ARTICLE11
 
 

lundi 22 août 2011

Sur le terrain

posté à 11h25, par Oscar A.
16 commentaires

Carnets du No Tav : « Insurrezione Alta Velocita »
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Comme ceux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les travaux de la ligne Lyon-Turin pour trains à grande vitesse (alta velocita) rencontrent une opposition acharnée mêlant locaux et activistes de divers horizons. Dans la Vallée de Suse, les heurts avec la police sont quasi quotidiens, intenses et constructifs. Récit au jour le jour d’une semaine sur place, fin juillet.

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«  Ils ont imaginé une bohème de lâches,
je vais leur en montrer une de désespérés et de menaçants !
 »
Jules Vallès, L’Insurgé

La situation : une vivante envie de se faire la belle après de longues journées régulées par le rythme de la métropole et du boulot, deux sacs, deux pouces levés. Et puis des aires d’autoroute où la vie selon Total, Sodexo et Nescafé s’étale comme les tronches des juilletistes pressés qu’on dérange dans leur trajet Citroën - Autoroute FM : ça passe ou ça casse, mais on parvient à grappiller petit à petit des bouts de la grande route. Sur le chemin, on pense beaucoup à la prochaine caisse qui va nous prendre, mais aussi à ce qu’on va trouver, là-bas…

Merci au mari et à la femme qui nous ont fait passer la frontière et nous pensaient impatients de randonner dans les Alpes italiennes. Ils n’imaginent sans doute pas quel service ils nous ont rendu, et leur petit bonheur confortable de trouer l’Espace Schengen comme on achète Libé a revêtu pour nous des airs de passage clandestin. Un sentiment délicieux.

18 juillet

« No TAV », mot d’ordre de la contestation, renvoie à une remise en cause profonde et acharnée du monde tel qu’il est. Il y a quinze ans, un accord de construction ferroviaire entre Lyon et Turin était signé, sous l’ère Chirac-Jospin-Berlusconi. Mais la vallée de Suse et ses habitants ne veulent pas de ce train à grande vitesse, de ces camions partout, de ces tunnels dans la montagne. Eux s’en fichent de pouvoir « faire Turin-Lyon » en quatre heures au lieu de sept. Et ça grince vraiment, disent ceux qui sont arrivés avant nous...

Dix-sept heures trente. Arrivée au camp de la Centrale, situé juste en-dessous de la petite ville piémontaise de Chiomonte, dans la vallée de Suse.
C’est une drôle de sensation, de se sentir là, après deux jours émiettés sur des autoroutes à traverser la France. La frontière est passée sans douleurs, à travers l’un de ces tunnels creusés à grand fracas sous la montagne. Au premier abord, sur les petites routes en lacets, tout semble calme, verdoyant. En discutant, on comprend vite le poids de l’autorité d’État qui règne ici, les flics en nombre, les apparitions de l’armée, la tension sourde qui se lit sur tout le village.

Figli di putana ! Tout ça pour que des encravatés fassent Lyon-Turin en quatre heures...

19 juillet

Ce matin, le camp est inondé. Une méchante pluie d’orage met les bâches et les toiles de tente à rude épreuve. Les présents s’accordent à dire que la nuit a été plutôt calme, comparée aux précédentes. Il y a deux tranches horaires, tous les soirs, pendant lesquelles l’objectif est d’épuiser, d’effrayer, d’assiéger les flics retranchés derrière une grille massive sur la route qui mène aux futures aires de chantier.
La première se tient de vingt-deux heures à minuit environ, et la seconde de deux heures à quatre heures du matin. Hier soir, donc, après le débat où un type a parlé - diaporama à l’appui - des fleurs, du lichen et des bergers de la vallée, tout le monde se dirige vers la grille. Là, les mains s’équipent de grosses pierres et de bâtons, et frappent en un rythme industriel sur la rambarde de métal de la route. On monte par un petit sentier escarpé dans la montagne et on se retrouve au-dessus des flics, à cent mètres en surplomb. Arrivés là-haut, nous sommes une vingtaine et frappons dans un concert infernal les rambardes métalliques : « Giù le mani della Val Susa ! » (Bas les pattes du Val de Suse !) résonne dans la vallée sombre. Les projecteurs surpuissants des carabinieri nous éblouissent, et la montagne se retrouve étrangement éclairée, d’une lumière crue, indiscrète, une lumière de couvre-feu et d’état d’exception. Dès que notre petit groupe a pris le sentier, les flics se sont reculés et casqués. Mais pas de gaz lacrymos ce soir. Parmi nous, certains s’amusent à viser les flics de loin avec des lasers, pour les éblouir. Ces derniers répondent par des coups de lampe-torches et des photos d’intimidation. Apparemment, les flics sont partout dans la vallée et contrôlent toutes les gueules suspectes, filment les tronches et les papiers : « Ragazzi, documenti ! »

Le camp est très bien organisé : il y a plusieurs tentes collectives, une cuisine avec frigos, gazinière, garde-manger, éviers. Il y a des toilettes, des douches, un bar, et même un four à pizzas ! Hier soir au menu, pasta e pizza ! C’est délicieux et ça requinque.

La question politique posée ici, dans la Val Susa, est celle de la vitesse. Non pas de la vitesse en soi, mais de la fausse nécessité de transporter les hommes et les marchandises de plus en plus rapidement, d’écourter les temps de trajet entre les pôles financiers, pour permettre aux costard-cravates de faire l’aller-retour Lyon-Turin en une journée au lieu de deux. VITE, les informations instantanées, les vols supersoniques, les voitures rapides, les escalators, mais vite aussi le pas pressé du métro, les virements bancaires, les visites à l’hôpital, le coup de gazeuse du civil, l’expulsion ou la rafle, vite ! Tout le monde sait bien que le temps, c’est de l’argent ! En témoignent depuis des années les ponts autoroutiers immenses qui transpercent la vallée pour éviter aux voitures et aux camions de passer par les cols.
Mais pourquoi donc, Porco Dio, vouloir aller aussi vite, toujours plus vite, plus vite, plus vite !? On nous presse et on se presse nous-même, pour ne pas trahir le temps des vacances, le temps du boulot, le temps du loisir, le temps de la contrainte légitime, le temps pour s’occuper de ses amis, de ses collègues, de ses enfants, de son amour, de ses parents, le temps du projet à crédit. Même le temps de l’insouciance est encadré, assuré, rassurés que nous sommes soudain par le retour à la vie normale toujours à portée de main. Assurons-nous toujours d’avoir respecté les limites, soyons certains que travailler pour se reposer du travail est un bonheur construit, raisonnable et honorable, prouvons-nous tous les jours que si la voie choisie par dépit n’est pas la meilleure, il n’en existe pas d’autres réalisables et que la trahir serait trahir la vie que les autres espèrent de nous... En attendant, les cours de la bourse calent leurs oscillations sur celles du bonheur des ménages, et les trains à grande vitesse transportent nos envies touristiques et nos ennuyeux déplacements professionnels, jusqu’au mirage-miracle-miroir de l’instantanéité1.

On peut aussi poser l’équation autrement : trois heures de train en moins, contre quinze ou vingt ans de travaux pharaoniques dans une vallée montagneuse sauvage, contre des nouvelles routes, des centaines de camions, des rejets d’uranium et d’amiante, et la transformation des villages en stations de ski pour hommes, femmes et enfants pressés. Ici les gens ont vite trouvé la réponse : No TAV !

Mais c’est aussi un prétexte, ou plutôt une occasion, pour apprendre ou réapprendre l’autonomie, l’autogestion, la vie en commun, sans les supermarchés, les hôpitaux, etc. C’est très marquant.

20 juillet

Deuxième jour plein au camp de la Centrale, aussi appelé « Nueva Maddalena ».

Hier soir, nous sommes encore une fois allés emmerder les flics. Un seau d’eau a atterri sur leurs gueules. Certains s’amusent inlassablement à les aveugler avec des pointeurs lasers, d’autres tapent avec furie sur les rambardes et la grille, d’autres encore esquissent des manœuvres d’encerclement des flics. Bref, c’est comme si on se préparait en attendant d’être en nombre suffisant pour l’assaut.

L’organisation et la répartition au sein du camp et des actions se font plutôt par groupes affinitaires et/ou de langue. Comme on ne parle pas l’italien, on baragouine du franglitalien. Sur le campement, il y a des Italiens (évidemment), des Français, des Belges, des Suisses, des Espagnols, et sans doute bien d’autres nationalités. Les gens restent quelques jours ou quelques semaines, et la rencontre devient flottante, toujours sur le fil, esquissée : le temps des contraintes ou même des envies, qui fabrique les allées et venues des uns et des autres, mais qui n’efface jamais l’intensité des moments de lutte.

Aujourd’hui, nous partons pour une marche dans la montagne, pour occuper un « presidio », sorte de piquet de grève largement amélioré, avec abris, nourriture, eau, etc. Le lieu visé est à deux mille mètres d’altitude, en surplomb des flics. Deux mille mètres, deux mille flics répartis dans toute la vallée : il y a les carabinieri, la polizia, les alpini (chasseurs alpins) et la digos (les services de renseignement).

21 juillet

Hier, la visite au presidio de la Baita a été l’occasion de découvrir une sorte de « camp avancé » dans la montagne, à l’emplacement quasi-exact des travaux du TAV. Nous découvrons une petite maison, une cabane construite dans un grand arbre, et diverses installations de campement. Sur la route, plusieurs barricades faites d’un enchevêtrement de grosses pierres et de tubes métalliques. L’ambiance sur place est à la construction d’infrastructures et à la récupération de matériaux divers. Dans la matinée, ceux qui étaient montés tôt à la Baita se sont fait contrôler, filmer, intimider par la digos. Dans la soirée, au presidio de la Centrale, pas mal de nouveaux arrivants. Tout le monde est très motivé. L’AG parle de la journée de vendredi, qui devrait être un bon gros dawa dans toute la vallée. Ensuite, la soirée se partage entre un concert de jazz-ska-rocksteady et un regain de tension à la grille, où il y a plus de monde que d’habitude et où les esprits s’échauffent. Les flics tentent de nous arroser au jet d’eau, c’est plutôt drôle, mais pas bon enfant pour autant : les slogans sont durs, les gestes déterminés. C’est le premier soir où ça bouge autant.

Il y a un rythme d’action qui n’est pas évident à appréhender au départ, dans le camp. Certains soirs sont plutôt calmes, d’autres très mouvementés. En fonction du nombre et de la motivation sur le moment, on sent une dynamique collective et individuelle à la fois : collective car rien ne se fait, de manière ostensible et publique, sans le nombre ; et individuelle car chacun reste totalement libre de ce qu’il fait, quitte à se faire engueuler s’il dépasse les limites décidées en AG. Il est frappant de constater que dans les affrontements, chaque individu peut être un nœud - ou un centre - de l’action globale, à n’importe quel moment. Il suffit d’un ou d’une qui tape sur la rambarde, et ils peuvent être trente l’instant d’après, sans qu’on sache vraiment si il ou elle a été l’élément déclencheur pour les autres. Cela donne une confiance et une liberté incomparables, ainsi qu’une bonne dose d’adrénaline…

Le face-à-face avec la violence légitime, comme dirait l’autre. La détestation de ceux d’en face et de leurs tronches étatiques naît progressivement et entretient le feu du groupe d’individus. Tous enragés par la volonté d’être libres de remettre en question le fonctionnement même de l’Etat, de ce qu’ils appellent “l’état d’urgence”. Ici, l’état d’urgence est permanent, et les nuits s’écoulent tout habillés, le matériel à portée de main.

À propos de l’AG : à Nueva Maddalena, les AG se tiennent en début de soirée, avant de manger : tout le monde s’installe en cercle devant la grande tente, et chacun parle comme il le souhaite. La seule règle est celle de l’écoute. On ne se lève pas pour parler, on ne crie pas, on discute simplement. Il n’y a pas de tribune, pas de tour de parole, et pourtant tout le monde s’écoute...

23 juillet

La journée d’hier fut la plus intense depuis notre arrivée, de loin. Nous sommes allés faire des courses à Turin2 puis avons rejoint le camp, et enfin la Baita, où les combats ont duré quasiment toute la nuit. Ce fut épique : la vallée des gaz. Nous étions environ deux centaines, dans les lumières furtives des lampes frontales, rassemblés au presidio de la Baita. Plusieurs groupes allaient et venaient dans les gaz en haut du sentier, d’autres attendaient au camp ou derrière un grand feu allumé pour l’occasion en contrebas. Je n’oublierai jamais cette nuit, ces instants de pure guérilla au creux d’une vallée superbe, sans doute bientôt polluée par le gaz CS tiré en quantité astronomique, en tir tendu et à hauteur d’homme. L’autoroute qui va de la France à Turin par de gigantesques ponts trouant la montagne a été coupée pendant une bonne moitié de la nuit, car envahie par les gaz et les camions de flics. Sabotage involontaire mais bien apprécié !

Au programme aujourd’hui, après le repos et la douche glacée pour se débarrasser du CS : spectacles de théâtre et concerts au camp de la Centrale. À cinq heures demain matin, une marche est prévue jusqu’à trois mille cinq cents mètres d’altitude pour accrocher une banderole No TAV sur la montagne. Elles fleurissent dans toute la vallée, de Bardonecchia à Torino, comme les symptômes montagneux du hiatus entre les intérêts économiques de ceux qui veulent décider de nos vies et l’air printanier et persistant d’autodétermination.

Il y a des dizaines et des dizaines de choses qui me frappent tous les jours, sur le campement et en dehors : la vie devient quasi-automatiquement une vie de communauté, ouverte, changeante selon les arrivées et les départs du jour. On n’est plus que très rarement seuls, toujours ensemble à régler les problèmes, les petits obstacles quotidiens. La rencontre est omniprésente, aisée, naturelle. La solidarité, dénuée de toute charité, de tout sous-entendu, est partout, active, efficiente, en actes. Tout ce que le vieux monde essaye d’organiser, de canaliser dans nos rapports sociaux est ici géré par l’individu. Pourtant, la vie est la plus collective possible. Seuls quelques rares moments donnent lieu à l’expression d’une certaine autorité, et ce dans des situations précises : quand les historiques du No TAV modèrent les ardeurs nocturnes des plus remontés ou bien dans certains échanges monnayés au sein du camp.
Ces échanges sont d’ailleurs intéressants car à géométrie variable : il y a deux endroits où se restaurer sur le camp : le four à pizzas et la cantine. Selon le lieu, selon l’humeur des cuisiniers, selon le nombre d’affamés sur le camp, on paye un prix fixe ou un prix libre. Souvent, heureusement, le prix fixe se transforme en prix libre, mais il est toujours désagréable de parlementer pour manger alors qu’on n’a pas le sou et que certains juste à côté se contentent d’un sourire, d’un masque à gaz ou d’un paquet de tabac.
Aucune autorité par contre dans les discussions, dans les affrontements avec les forces d’occupation de la vallée, dans les actes de la vie. En fait, un incroyable sentiment de liberté, porté par l’abandon concret du vieux monde et la rage, nocturne ou pas, de la lutte contre la « grande vitesse ». Le sentiment que tous participent à la vie du camp, inventent par leur orientation libre une inter-société, à la fois épine dans le pied du Léviathan et espace de notre souffle, là où le pouvoir s’essouffle. Ici, le pouvoir perd d’office sa faculté individuelle, qui oppose, mais acquiert celle d’un simple moyen, qui mobilise. Et qui mobilise non les masses, mais les individus ! Le moyen est inclus dans ce qu’on cherche à détruire : le pouvoir non plus d’Etat, mais le pouvoir tout court. C’est peut-être le sentiment politique le moins individualiste, car on met en scène la colère contre une vie collective aliénée montrée comme souhaitée par ceux qui informent. S’échafaude ici une individualité à plusieurs, jamais fermée sur elle-même, et sensible aux atomes crochus. Voilà ce qui naît ici dans la vie et la bataille. Et ce plusieurs renversera leur Etat, comme des métastases de liberté.

Tous les jours, l’air de rien, La Repubblica et La Stampa distillent leur prêt-à-penser perfide et factuel, caricaturent l’esprit critique de ceux qui, selon eux, agissent pour une cause déjà perdue ou désespérée. Or, nous ne nous battons pas pour une cause, au contraire, mais pour toutes les causes dans une seule, le refus et l’attaque du pouvoir. C’est une cause du désespoir. Désespérés et menaçants.

Aujourd’hui, c’est le triste anniversaire des manifs de Gênes en 2001, et on attend patiemment la nouvelle de l’émeute à la radio...

24 juillet

Hier soir, alors que les concerts allaient commencer, vers vingt-trois heures, les flics ont tiré des lacrymos jusque dans le camp et tout autour. C’était réellement angoissant car il n’y avait quasiment aucun endroit où se replier pour échapper aux gaz. Tout le camp s’est retrouvé plongé dans d’épais nuages de CS. Il y avait là des jeunes, des familles, des personnes âgées, des enfants. On ne sait pas vraiment ce qui a décidé les flics à ouvrir les hostilités : des gens très remontés devant les grilles, ces dernières qui commencent à céder par endroit, ou bien des pétards lancés d’en haut. Dans tous les cas, je n’ai jamais vu autant de gaz de ma vie. On a morflé, mais bien résisté aussi, et l’autoroute a encore une fois été coupée plusieurs heures. À deux heures du matin, le calme est revenu.

Dans ces moments-là, on passe en quelques instants d’une ambiance de camp calme et joyeuse à des scènes de guérilla pure et simple. Tout le monde est casqué, ganté, porte masque à gaz et lunettes de protection, lampe frontale et maalox dans la poche. On se rend compte qu’avec un minimum d’équipement (et on a vu des dames bien mises venir au camp pour distribuer le maschere antigas3 !), la résistance et le harcèlement continu des forces d’occupation deviennent choses relativement aisées à affronter. Nous avons l’énorme avantage de ne pas nous faire imposer des décisions par une administration, d’être mobiles et changeants, d’être dans une position d’attaque et d’avoir la rage au ventre et au cœur.

25 juillet

Hier, c’était dimanche et jour de foule au campement. On aurait dit que toute la vallée déboulait pour apporter le soutien de sa présence. Des gens de tous âges, de toutes conditions sociales étaient là par centaines, depuis Chiomonte jusqu’au campement en bas de la petite route qui descend à la Centrale. Devant la double grille, environ quatre cents personnes agglutinées en foule compacte dans une ambiance à la fois rageuse et joyeuse. Du monde aussi au-dessus des grilles, sur le versant de la montagne qui surplombe les flics et la Centrale. Et tous de crier, de taper avec furie sur les grilles et les rambardes. Quelques-uns s’essaient aux bombes à eau sur les robocops. Progressivement, les esprits s’échauffent, les familles rentrent au camp pour les concerts ou la cantine, les chasseurs alpins réservistes (tous No TAV, ou presque) jouent de la sirène et les enragés se préparent.

Le socle de ciment qui supporte la partie non-amovible de la grille a été méticuleusement sapé, gratté, attaqué à l’abri des regards flics, et les différents renforts métalliques arrachés ou considérablement affaiblis par les coups incessants.
Soudain, la première grille cède du côté où on s’y attendait le moins (ses gonds). C’est le signal, imprévisible mais espéré, qu’attendait la foule pour se déchaîner. Un instant rageur suffit à faire d’une situation de siège pacifique - à la lisière du bon enfant - une émeute généralisée : les pierres pleuvent sur les flics, totalement désorientés pendant quelques bonnes minutes, les sweats, gants et cirés s’enfilent en une seconde.
Très vite, les lacrymos dégringolent sur le pont, le camp et le versant surplombant. Le canon à eau est mis en place, mais peine à être efficace sous le nombre et la mobilité des assaillants. Certains courent au camp et ramènent des caisses entières de grosses pierres. L’autoroute est coupée une fois de plus. Une lacrymo qui manque de foutre le feu au camp est éteinte dans la précipitation. Les caillasses s’abattent en une belle pluie d’été sur les flics. Devant la puissance de l’attaque, ils retirent le canon à eau, ouvrent les grilles et chargent. Les pierres redoublent sur les uniformes, mais tout le monde reflue. Ici, les flics ont passé le stade de la répression. Ils sont assiégés, et ceux qui se sont fait choper le trois juillet ont été humiliés et torturés. Toute la nuit, les flics resteront devant la grille et sur la montagne, dans une ambiance hypertendue : au menu, jets de pierres localisés, jets de pétards, injures en continu, et actions variées.

Nous rentrons en ayant beaucoup appris. Et L’Insurgé de Vallès n’est pas de trop pour supporter l’attente de l’écroulement à grande vitesse.

Encore une fois : les regards s’affûtent, le monde changera.



1 Comme le chante l’éminent Fantazio dans « à ce train-là » : «  ce train d’enfer me ment comme un arracheur de dents.  »

2 Merci d’ailleurs aux délocalisateurs pour les dons gracieux relocalisés dans nos sacs.

3 Masque antigaz.


COMMENTAIRES

 


  • lundi 22 août 2011 à 15h10, par Isatis

    De l’air frais cet article ! Bien relaté et optimiste, un peu trop ? Je ne sais. Ces luttes dont je n’ai plus l’âge (arf...) me réjouissent mais elles ne peuvent inscrire de victoire que si les flics, mirlitons et autres encasqués du pouvoir, larguent l’uniforme et rejoignent le camp des tranquilles pas pressés. Ils sont si peu à gouverner nos vies qu’on devrait pouvoir les écraser d’une chiquenaude.

    Merci jeune homme pour ton récit ;-)



  • lundi 22 août 2011 à 18h55, par Je suis moi-même, c’est un travail à plein temps

    Si j’ai bien compris, les participants à ces manifestations sont très peu nombreux, totalement étrangers à la vallée en question et coupés de tout contact avec ses habitants. Vous n’avez pas eu l’impression d’être des envahisseurs ou des ovnis ? Vous me direz : les flics aussi le sont - c’est exact, et c’est très exactement ce qui me dérange dans cette affaire.

    • mardi 23 août 2011 à 10h20, par Oscar A.

      Sans doute me suis-je mal exprimé, mais c’est inexact : certes la mobilisation au jour le jour sur place ne mobilise « que » quelques centaines ou milliers de personnes, mais il y a eu plusieurs manifestations « monstres », dont celles du 3 juillet et du 30 juillet, qui ont rassemblé entre 50000 et 80000 personnes.

      D’autre part, il y a à Val Susa sans doute plus d’habitants de la vallée mobilisés que de gens venant de l’extérieur : c’est très frappant quand on est là bas, on se retrouve au milieu de petits vieux, de familles et d’enfants, et ce sont clairement les plus remontés contre le projet. La singularité de ce combat est que, justement, une problématique locale donne lieu à des réflexions globales sur la question de la vitesse de la société, et que les gens sur place sont très ouverts au passage de « touristes militants ». Dans tous les cas, la force de ce mouvement est qu’il est à la fois centré sur un projet localisé, et inclus dans une problématique globale traitée comme telle.

    • mardi 23 août 2011 à 10h24, par ZeroS

      La remarque est juste, même s’il me semble que dans le texte les habitants du Val sont évoqués par deux fois. Les relations (ou l’absence de) nouées avec les habitants méritent tout de même d’être précisées. Des témoignages ou des tribunes d’habitants seraient tout-à-fait intéressants.

      Il est aussi nécessaire de rappeler que la première confrontation et le mouvement qui a mené à l’installation d’un camp vient de la convergence de trois marches une même journée d’été : l’une menée par des élus locaux avec des habitants, l’autre d’écolos et la dernière d’autonomes. Par ailleurs, l’opposition au projet TAV dans la vallée n’est pas récente et qu’elle existait avant que le « tourisme militant » ne se développe.

      En dehors des médias anars, libertaires et autonomes, je suis surpris de rien trouver sur le sujet à partir de recherche par mots-clés (« tav », « val de suse », etc.) sur un portail comme Rezo.net ou un webzine comme Basta ! qui se préoccupe de luttes environnementales.

      Cette remarque sur les habitants m’évoque la lecture de témoignages de paysans pauvres piémontais recueillis après la Second guerre mondiale par Nuto Revelli dans Le monde des vaincus publié aux éditions Maspero. Ces derniers parlaient de leur monde en voie de disparition en période de guerre et, parfois, des activités maquisardes des partisans. Bien qu’évidement le choix des témoignages était pro-partisan, le compilateur - écrivain, communiste et ancien résistant - n’avait pas fait l’impasse sur la parole des paysans pour qui l’action des partisans apparaissaient comme une menace (ils n’étaient pas fascistes, mais espéraient seulement conserver de la veille au lendemain leur bol de polenta). Enfin... ce commentaire n’a aucun rapport - ou presque - car les deux situations historiques n’ont strictement rien à voir (sauf à beaucoup extrapoler à partir des écrits métaphysiques de Tiqqun), cependant il est toujours essentiel que ce qui sont là, habitent là, ne se voient pas retirer la parole - d’un côté, comme de l’autre.

      L’écume de l’événement a ses limites.

      • mardi 23 août 2011 à 11h19, par tiétienne 3000

        Salut les gens,
        les camarguais seront t’ils aussi courageux quand viendra l’heure des travaux de la grande et inutile autoroute projetée dans six ans ? voilà de la bonne info motivante et un beau combat, rendez-vous des vivants. merci bien

      • mardi 23 août 2011 à 11h33, par P.

        « « tourisme militant » » ?

        Le fait de ne passer que quelques jours dans un camp climat, no border, à un sommet de l’OTAN, ou ici au Val de Suse, expériences courtes, confinées dans le temps contraint par un boulot, est-ce que ça fait de ceux qui font le déplacement des touristes ?

        • mardi 23 août 2011 à 12h13, par Oscar A.

          Ce n’était vraiment qu’une expression, certes mal choisie, mais voulant signifier que certain-e-s se déplacent en fonction de leurs envies et combats !

          Mea culpa ! ;)

          • mardi 23 août 2011 à 14h07, par ZeroS

            Ce terme est teinté d’un certain cynisme auto-critique me semble-t-il.

            Des points chauds pourraient exister en Camargue, sur le plateau de Saclay (Grand Paris) ou ailleurs encore, en même temps, puissance et consistance du quotidien en plus, exotisme carnassier du déplacement en moins.

            Bisous.

          • samedi 3 septembre 2011 à 14h15, par un-e anonyme

            ça me ferait mal de faire un mea culpa

            un touriste, c’est quitter son domicile pour une durée supérieure à 24 heures.

            à moins que le mec qui parle considère les autres comme ses domestiques.



  • mardi 23 août 2011 à 16h21, par Quadru

    Message à « Je suis moi-même » :
    D’abord, juste une remarque sur ton pseudo : si je n’étais que moi-même, je ne serais pas grand chose, je suis toutes les rencontres qui m’ont façonné et me façonnent encore.
    Ensuite, si tu veux te documenter un peu, en italien, il existe plusieurs sites, il suffit de taper « no-tav » sur ton moteur de recherche et tu verras que ce sont avant tout les habitants du Val di Susa qui constituent le noyau de cette lutte. Sans eux, et leur bagarre qui dure depuis 20 ans, crois-tu vraiment que des gens venus de l’extérieur auraient réellement pu s’opposer à ce qui se présente avec toute l’arrogance de l’inévitable Progrès ?
    Si tu veux aller vérifier par toi-même, tu peux aussi noter les prochaines échéances sur le site de no-tav Savoie.http://www.over-blog.com/profil/blo...

    Voir en ligne : http://quadruppani.blogspot.com/

    • mercredi 24 août 2011 à 19h02, par Je suis moi-même, c’est un travail à plein temps

      Cher Serge,

      Je suis un lecteur attentif de vos écrits, et j’avais déjà décelé que l’humour comme l’auto-dérision ne vous étouffaient pas : il est donc absolument normal que vous ne la remarquiez pas chez les autres. Ceci pour le pseudonyme que je m’étais choisi.

      Cela dit, je n’ai pas de moteur de recherche, je ne lis pas l’italien, j’ai très peu de croyances, je ne tape rien ni personne et je suis persuadé qu’il est des circonstances où l’on doit s’opposer aux opinions des « natifs du lieu » (il y a nombreux exemples historiques, je n’épilogue pas...). Mais l’absence quasi-totale de ceux-ci dans ce court récit m’avait frappé (tout comme la symétrie entre manifestants et policiers, si fréquente dans les récits de manifestations : c’est une histoire de miroir et de fonctionnement similaire qui me gêne toujours autant).

      Plus important quand même, et ceci pour Oscar A. :
      Merci pour votre réponse précise, convaincante et courtoise. Finalement, votre texte était plus le reflet de ce tourisme militant que vous mentionnez à juste titre que de la réalité de la lutte locale, et il y manquait des précisions sur l’articulation entre les deux. Le manque est donc signalé et corrigé : tout va bien.

      • jeudi 25 août 2011 à 08h41, par Quadru

        Cher Je suis etc.,
        Si je n’avais pas d’humour, je te dirais que l’auto-dérision de ton pseudo n’est qu’une forme un peu élaborée d’exhibitionnisme narcissique, maladie extrêmement banale de notre époque téléréalisée, mais comme j’ai de l’humour, je ne te le dis pas.
        P.S. : un trait d’humour est dissimulé dans cette réponse, sauras-tu le déceler ?



  • mercredi 24 août 2011 à 17h17, par max

    Merci l’ami pour ce beau récit de cette si belle lutte, où militants locaux et activistes hors-sol forment une magnifique et menaçante communauté - mais désespérée, jamais.



  • mercredi 28 décembre 2011 à 08h25, par Fernando5a

    Avant toute chose compliments pour cette présentation tout autant limpides et posées. Sans critiquer certains points auraient supporté plus de développement en particulier dans la fin du billet. Simplement un moyen de dire que je suis pressé de lire la suite

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