jeudi 4 septembre 2008
En Sueur
posté à 10h15, par
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Ou comment, sacrifiant aux lois de la diversification, le quotidien sportif préféré des Français - puisque l’unique - s’est mué en organe de propagande à la solde des deux principales institutions dont il censé assurer la critique. Un journal, L’Equipe ? Non, un regroupement de joueurs de pipeau qui n’en finissent plus de prendre les lecteurs pour des billes.
Tu aimes le sport ? Donc tu aimes L’Equipe. Ne proteste pas, de toute façon tu n’as pas le choix. Et même si tu n’aimes pas, tu aimeras. On s’occupe de ça, rassure-toi. D’ailleurs. Sous tes yeux, dans tes oreilles, planquée derrière les pixels de ton ordi, jusque dans les rayonnages de ta bibliothèque même : L’Equipe est partout. Presse écrite, radio, télé, web, éditions : ses appétits hégémoniques sont sans pitié.
L’Equipe légende le sport. Mieux qu’un slogan, un leitmotiv. Inscrit dans le marbre. Aux profanes, nous rappellerons que c’est au journal que l’on doit la création du Tour de France, en 1903.1 Il en va de même pour les prestigieuses Coupes d’Europe de football, initiées par la digne maison. Quant au Dakar, nul ne l’ignore : il est aux mains d’ASO, l’une des filiales du groupe Amaury, lui-même propriétaire de L’Equipe.2 La boucle est bouclée.
En d’autres termes, rien de ce qui s’écrit, se prononce ou s’organise en matière de sport en France n’est étranger à L’Equipe.
La confusion des genres est visible ces temps-ci en kiosques, où sont diffusées deux revues jumelles, l’une traitant de football, l’autre de rugby : le magazine officiel de la Ligue 1 et le magazine officiel du Top 14. De la belle ouvrage, couverture grand luxe, papier glacé, maquette soignée, qui n’est pas sans rappeler, mais oui, c’est bien ça, l’élégante typo made in ton quotidien de sport préféré. L’ours n’indique pas le contraire, qui nous informe que la confection des deux numéros, financés par la Ligue de football professionnel (LFP) et la Ligue nationale de rugby (LNR), est assurée par l’une des filiales du groupe L’Equipe. L’Equipe acoquinée avec les deux institutions poids-lourds du sport français dont le journal est censé fournir une critique distanciée dans ses colonnes ? Hop ! Ni vu ni connu !
Appelez les décideurs de L’Equipe, ils vous débiteront le refrain attendu : les magazines n’ont pas été rédigés par des journalistes de la maison, on a fait appel à des pigistes extérieurs, l’indépendance n’est pas menacée, nos reporters gardent leur liberté de ton, patati, patata.
En attendant : imagine-t-on Le Figaro se fader la rédaction et la diffusion de la gazette des militants UMP ?3
En attendant (bis) : on observe d’un œil différent cette une du mardi 2 septembre, baptisée « La Ligue 1 met le paquet », où sont salués les efforts des clubs français qui, selon le journal, ont été capables durant l’été de mettre la main à la poche pour conserver ou attirer des stars et rendre ainsi plus alléchant le spectacle de la L1.4 Comme on avise d’un œil différent cette ouverture de page sur 8 colonnes, le mardi 27 août, où sous le titre « C’est reparti comme en 14 », le leader de la rubrique rugby décrypte avec force conviction les raisons pour lesquelles, pétri de stars, le Top 14 s’annonce cette saison plus bandant que jamais.5
A L’Equipe, l’amour du sport n’est jamais loin du portefeuille. Quant à l’info, bah… Vous repasserez ?6
1 Le maillot jaune tenant ses nobles teintes dorées de la couleur des pages sur lesquelles était imprimé le journal L’Auto, ancêtre de L’Equipe, au début du XXe siècle.
2 ASO présidant également aux destinées du Tour.
3 Bon, OK, l’exemple est pas terrible-terrible.
4 Ce qui reste à démontrer.
5 Se reporter du coup au site de la Ligue nationale de rugby qui renvoie joliment l’ascenseur en assurant la promotion de son fidèle partenaire.
6 Lire sur des registres similaires ce papier, quoique ancien, sur le site du Monde Diplomatique (merci à Zgur pour le lien) ou cet autre mitonné par Bakchich.