vendredi 13 février 2009
Le Charançon Libéré
posté à 12h57, par
43 commentaires
Berlusconi ou Mussolini, du pareil au même… Plongée dans un sordide délire xénophobe, l’Italie semble avoir atteint le point de non-retour. A l’initiative de la Ligue du Nord, les sénateurs ont voté la légalisation des milices et la mise en place d’un fichier SDF. Pis : ils ont décidé de libérer les médecins de leur serment d’Hippocrate afin qu’ils puissent dénoncer les clandestins. Oui : ça pue…
Il faudrait rire de l’aveuglement de nos voisins.
Moquer leur capacité d’oubli, leçons de l’histoire restant lettre morte, pays qui s’en retourne à grandes enjambées vers le régime mussolinien.
Et se gausser d’une nation assez crétine pour replonger gaillardement dans la plus idiote des xénophobies d’Etat, plus de cinquante ans après avoir été libérée du joug fasciste.
Mais voilà : personne n’a le cœur à rire.
Et surtout pas en France, pays si doué pour copier - à quelques années de différence - les joyeuses dégueulasseries imaginées par le pouvoir berlusconien.
__3__
Il s’en trouvera - pourtant - pour hausser les épaules.
Remarquer que rien ne sert de crier perpétuellement au retour du fascisme.
Et arguer qu’il importe de ne pas tout confondre quand on veut pointer les travers du voisin.
Soit.
Il est pourtant un signe qui ne trompe pas : même la petite-fille de Benito Mussolini, la député Alessandra Mussolini, pourtant résolument d’extrême-droite, a protesté contre un récent « paquet sécurité » adopté par le Sénat.
Et il n’échappera à personne qu’il faut déjà plonger très loin dans la xénophobie rance pour réussir à dégoûter la descendante du Duce, si empressée à mettre ses pas politiques dans celui de son grand-père.
__3__
Le « paquet sécurité », donc.
De quoi s’agit-il ?
Fort simple : sous l’impulsion de la Ligue du Nord, parti raciste qui a obtenu les meilleurs résultats de son histoire aux dernières élections d’avril 2008 (soit 60 députés et 25 sénateurs), le Sénat italien vient d’opérer un énième surenchérissement sécuritaire.
Votant sans tergiverser ce bouquet de lois qui comprend des mesures toutes plus infâmes les unes que les autres.
Dont la mise en place d’un registre national des sans-domiciles fixes.
La légalisation des milices populaires, ces « chemises vertes » créées par la Ligue du Nord, désormais encouragées à poursuivre leurs rondes citoyennes même si elles n’ont pas (encore) obtenu le droit de porter des armes.
L’interdiction de la « burka ».
La création d’un délit d’immigration clandestine.
Et l’institution d’un forfait payant pour le renouvellement de la carte de séjour, facturée de 80 à 200 €.
C’est tout ?
Oh non… tant les sénateurs italiens ne mégotent pas quand ils légifèrent.
Eux qui ont aussi décidé de libérer partiellement les médecins de leur serment d’Hippocrate en les « autorisant » à dénoncer les sans-papiers qui se rendraient dans les hôpitaux pour se faire soigner.
Ben oui : tant qu’à faire dans le dégueulasse, autant pousser la logique jusqu’au bout, hein…
__3__
Parmi ces mesures adoptées les 4 et 5 février par le Sénat - et qui doivent encore passer devant les députés pour être promulguées - , c’est cette dernière mesure qui est sans doute la plus emblématique.
Volonté évidente de traiter les sans-papiers en sous-hommes, la Ligue du Nord présentant cette autorisation médicale de délation comme « le seul moyen de combattre les épidémies que transmettent les immigrés ».
Et décision résolue de les laisser crever dans leur coin, laquelle porte déjà ses fruits avant même d’avoir été mise en application :
Mais en quelques jours, la peur d’être dénoncés a entraîné une diminution du nombre de patients étrangers (de l’ordre de 20% selon les médecins) dans les hôpitaux et les dispensaires. « Vendredi dernier, quand la presse et la télévision ont mis en circulation le bruit que les médecins devront dénoncer les clandestins, pour la première fois depuis quinze ans, la salle d’attente est restée vide », a raconté Corrado Ferro, responsable d’un dispensaire turinois spécialisé dans l’accueil sanitaire des immigrés, rapporte ainsi le quotidien suisse Le Temps.
Une réalité désolante.
A laquelle le mouvement massif de protestation des professionnels de santé, résolus dans leur majorité à ne pas se faire délateurs, risque bien de ne pas changer grand chose, tant la peur de la dénonciation l’emportera chez les clandestins sur le risque sanitaire.
Ainsi que l’explique Giorgio Contessi, président de Médecins sans frontières Italie, en une interview donnée à CaféBabel :
Nous sommes bouleversés. MSF est une organisation indépendante politiquement et pour cette raison, nous ne pouvons prendre position en Italie. Nous sommes bouleversés car, il faut le rappeler, les médecins ne sont pas obligés de « dénoncer » qui que ce soit : cette mesure crée un climat de peur chez les immigrés, surtout au moment où ils doivent décider de se rendre aux urgences ou non. Désormais, ils réfléchiront un bon moment avant de se faire soigner. Si par peur, ils ne se déplacent pas, leur maladie, peut-être bénigne, peut ensuite dégénérer.
__3__
Que ce « paquet sécurité » soit finalement adopté (ou pas) par les députés ne change plus grand chose à l’affaire : l’Italie a touché le fond.
Et il suffit, pour le constater, de faire le compte de quelques récentes informations emblématiques.
Inventaire à la pervers qui dit suffisamment ce que ce pays est devenu.
Depuis la décision de la municipalité de Lucca d’interdire les « restaurants ethniques » au centre ville, mesure s’inscrivant dans une campagne de « purification ethnique culinaire » (revendiquée comme telle !) entretenue par certains médias et politiques2
Jusqu’aux violences collectives contre les ressortissants d’origine roumaine à chaque faits divers pouvant leur être imputé, le dernier en date - l’arrestation fin janvier de quatre Roumains soupçonnés d’être impliqués dans le viol collectif d’une femme, lesquels auteurs supposés ont failli être lynchés par la foule - ayant entraîné plusieurs tentatives d’incendies de commerces tenus par des Roumains.
Sans oublier l’infâme traitement fait aux clandestins sur l’île de Lampedusa, où 1 000 migrants sont enfermés dans des conditions si infâmes que 11 d’entre eux ont tenté ensemble, le vendredi 6 février, de se suicider en absorbant des lames de rasoir et des boulons, un douzième faisant preuve d’une grinçante originalité en essayant de se pendre…
Non plus que la grand débat national suscité par la fin du calvaire d’Eluana Englaro - jeune femme plongée dans le comas depuis 17 ans et enfin laissée en paix - qui a vu l’église catholique faire preuve de son emprise croissante sur la société, tandis que Berlusconi s’enflammait : « Eluana n’est pas morte de mort naturelle, elle a été assassinée. »
C’est cela : l’Italie, qui ne cessait de sombrer depuis des années, a dépassé le point de non-retour.
Et il nous faut prendre garde qu’elle ne soit définitivement ce modèle sur lequel nous semblons toujours davantage nous aligner.
Quitte à exhumer un mot d’ordre qui n’a jamais été aussi actuel.
No pasaran !
1 Les quatre illustrations de ce billet ont été piquées sur le site de la Repubblica, quotidien qui a récemment publié une série de clichés des tags et slogans racistes fleurissant sur les murs de la ville de Rome.
2 Une œuvre de « purification culinaire » qui n’hésite pas à user de toutes les armes disponibles pour mettre bas la nourriture dite ethnique : « Le Kebab ? Une bombe pour la santé », titrait ainsi le Corriere Della Sera du 27 janvier, faisant du sandwich en question « une menace significative pour la santé publique ». Et de citer notamment une prétendue spécialiste de la science de la nutrition de l’Università di Milano Biccoca, selon laquelle « le kebab représente une menace car, étant donné qu’il demande un effort de digestion plus long que la nourriture habituelle, il nuit à la concentration et à la qualité du travail après le repas ». Une campagne aussi pathétique que ridicule, détaillée par Chloé Morin en un billet fort instructif.