mardi 16 octobre 2012
Entretiens
posté à 20h33, par
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L’Isthme de Tehuantepec est cette mince bande de terre séparant l’Atlantique et le Pacifique, au Sud du Mexique. Un territoire à l’écart, dont on parle généralement très peu. Les luttes menées par les peuples indigènes de la région méritent pourtant un large coup de projecteur. Présent sur place, l’ami Alèssi s’en charge, avec cet entretien conduit en mai 2012.
Bettina Cruz Velasquez habite Juchitan, petite ville dans l’Isthme de Tehuantepec, au sud de l’État d’Oaxaca. En mai dernier, elle nous parlait de la résistance des communautés indigènes de sa région contre les multinationales qui veulent en faire le plus grand parc éolien d’Amérique latine, et ce avec la complicité d’une classe politique régnant par un savant mélange de corruption et d’intimidation violente. Mais les gens de l’Assemblée des Peuples Indigènes de l’Isthme de Tehuantepec en Défense de la Terre et du Territoire ne se laissent ni corrompre ni intimider. Où l’on voit que la soi-disant énergie propre et renouvelable passe par des procédés bien sales...
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Tu es engagée dans le combat de l’Assemblée des Peuples Indigènes de l’Isthme en Défense de la Terre et du Territoire. Comment est-elle née et quels sont ses objectifs ?
Il s’agit d’une assemblée qui s’oppose aux mégaprojets éoliens actuellement en cours dans l’Isthme de Tehuantepec. Elle regroupe des camarades ikoots de San Mateo del Mar, San Dionisio del Mar, San Francisco del Mar ainsi que des camarades zapotèques de Santa Maria Xadani, Alvaro Obregon, Juchitan, La Ventosa, La Venta, Union Hidalgo, et San Blas Atempa (ce dernier pueblo n’est pas menacé par les projets éoliens mais est en lutte contre l’imposition de ses autorités communales1 et pour la récupération de ses terres communales). L’assemblée s’est formée en 2007 pour réagir à la présence dans la région de compagnies éoliennes multinationales ayant commencé depuis un certain temps à faire signer des contrats à des paysans indigènes. Des contrats léonins : tous les avantages et tout le profit vont à ces entreprises tandis que les gens ne récupèrent même pas 1 % de l’argent généré par ces projets.
Il s’agit de projets conçus sur trente ans. Quand leurs promoteurs ont présenté aux gens les contrats de location, ceux-ci étaient rédigés exclusivement en espagnol. Ils ne leur parlèrent qu’en espagnol alors que nous-autres ici parlons des langues indigènes. Nous appelons notre idiome didxaza, et les peuples ikoots parlent ce qu’ils appellent umbeyajtz. À aucun moment, les contracteurs ne leur ont parlé en ces langues. Beaucoup de paysans indigènes étant analphabètes et monolingues, il y avait dès le départ violation claire des droits des peuples indigènes. En outre, ils leur ont affirmé qu’il s’agissait seulement d’occuper une petite partie de leur terre et qu’ils pourraient continuer à utiliser la plus grande partie de celle-ci comme ils voudraient. Ce n’est pas du tout ce qui se passe. À présent que se déploie ce projet dans l’Isthme, nous voyons qu’il produit un désert, avec des conséquences désastreuses pour l’agriculture. En outre, le projet spécifique qu’ils veulent réaliser dans la zone lacustre de l’Isthme de Tehuantepec prévoit 132 aérogénérateurs sur la barre Santa Teresa. Ils veulent également y construire des quais de débarquement qui, à terme, détruiront les mangroves. Tout cela, ils ne l’ont jamais dit au début du projet, mais l’ont avoué bien plus tard. Comme il s’agit de contrats d’usufruit, ils peuvent modifier le projet quand ils veulent et utiliser les parties du territoire concerné comme ils veulent. Beaucoup de pueblos ont changé d’avis en apprenant cela.
Notre assemblée fournit des informations - que nul n’a jamais donné aux gens - sur les impacts écologiques de tels projets et passe beaucoup de temps à expliquer ce qu’impliquent les innombrables clauses des contrats civils qu’ils ont signé, contrats qui octroient aux entreprises l’usage et l’usufruit de leurs terres. Quand les gens s’en avisent, ils réfléchissent, et beaucoup décident ensuite de lutter pour défendre leur terre, leur territoire.
Il y a un précédent avec les parcs éoliens qui fonctionnent depuis une dizaine d’années à La Venta…
Dans les années 1980, l’éolien a commencé à se développer dans le monde et des entreprises se sont mises en quête des meilleurs emplacements pour produire cette énergie. C’est ainsi qu’ils ont découvert qu’il y avait beaucoup de vent dans cette partie de l’Isthme de Tehuantepec. Ils y ont ouvert en 1994 un premier parc éolien de six aérogénérateurs qui produisaient ensemble 1,5 megawatt. Et en tirèrent de tels profits que le gouvernement mexicain décida d’impulser l’éolien dans cette région et convoqua les investisseurs pour exploiter nos ressources et s’installer sur notre territoire. Différentes rencontres se déroulèrent en 2000, et les gouvernants ont commencé à proposer le territoire de l’Isthme aux entreprises multinationales. Ces rencontres se déroulaient à Huautulco, dans l’État d’Oaxaca, un centre touristique « de classe mondiale »... Ils n’ont jamais invité aucun représentant du monde paysan, seulement des investisseurs. En fait, ils se sont répartis le territoire, exactement comme à l’époque coloniale ils se répartissaient l’Afrique ou l’Amérique entre chaque pays : une partie échoit à Prénéal, une partie à Endesa, à Emesa, à EDF, à ENEL… Tous ont récolté un morceau et sont ensuite allé trouver les paysans et les embobiner, leur raconter qu’ils allaient avoir le plein emploi et le développement en échange de ce qu’eux allaient gagner avec leur terre en produisant de l’énergie électrique. Ils ont commencé à recourir à diverses tactiques déjà utilisées à l’époque coloniale, allant jusqu’à s’introduire dans notre propre système d’us et coutumes : certains de leurs représentants ont tenté d’être nommés mayordomos2 ou de distribuer de la nourriture, de la bière. En parallèle, ils ont commencé à corrompre les autorités agraires, civiles…
En plus de la dépossession territoriale, il y a les dégâts écologiques considérables. En Europe, pourtant, les compagnies éoliennes parlent d’énergie propre…
Ce projet a des conséquences écologiques, sociales, culturelles et économiques sur toute la région de l’Isthme. Et ils n’ont jamais évoqué l’impact écologique, jamais. Alors qu’il est évident à plusieurs niveaux. Il y a déjà l’impact sur les oiseaux : l’Isthme est l’une des zones de migration les plus importantes en Amérique, des millions d’oiseaux y passent chaque année. En juillet dernier fut déclassifiée une note de la Banque Mondiale où il était dit que 6 000 oiseaux et 3 200 chauves-souris meurent chaque année à cause des hélices des 98 aérogénérateurs du second parc éolien qui a été installé ici, celui de La Venta. Quant on sait que dans notre région, ils veulent imposer une capacité de production éolienne de 33 000 megawatt… L’impact est trop brutal pour être ignoré. Non seulement parce que nous devons protéger les oiseaux qui font partie de l’équilibre écologique de notre planète, mais aussi parce que nous allons subir des conséquences sanitaires : les oiseaux et les chauves-souris mangent les moustiques, dispersent les semences, ils tiennent un rôle important dans la nature. De même, les entreprises éoliennes rasent d’énormes surfaces boisées bien entretenues jusqu’ici, ou des taillis où vivent de nombreuses espèces, depuis les fourmis jusqu’aux cerfs en passant par les tortues. Eux arrivent, rasent tout, arrachent de grands arbres, creusent des cavités énormes qu’ils remplissent de ciment et où ils viennent planter les aérogénérateurs… Leurs excavations atteignent jusqu’à nos ressources en eau : dans l’Isthme, les nappes phréatiques sont situées près de la surface, et ils sont en train de les endommager.
Et puis, le projet s’installe dans des zones agricoles importantes, dans ce que nous nous appelons le district d’irrigation. C’est là que nous produisons nos aliments, le maïs qui est la base de notre alimentation, le sorgo qui sert pour le bétail. Sans parler du bétail lui-même qui est affecté, notamment au niveau de la reproduction à cause du champ magnétique.
Ces projets remettent donc en cause notre souveraineté alimentaire, au moment même où nous voyons surgir des méga-entreprises comme Wal Mart et Soriana qui ouvrent des supermarchés dans l’Isthme… Ils veulent que les gens renoncent à semer, à cultiver, qu’ils soient payés pour louer leurs terres et qu’ensuite ils aillent acheter leur nourriture dans ces supermarchés.
Ils sont également en train de rompre tous les nœuds du tissu communautaire en provoquant des conflits entre familles, entre proches : certains acceptent les projets après avoir reçu de l’argent ou bien la promesse d’un emploi, ou quelque bénéfice que l’entreprise leur a octroyé via son réseau de corruption ; cela entraîne des litiges dans les familles, mais aussi entre pueblos, entre quartiers. Cette conflictualité nous fait perdre la base de notre identité : pour qu’un peuple indigène se perpétue, il faut avant tout qu’il conserve sa propre organisation et cohésion. Dans ce cas précis, les entreprises multinationales essayent de rompre notre cohésion pour pouvoir pénétrer.
Il y a aussi autre chose. Ces entreprises faisant venir leurs travailleurs d’Europe, notamment d’Espagne, cela a provoqué une vague de prostitution féminine. Cette exploitation sexuelle de nos femmes nous renvoie aux pires temps du colonialisme.
Nous n’avons jamais été consultés sur ces projets en tant que peuples indigènes. Le Mexique a pourtant signé en 1990 un traité international qui devrait s’appliquer à notre cas : l’article 169 de l’OIT prévoit l’organisation d’une consultation libre et informée avant d’entreprendre la réalisation d’un quelconque projet en territoire indigène. Il dit également qu’il faut respecter la décision finale des peuples. Rien de tout cela n’a été fait ici. Ni information ni consultation.
Au final, il se développe une situation de conflit global, conséquence du projet éolien. Les gens qui protestent et exigent qu’on respecte leurs droits sont menacés, voire agressés. Dans la communauté de San Dionisio del Mar, quarante camarades ont reçu des ordres d’arrestation envoyés par le président municipal, allié des compagnies éoliennes. Il se dit que ce dernier a reçu 20 millions de pesos en échange de sa signature sur le décret de changement d’usage du sol (qui d’agricole est subitement devenu industriel, et ce sans consulter en rien l’assemblée des comuneros).
À Union Hidalgo, des camarades en lutte contre le projet éolien ont été emprisonnés sur la demande de ces mêmes entreprises. Il y a persécution, il y a affrontement. Le 28 octobre 2011, ils nous ont délogés de La Venta où nous bloquions les accès au chantier. Là, c’étaient des transporteurs travaillant pour les entreprises Acciona et Eurus et des agents municipaux armés qui nous ont évacués et frappés. Ils m’ont personnellement frappée et menacée de mort ainsi que d’autres camarades. En plus, une personne a perdu la vie dans cette affaire, qui n’a toujours pas été éclaircie3.
Puis, voici deux mois, tu as été arrêtée par les flics…
Le 28 février dernier, la Policia Federal m’a arrêtée, sans me dire quel était l’ordre d’appréhension. Ils m’ont embarquée dans une camionnette et m’ont amenée à Salina Cruz. Je suis restée cinq heures sans pouvoir contacter personne, les camarades ne savaient pas où j’étais. L’ordre d’appréhension stipulait « Privation illégale de la liberté » et « atteinte à la richesse nationale ». La « privation de liberté », c’était pour une manif que nous avons faite à Santa Maria Xadani dans une officine de la Compagnie Fédérale d’Électricité [CFE] ; et le délit d’ « atteinte à la richesse nationale », pour avoir dit publiquement qu’il faut se défendre, ne pas se laisser déposséder de nos terres, ne pas abandonner le territoire et refuser de payer les tarifs exorbitants.
Ce dernier point renvoie au fait que les tarifs électriques ne cessent d’augmenter dans la région, dans des proportions hallucinantes. Cela peut paraître paradoxal. La raison en est pourtant simple : du moment que l’énergie électrique se retrouve entre des mains privées, les soutiens et subsides que l’État pouvait accorder aux usagers disparaissent4.
La CFE est l’une des entreprises la plus étroitement liée aux entreprises éoliennes - c’est sur sa requête que j’ai été appréhendée, parce que je participe aux mouvements de lutte contre les tarifs élevés. Je suis sortie assez vite, sous caution. L’affaire suit son cours et maintenant je suis censée démontrer mon innocence – au Mexique, les magistrats n’ont pas à démontrer ma culpabilité mais c’est à moi de prouver mon innocence et démontrer que nous avons le droit, après tout garanti par la Constitution, de manifester et de dénoncer ce qu’ils nous imposent…
Dans beaucoup d’autres États du Mexique on retrouve cette même lutte contre les tarifs élevés de la CFE, non ?
Oui, nous participons à un réseau national regroupant de nombreux pueblos du pays, de Campèche jusqu’à Chihuahua et qui a assuré une mobilisation dans tout le pays le 29 mars dernier. Nous souffrons tous de ces tarifs. Un paysan qui possède un frigo, quatre lampes, une radio et une télé payait récemment encore 300 pesos bimestriels ; aujourd’hui, il reçoit des notes de 800, 1 000, voire 1 500 pesos. Ce n’est pas possible.
En plus, le gouvernement mène actuellement une campagne visant à remplacer nos compteurs manuels par des digitaux, parce qu’il prépare la privatisation totale de l’énergie et qu’ils entend contrôler notre consommation par satellite. Il ne sera même plus possible d’exiger une facture. Ils prétendent que tout fonctionnera bien mieux de manière digitale, mais nous savons qu’il n’en est rien, qu’il ne s’agit que d’un pas vers le contrôle et la privatisation totale de l’énergie. Voilà pourquoi nous disons à tout le monde de refuser de changer son compteur manuel pour un digital. Le pire, c’est qu’ils sont censés demander l’autorisation aux gens mais que la CFE entre clandestinement chez eux pour changer les compteurs. Et si les gens s’opposent, ils s’énervent et les menacent. Notre mouvement lutte donc aussi contre les nouveaux tarifs et les nouveaux compteurs.
Autre point : nous exigeons que les pueblos indigènes où existe une source d’énergie en soient les premiers bénéficiaires. Pour l’heure, nous n’en retirons aucun bénéfice. Dans l’État voisin du Chiapas est produite la majeure partie de l’énergie que consomme le pays, quasiment les ¾, et pourtant beaucoup de pueblos n’ont même pas l’électricité. Dans l’Isthme, on trouve dans la région montagneuse des Chimalapas des pueblos qui n’ont pas l’énergie électrique. Cette région est pourtant une importante productrice d’électricité : elle est passée de 1,5 megawatt en 2006 à presque 1 300 actuellement ; ils disent même qu’en 2014 ils pourront en produire 5 000, et 14 000 en 2020.
Il s’agit d’une appropriation totale de notre territoire de la part d’entreprises multinationales qui veulent imposer leur vision du futur. Elles ne considèrent en rien qu’il s’agit d’une zone habitée : pour elles, ce n’est qu’un espace vide où elles ont toute latitude de faire ce qu’elles veulent. Malheureusement, nos gouvernements, tant au niveau fédéral que régional et municipal, sont totalement corrompus. Ces entreprises achètent tout : les autorisations administratives, les gens, les consciences, les autorités communautaires... Et les compagnies qui vont bénéficier de ces projets sont des mastodontes du type Coca-Cola, Oxxo, Heineken, Moctezuma, Bimbo, les Ciments de Mexico, Walt Mart, Soriana, Aurera…
Il y a un véritable matraquage médiatique en faveur de l’éolien avec l’argument du développement : j’ai vu un nombre incalculable de fois en première page des journaux de Oaxaca que « L’Isthme a une forte potentialité dans l’éolien »…
Positionner l’énergie éolienne comme une énergie verte est un objectif politique du gouvernement de Calderon. Parmi les engagements qu’ils ont signé dans le protocole de Kyoto, il y a celui d’avoir en 2012 au moins 4 % de l’énergie qui soit renouvelable. Ils mettent le paquet là-dessus, font de la promotion tous azimuts comme si c’était la panacée, en prétendant que cela va amener du travail et du développement. Mais nous ne voyons rien de tel, ni travail ni développement, nous voyons seulement que c’est synonyme de conflit, d’appauvrissement et de toutes sortes de problèmes dans l’Isthme ; ils sont en train de nous briser en morceaux.
Concernant l’emploi, par exemple : pendant les travaux, 300 à 500 personnes travaillent dans la maçonnerie, le démontage ; mais une fois le projet terminé, il ne restera qu’une personne pour dix ou quinze aérogénérateurs. Ces techniciens viennent tous d’Espagne, il n’y a même pas d’emploi pour les gens d’ici. Quant au reste, comment parler de développement quand ils nous enlèvent nos moyens de subsistance, ce dont nous vivons, la terre, l’eau, l’air, tout ce que nous offre la nature ? Que nous apporte le développement ?
Le gouvernement parle lui en termes d’investissements millionnaires dans chaque parc ; mais 80 % de l’investissement sert à l’achat du matériel qui vient d’Espagne, d’Allemagne, du Danemark. Tout cet argent ne profite ni à l’Isthme ni au Mexique. Les 20 % restants sont destinés aux travaux d’installation, à payer la main d’œuvre et la maintenance des installations. Et ce qu’ils donnent aux gens dont ils occupent les terres est simplement dérisoire : 12 500 pesos annuels pour installer un aérogénérateur sur un hectare de terrain, quelque chose comme 100 $ par an. Autrement dit, ils paient un peso par mètre carré affecté –avec un peso mexicain, tu n’achètes même pas un chewing gum...
Quand les gens viennent ensuite leur demander une contribution pour un projet d’intérêt communal, comme une salle de classe par exemple, ils répondent « Nous ne sommes pas une oeuvre de bienfaisance, nous vous payons la somme prévue par le contrat et c’est tout... » Tout ce matraquage médiatique est un mensonge ; il n’y a pas d’emploi, pas de développement. Par contre, il y a des dommages écologiques, il y a arnaque, il y a appauvrissement, il y a violence, il y a prostitution... Voilà ce que nous apporte le projet éolien dans l’Isthme de Tehuantepec.
Pour terminer : comment vois-tu la suite ? Étant donné que les entreprises viennent d’Europe, vous envisagez une internationalisation de la lutte ?
Ce serait une très bonne chose. Nous sommes une organisation encore jeune, née de cette problématique précise ; mais nous nous sommes également joints à d’autres luttes dans le pays : contre les projets miniers ou contre les projets hydroélectriques, qui font partie d’un processus de dépossession territoriale de la part d’entreprises multinationales. C’est une phase que le capitalisme mondial doit mener à bien pour se recapitaliser en ces temps de crise : il a besoin d’autres espaces et d’autres ressources à exploiter, et il les cherche en grande partie dans les territoires indigènes où se trouvent l’eau, l’air, les minerais qui vont ensuite servir à la consommation des grandes métropoles. Voilà pourquoi ils nous dépossèdent. Et pas seulement dans l’Isthme, mais dans tous le pays, dans toute l’Amérique latine, où des fortes résistances sont en cours contre les mêmes entreprises - Endesa, Union Fenosa... - qui font assassiner des gens en Colombie, en Équateur, au Nicaragua, ou qui sont en train de privatiser l’eau au Guatemala...
Pour cela il est important de construire des réseaux de résistance au niveau local, au niveau national et au niveau international. Je crois que beaucoup de gens en Europe en ont aussi marre de ces entreprises, qui agissent de la même manière partout. Le capital n’a pas de nation, dit-on.
Il ne s’agit pas d’une lutte étrangère. Nous nous battons pour la reconnaissance du fait que les peuples indigènes sont ceux qui savent le mieux conserver l’habitat, ce qui reste de cette planète, à l’encontre du marché. Mais c’est une responsabilité qui incombe à tous, pas seulement aux peuples d’Amérique latine. Nous devons tous défendre ce patrimoine universel. Parce que la question des énergies renouvelables laissée aux mains de ces multinationales va tous nous conduire à un semblable désastre. On parle du changement climatique tout en confiant la solution aux entreprises qui en sont responsables ! Celles-ci prônent la marchandisation de tout type d’énergie alors qu’il faudrait s’en remettre au peuple : c’est seulement aux mains du peuple qu’elle produirait une valeur d’usage et non de vente. Voilà ce que nous autres pensons depuis ce territoire de l’Isthme. La lucha sigue...
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A lire également, sur le Mexique, par Alèssi Dell’Umbria : Mexique : La paranoïa et la terreur comme paradigmes de gouvernement
1 « Imposition » : de plus en plus de gens au Mexique se rendent bien compte que les mots travaillent, et qu’ils travaillent contre eux. Ils savent bien que les candidats ne sont pas élus mais imposés par des rapports de force : pression médiatique, corruption et intimidation ouvertes. Ainsi l’actuel mouvement contre l’arrivée de Peña Nieto à la Présidence se définit comme « Movimiento contra la imposicion de Peña Nieto ». Il en va souvent de même au niveau municipal : à San Blas Atempa une assemblée dénonce l’imposition d’une cacique PRIiste particulièrement hargneuse.
2 La mayordomia est une institution du monde indigène d’Amérique centrale. Le mayordomo est désigné chaque année par l’assemblée communale pour organiser, sur ses fonds propres, la fête de la communauté. Il paie la nourriture, l’alcool, la musique et autres prestations durant la fête qui dure généralement plusieurs jours. Il peut y avoir plusieurs mayordomos selon l’importance de la communauté. Assumer cette charge est un honneur, et vouloir s’y soustraire est proprement impensable. La mayordomia permet aussi une égalisation des ressources au sein de la communauté, les gens disposant de revenus plus importants les redistribuant ainsi.
3 La victime travaillait comme vigile pour la compagnie éolienne, et il est à peu près certain qu’elle a succombé à des tirs d’intimidation opérés par les siens. Vu que ces groupes paramilitaires sont souvent chargés à la cocaïne ou ivres, une maladresse aboutissant à la mort d’un des leurs n’a rien d’improbable. Quoi qu’il en soit, et alors que les opposant n’étaient pas armés, les autorités leur imputèrent ce meurtre, bien qu’aucun ordre d’appréhension n’ait été ensuite émis.
4 L’État fédéral a longtemps pris en charge une partie des factures d’électricité, ce qui est en train de changer avec la privatisation.