentaux absolus comme Les Clash, Dylan, les Bérus, NTM, les Stones, Brassens, les Frères Misères, les Ramones, Stupeflip... Il aurait fallu un top 50, pour le moins, mais tu comprendras que je repousse la chose à plus tard. A noter, je reste ouvert à toutes les suggestions, quitte à un jour refaire l’exercice en tenant compte de tes suggestions, lecteur adoré.
1 Furent évacuées de ce Top 10 subjectif les chansons barricadières historiques, du « Temps des Cerises » à « l’Internationale » en passant par la « Makhnovtchina », qui méritent à elles seules un billet distinct. Comme Article11 est une machine bien huilée, tu pourras lire (et écouter) dès samedi prochain les investigations du sieur Ubi sur le sujet.
2 A titre d’exemple, l’affiche d’un concert de soutien :

3 Le chanteur d’un groupe d’ampleur planétaire interviewant Noam Chomsky - ici & ici -, ça a une certaine gueule, nope ?
4 Now action must be taken We don’t need the key We’ll break in