mardi 15 septembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 13h08, par
33 commentaires
Jean Moulin, Soeur Thérèsa et de Gaulle doivent en être un peu jaloux : à leur mort, ils n’ont pas eu droit au même déluge de compliments que celui qui s’est abattu autour de Brice Hortefeux, histoire de le défendre contre les viles accusations de racisme. Promu humaniste exemplaire et meilleur d’entre nous, le ministre de l’Intérieur ne devrait pas tarder à entrer au Panthéon. Minimum.
J’ai eu un rien peur.
J’ai cru - un instant seulement - que Brice Hortefeux avait profité de la nuit pour passer de vie à trépas.
S’éteignant - victime expiatoire soumise à la plus injuste des vindictes populaires - sous l’assaut des basses attaques et sombres vilénies artificiellement suscitées par quelques phrases abandonnées comme os à ronger au vent mauvais de la bienpensance.
Expectorant son dernier souffle façon martyr sur la croix droit-de-l’hommiste, pauvre homme descendu sur terre pour expier nos pêchés de transparence et démontrer - par le sacrifice suprême - l’emballement d’une société si suspicieuse qu’elle ne tolère plus la moindre vanne innocente, non plus qu’elle n’accepte de faux-pas de la part de ceux qu’elle s’est donnés comme illustres représentants.
Et agonisant littéralement sous le coup des reproches infondés et des accusations mensongères.
Bref, je l’ai cru décédé, ce bon Brice Hortefeux.
Et j’ai senti les larmes me monter aux joues.
Et j’ai clairement perçu les petits sauts affolés que faisait mon petit cœur tendre et compatissant.
Et j’ai failli pleurer le disparu.
Et je me suis réjoui de n’avoir point participé à cette curée indigne, loups sauvages s’en prenant à un homme faible et isolé, déchiquetant littéralement un être sans défense, mastiquant membre à membre et organe par organe une proie facile et sans soutien.
Puis : j’ai découvert qu’il était encore vivant.
Et je ne m’en suis que réjoui d’autant.
Que je te dise : il n’est pas surprenant que j’ai pensé trépassé notre ministre de l’Intérieur.
Tant les louanges du bonhomme se sont tellement multipliés ces dernières vingt-quatre heures qu’il faut remonter à la béatification de Bernardette Soubirou ou à la Panthéonisation de Jean Moulin pour en trouver équivalent.
Hagiographie sirupeuse qui ne se rencontre d’ordinaire que dans la rubrique nécrologie de Point-de-Vue-Images-du-Monde.
A tel point - même - que je ne suis pas convaincu que Brice Hortefeux se savait si aimé, si admiré, si reconnu.
Lui, « pétri d’humanisme » selon Hervé Morin, « honnête homme » d’après Jack Lang, « pétri dans son histoire personnelle de catholicisme social » pour Eric Besson, « homme de cœur, de dignité » selon Roselyne Bachelot, qui « n’a eu que des paroles de respect et d’aménité pour toute la communauté musulmane de France » à en croire le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, un individu « engagé depuis des années dans un discours et des échanges interculturels » selon Nora Berra, « un vrai Républicain » d’après Valérie Pécresse, un homme si respectable qu’il est « complètement incongru d’imaginer qu’il puisse avoir du racisme dans son cœur » pour Christine Lagarde et « un mec net avec un humour britannique qui n’a pas été compris » selon le grand connaisseur en la matière Eric Raoult1.
Portrait en creux qui laisse apparaître le ministre de l’Intérieur comme un subtil croisement entre les Monthy Pythons pour l’humour, Pétrarque pour l’humanisme, Jules Ferry pour la fidélité aux valeurs républicaines et sœur Thérèsa pour la tendresse envers l’humanité.
Oui : la classe !
On peut - on doit même, tant il n’est plus guère d’occasions de se poiler ces temps-ci - rire de cet empressement de la majorité à dédouaner le prétendu crucifié Brice Hortefeux, par les formules les plus creuses et les qualificatifs les plus enflammés.
On peut sourire aussi - la chose est devenue si habituelle… - d’une défense qui transforme le délinquant en victime, l’homme de pouvoir en souffre-douleur, la tête de réseau en individu isolé, le manipulateur en proie, le loup en agneau.
On peut même concéder un petit rictus face au plaidoyer aberrant d’imbécilité des partisans du ministre, tous expliquant qu’il ne peut être question de racisme puisque le jeune homme concerné ne s’est pas senti insulté2, comme si un politique n’avait de responsabilité qu’à l’égard de ceux avec qui il s’exprime directement.
Je me contenterai quant à moi de rester littéralement scotché par la puissance de feu dont a fait montre l’UMP à cette occasion.
Elle qui a mené le débat et déroulé ses contre-feux comme à la parade, conduisant une si lourde offensive médiatique3 qu’elle ferait passer le pilonnage de Stalingrad pour une opération de petits joueurs à peine capables de confectionner un bête cocktail molotov.
C’est dit : le ministre de l’Intérieur est là pour longtemps et Nicolas Sarkozy fera son Reich de mille ans.
Quant à moi, je vais me retirer en un endroit calme, histoire de lire et relire les œuvres complètes de Brice Hortefeux, de méditer sur ce qu’est l’humanisme et d’apprendre de celui qui est notre nouveau phare de la pensée à me conformer un brin au brillant esprit des temps.
1 On mettra de côté la défense de Claude Guéant, lequel s’auto-disqualifie avec tant d’enthousiasme que ça s’apparente à du sabotage : « Brice Hortefeux n’est absolument pas raciste (...), il en a d’ailleurs fait la démonstration lorsqu’il était ministre en charge de l’immigration. »
2 Si tu as quelques minutes à perdre, je te recommande chaudement cette vidéo présentant la réaction de Xavier Bertrand, avec un ministre des Affaires sociales insupportable d’hypocrisie et des journalistes lamentablement serviles.
3 Avec pour dernier avatar l’absolution donnée par l’indigne président de La Licra, Patrick Gaubert, lequel s’est répandu partout, et spécialement en une effarante interview donnée au Nouvel Observateur, pour siffler la fin de partie. En exergue -entre autres - ce passage hallucinant : « La crème de la Licra était avec moi pour rencontrer Brice Hortefeux, des gens sûrs dans leurs convictions. Nous avons ensemble réfléchi à la façon dont le ministre pouvait communiquer. Ces explications sont ce que nous souhaitions. »