Biffo (Franco Berardi), est un auteur et activiste italien, ancien du mouvement autonome qui n’a pas renoncé à transformer le monde. Son ami Serge Quadruppani a traduit un de ses textes, « Cendres », avec cette explication : Je traduis ce texte qu’il vient de m’envoyer et qui me semble à la fois splendide et éclairant, comme un nuage de cendres dispersées dans le soleil. Tout est dit.
Je suis bloqué dans une belle cité de la côte occidentale norvégienne qui s’appelle Trondheim. Juste en face de l’Islande. Je devais partir jeudi et voler jusqu’à Bologne, où il y avait une réunion de « Bologne ville libre ». Mais ce matin, mon amie Jean m’a téléphoné pour me dire qu’il se passait quelque chose qui entrainait l’annulation de tous les vols, et que je devrais partir le lendemain. Le lendemain, je vais à l’aéroport et on me dit que je devrais attendre le lendemain. Puis j’ai commencé à réfléchir. La cendre ne s’en ira pas si vite. Elle va rester dans le ciel européen pendant des jours et des semaines. Les journaux d’ici le disent désormais clairement. Les compagnies aériennes sont en train de chercher à imaginer l’effet sur leurs affaires déjà éprouvées par la crise financière. Mais l’important n’est pas là. L’important est que la classe dirigeante européenne est bloquée à terre. Ils ne peuvent pas bouger. Le groupe dirigeant polonais, homophobe et raciste, a été anéanti par l’imprévisibilité du ciel. Maintenant le ciel est tout simplement en train de déclarer la fin de cette Union européenne basée sur l’avarice et le racisme.
L’union européenne, qui n’a pas su ni voulu affronter la crise grecque, qui ne veut ni ne sait affronter la récession avec l’abandon des politiques néo-libérales qui ont provoqué la récession, est maintenant condamnée.
Ce qui est en train de se passer est un appel à l’action, et à la pensée. Les producteurs de l’intelligence collective et les poètes de toute l’Europe devraient commencer à combattre pour Europe02, pour un nouveau concept qui soit fondé sur la puissance du travail intellectuel non sur le commandement financier de la Banque centrale.
Mais personne ne répond à l’appel. Les intellectuels français sont morts, ceux qui respirent et écrivent sur les journaux sont de vieux maoïstes repentis de leur passé qui lèchent le cul au pouvoir économique. Les intellectuels italiens sont aveuglés par les paillettes de la dictature du bouffon. Ils disent des mantras en défense de la constitution italienne (et ils font bien) mais ne comprennent pas que l’infection ne sera pas déracinée du peuple italien. Le peuple italien n’a pas été capable de se libérer de Mussolini en 1939, ils ont pendu par les pieds le cadavre d’un dictateur battu par les anglo-américains. Mon père a été partisan, mais il ne m’a jamais caché cette vérité. La même chose est en train de se passer : Berlusconi ne sera jamais battu par les Italiens, il sera battu par les nouveaux Européens. Il y a quelques jours, en parlant dans une assemblée publique dans la ville de Stavanger, en Norvège, j’ai demandé aux intellectuels norvégiens d’entrer dans l’Europe. Eux m’ont répondu : pourquoi devrions-nous le faire ? L’Europe existante n’est capable que d’exploiter le travail et de déplacer les énergies et les ressources sociales vers les profits des banques. Nous, Norvégiens, nous utilisons la richesse qui provient du pétrole pour le bien commun. En effet, les ouvriers norvégiens gagnent des salaires de 50 000 euros par an et les services sociaux sont bien meilleurs que dans n’importe quel pays du continent néo-libéral.
Pourquoi devraient-ils renoncer à leur pétrole en échange du despotisme avare de la Banque centrale européenne ?
Mais moi je leur ai répondu : je vous comprends. Mais l’Europe dont vous parlez est destinée à mourir bientôt. Une nouvelle Europe devrait être construite, basée sur l’amitié et sur la créativité, non sur l’avarice et la grossièreté et le racisme. Venez en Europe nous aider à détruire la dictature de la Banque centrale. Venez en Europe nous aider à détruire le racisme ignorant de Schengen.
Biffo.