jeudi 5 février 2009
Le Cri du Gonze
posté à 02h21, par
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Enfer et damnation ! Nos médias ne seraient pas toujours aussi parfaits qu’ils en ont l’air… Vous en doutez ? C’est pourtant évident pour qui observe un tantinet le traitement réservé aux expériences politiques à l’oeuvre en Amérique latine. A en croire nos donneurs de leçon médiatiques, la contrée ne connaîtrait d’autres régimes politiques que ceux menés à la baguette par d’infâmes dictateurs. Dans la réalité, par contre…
« Si on gagne avec 60 pour cent des voix, les médias parlent de match nul. Si on gagne avec 80%, alors les médias parlent de dictature, de république bananière… »
Dans Tintin chez les Picaros, lecture politique de référence s’il en est, il y a ce personnage vicieux et lâche, dictateur du San Théodoros, le général tapioca. Rien qu’à voir sa tête, on sait que c’est un méchant très méchant, du genre à martyriser son peuple avec une constance de chacal : petite moustache vicieuse et postillons, aussi chauve qu’un footballeur français vantant les vertus du Mc-do, un cigare fidel-castrien perpétuellement fixé aux lèvres ; le faux jeton dans toute sa splendeur. On voit venir ça gros comme une maison : avec lui, il n’y aura pas de rédemption possible. Un dictateur pur jus, avec escadrons de la mort de rigueur et geôles sous le palais présidentiel pour torturer tranquillos.
Juste une bande-dessinée ? Même pas… Dans la vision occidentale de la politique en Amérique du Sud, c’est comme si le général Tapioca restait la norme, le prototype parfait de l’homme politique. On en tire vite la conclusion qui s’impose : dans ces contrées sauvages peuplées de réducteurs de tête et de paysans illettrés, peu habituées à nos us et coutumes politiques si parfaitement démocratiques, le vote est une mascarade. Car la cause est entendue : sur ces terres perdues pour la civilisation, la démocratie est toujours dévoyée, foulée aux bottes par des tyrans sans scrupules, mi-Tapiocas, mi-Castros, mi-Perons. Pas un vote qui ne soit entaché de fraudes, d’urnes bourrées, d’interventions militaires et de diverses fourberies typiquement sud-amerloques.
Ça ne rate jamais. Il suffit que l’actualité politique d’un de ces pays pointe le bout de son nez pour que tout de suite nos scribouillards occidentaux sortent la brosse à caricaturer, à grimer en dictateur. Curieux phénomène que nous appellerons « syndrome du Tapioca », histoire de faire scientifique.
Vérifier l’existence de ce « syndrome du Tapioca » ? Rien de plus simple, c’est à la portée du premier venu : prenez une démocratie exemplaire (disons plutôt : plus exemplaire que la nôtre) et plongez-la dans une solution composée de médias occidentaux paresseux et de néo-libéralisme ambiant. Laissez-la macérer le temps qu’un scribouillard de la trempe socio-traître d’un Laurent Joffrin écrive un éditorial furibard et que quelques cruches du service photo dénichent une photo du dirigeant concerné arborant une bouille particulièrement haineuse (genre le mec vient de marcher sur un clou). Et ? Vous obtiendrez forcément - magie des médias - une dictature impitoyable ou, au mieux et si vraiment il n’y a pas la moindre broutille autoritariste à reproche au régime en question, une expérience politique qu’il est nécessaire d’occulter. Déformation ou chape de plomb médiatique, les deux mamelles récurrentes du journalisme à l’occidental dès lors qu’il s’agit de parler d’Amérique Latine.
× Le Vénézuela de Chavez ? Une dictature en bonne et due forme, où les voix divergentes toujours sont étouffées, bafouées.
× La Bolivie de Morales ? Une semi-démocratie dans laquelle un président diviserait le pays, le ménerait à la guerre civile faute d’écouter l’opposition.
× L’Equateur de Correa ? Une expérience politique désastreuse qui ne tardera pas à montrer ses limites. Et un pays beaucoup trop insignifiant pour qu’on en parle.
× Le Paraguay de Fernando Lugo ? Le Paraquoi ? C’est un pays, ça ?
× …
Il ne s’agit pas de faire une typologie de tous les pays progressistes d’Amérique du Sud, situés plus ou moins à gauche sur l’échiquier politique. Mais de pointer une déformation politique assez révélatrice de la complète nullité de nos médias.
Pas convaincus ? Ok, deux exemples suffisent (même si on pourrait les multiplier) : la Bolivie et le Vénézuela
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Evo Morales, l’affreux indigène raciste qui traîne son pays vers la guerre civile
D’abord, la Bolivie de Morales. Voilà un régime regardé de haut parce que soit-disant à bout de souffle, menant le pays à la guerre civile, à l’étripage dans les règles. Les - très rares - comptes-rendus occidentaux consacrés à la question reprennent tous peu ou prou l’argumentation de l’opposition bolivienne : Morales aurait « quasiment perdu » le référendum sur la constitution il y a une semaine. « Demi-défaite », « victoire au goût amer », les qualificatifs peu flatteurs ne manquent pas pour rendre compte de ce qui au final est une victoire nette et sans bavure.
L’argumentaire utilisé ? Le pays serait plus divisé que jamais car Morales n’écouterait pas les voix divergentes qui se seraient exprimées via ce vote. Les chiffres sont pourtant sans appel : 60% des voix pour le « oui ». Qui sous nos latitudes donneuses de leçon pourrait se targuer d’un tel soutien populaire ? Et ceci après avoir triomphalement remporté un autre référendum portant sur sa politique juste six mois auparavant ? Quel meilleur exemple de démocratie qu’un régime remettant en si peu de temps deux fois de suite son mandat et sa politique entre les mains du peuple ?
Que l’opposition bolivienne mente et déforme les chiffres est une chose2, que cela soit la seule source d’information de médias occidentaux qui copient-collent sans vergogne le rédactionnel pondu par ces réactionnaire en est une autre, salement révélatrice.
Comme le dit le journaliste argentin Pablo Taricco : « Ils oublient que, dans toutes les parties du monde, une élection se gagne avec 50 % des voix plus un vote, comme au foot : une partie se gagne (…) même s’il n’y a qu’un but de différence. » Une règle qui ne se discute pas en Europe ni aux Etats-Unis, alors que les scores y sont immanquablement plus serrés (combien a fait Sarkozy, déjà, aux présidentielles ?). Mais voilà, ainsi que le souligne Sergio Caceres : « Si on gagne avec 60 % des voix, les médias parlent de match nul. Si on gagne avec 80 %, les mêmes parlent de dictature, de république bananière… »
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Hugo Chavez : ce caudillo bouffi et castrien qui n’aime rien tant que fouler la démocratie d’une botte sanguinaire
Ces petits arrangements avec la vérité, on les retrouve à propos du Vénézuela. En novembre 2008, le parti de Chavez remportait une incontestable victoire aux élections législative, avec 53% des voix (contre 41% pour l’opposition). Cela n’empêchait nullement Le Monde, quotidien de référence, de présenter ce résultat comme une défaite, affirmant que le président vénézuelien avait « connu ses premiers revers dans les urnes », ceci parce que les états les plus peuplés avaient plutôt penché en sa défaveur3. Le même quotidien prétendait également sans rougir dans une édition précédente que si le président vénézuelien perdait le référendum constitutionnel de décembre 2007, il imposerait par la force ses réformes. Et ? Ben… Chavez a perdu. De moins de 1 % (50.7 % pour le non), mais perdu quand même. Le pseudo-dictateur a accepté cette défaite, ne cherchant pas à imposer sa volonté à un peuple qui avait tranché. Le Monde n’a par contre jamais fait son mea culpa sur la question.
S’agissant du président vénézuélien, on pourrait continuer longtemps, tant la désinformation à son propos est une espèce de sport national chez les journalistes hexagonaux. Ainsi de cette chaîne de télévision, RCTV, soit disant fermée par un tyran « antisémite » dont le passe-temps favori serait de piétiner joyeusement la liberté d’expression. Problème : cette chaîne est toujours accessible sur les chaînes câblées vénézueliennes et sur internet, Chavez ayant simplement décidé de ne pas renouveler la concession hertzienne d’une chaine réactionnaire financée par des fonds américains assez douteux.
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Sur le fond donc, que ce soit en Bolivie, au Vénézuela ou ailleurs, ces atteintes à la démocratie si fréquemment décelées chez ces passionnés de putsch militaires que seraient les sud-américains ne sont donc finalement qu’une forme de rhétorique oiseuse, voire haineuse, envers des salopards incapables de se conformer au bon modèle néo-libéral à l’occidentale, voire - horreur - opposés à l’impérialisme yankee qui a dominé la région pendant si longtemps.
Pendant ce temps, de par chez nous, un régime de plus en plus dur grignote les libertés publiques, traque les terroristes jusque dans leurs chiottes sèches et, pas plus tard qu’il y a peu, s’est tranquillement permis de passer outre un processus électoral tout ce qu’il y avait de plus démocratique. Du « non » à la constitution européenne, ce régime donneur de leçons n’a pas tardé à s’affranchir via le scélérat Traité de Lisbonne. Imaginons un instant que Morales, Correa ou Chavez se soit permis la même chose, la réponse n’aurait pas tardé. Levée de bouclier instantanée dans la presse, déferlante de manchettes vitupérant contre l’autoritarisme d’un dictateur sanguinaire… : on en aurait bouffé pendant deux mois, du syndrome Tapioca. Alors que là, bizarrement, nada, rien, peau d’chique.
Je ne voudrais rien insinuer, beaucoup trop respectueux de l’incomparable qualité de nos médias indépendants et investigateurs. Mais… se pourrait-il qu’il existe deux poids deux mesures dans le traitement de l’information ? Mieux : selon qu’un régime penche plus ou moins dans le sens du vent néo-libéral, le traitement médiatique qu’on lui réserve varierait-il un tantinet ? Rhhôôô…
La démocratie exemplaire, camarade ? Si elle se trouve quelque part, ce n’est sûrement pas chez nous…