mercredi 17 décembre 2008
Le Cri du Gonze
posté à 08h36, par
16 commentaires
Ça va faire jaser, c’est sûr. Et on va encore nous accuser de rapprochements foireux, tant le « point Godwin » se retrouve pour le coup pulvérisé. Il n’empêche : quand on reçoit un courrier de ce genre à Article11, on tergiverse un moment, mais on finit par le publier. Parce que certaines pratiques de manipulation ne sont pas neuves et que remonter à leur source ne fait jamais de mal...
Tout d’abord, je souhaite vous féliciter.
De ces limbes éloignées que mon âme damnée habite désormais, là où des rôtissoires infernales tannent ce cuir teuton que je croyais à toute épreuve, Lucifer m’admonestant régulièrement une double portion de supplices aussi fourchus que tarabiscotés (je prends ça pour un compliment), j’ai suivi avec intérêt l’affaire qui agite votre contrée depuis quelques temps.
Je tiens à vous le dire, j’ai été très favorablement impressionné par la manière dont vous avez exploité la chose. Mon avis sur vos agissements ? Un travail d’artiste, de virtuose de la propagande. D’un rien abyssal (quelques barbus sympathiques de retour à l’état de nature), faire une affaire d’état, un risque majeur pour la sécurité du territoire ? Je n’aurais pas fait mieux.
Si tout n’était pas parfait, s’il vous reste encore à apprendre pour atteindre les cimes désinformationnesques que nous atteignîmes en notre glorieuse époque, ce que vous avez réalisé dans un petit village paumé de Corrèze, n’était pas loin d’être une manœuvre magistrale. Des coupables sortis de nulle part, des médias aux ordres, un climat réactionnaire...
Ah, l’épouvantail de l’anarcho-autonomie, quelle splendide réactualisation de notre coupable parfait à nous, le coco Rouge et machiavélique, couteau entre les dents.
Et je dois avouer - j’ai toujours été un brin mégalo - qu’à vous voir vous escrimer à construire de toutes pièces une figure de terroriste intérieur, j’y ai vu une forme d’hommage à ma personne. Cela fait toujours plaisir de voir que le chemin que vous avez tracé durant votre vie est ensuite repris par d’autres. Que vous n’avez pas œuvré en vain. Vanité, quand tu nous tiens...
En mon temps, c’est vrai, nous avons poussé les choses plus loin. Et, si je sens en votre gouvernement certaines évolutions prometteuses, certains flirts avec ce régime de Vichy qui de collaborer avec nous gagna en considération ce qu’il perdit en indépendance, il vous reste des progrès à faire pour atteindre ce qui fit notre grandeur. Nous ne partageons évidemment pas la même « Wetltanschaaung », Messieurs du gouvernement français. Ce serait trop beau. Je ne vois point poindre en vous de grands desseins de purification de la race. Ni de volonté avouée de pousser le contrôle jusqu’au meurtre collectif.
Reste que cette route que vous empruntez, celle qui fait son beurre de la peur, du recours au sécuritaire à tout-va, de l’hystérie collective contre un ennemi dont on amplifie démesurément la menace, n’est pas loin de mener à un totalitarisme dont j’ai toujours admiré la rectitude, la grandeur morale. Votre Etat, chaque jour davantage, se nourrit de contrôle, de propagande. C’est là une chose nécessaire pour la grandeur d’une nation.
Je vous vois mettre en scène des preuves inexistantes (une lampe frontale, des horaires SNCF), hurler au terrorisme dans un grand vide judiciaire, et je m’y retrouve totalement. L’absence de preuves ferait l’innocence ? Non, elle souligne la culpabilité. Comme je l’avais déclaré il y a longtemps, pour une autre cause il est vrai : « Le complot juif est d’autant plus évident qu’il est impossible d’en apporter la preuve. » Il me semble que ce raisonnement, dans votre position, est plus que jamais d’actualité. Vous pataugez sans preuves, voire, on vous apporte des démentis à vos allégations ? Qu’importe, ces coupables sont parfaits, ils resteront en prison, la sécurité du bon peuple, celui qui avale la lavasse médiatique à grandes goulées avides, est à ce prix.
Permettez-moi juste, chers confrères, quelques conseils pour la bonne marche de vos affaires. Sur la longueur, ce but que vous semblez viser, ce « sarkozysme de mille ans », vous ne pourrez l’atteindre qu’en multipliant les actions de ce type, en recourant à la frousse populaire, au grand barouf de l’ennemi intérieur agité inlassablement. Comme vous l’avez fait en déterrant Action Directe, en tirant à Boulets Rouges sur un ancien terroriste qui avait eu le tort de s’ouvrir un peu trop à un plumitif insistant. Comme vous saurez, je l’espère, le faire avec ces pains d’explosifs opportuns trouvés au Printemps. En matière de propagande, on n’en fait jamais assez.
Rappelez-vous l’incendie du Reichstag le 28 février 1933, cet événement si opportun et si habilement mis en scène, qu’il nous permit dès notre accession au trône démocratique de grapiller les pleins pouvoirs. Rappelez-vous ce coupable idéal que nous trouvâmes, un simple d’esprit hollandais nommé Marinus van der Lubbe1 que nous catapultâmes illico comme fer de lance de la canaille intérieure assoiffée du sang des bons allemands de souche. Souvenez-vous en bien : de ce seul événement, nous sûmes conquérir l’Allemagne.
Je vous sens capable de telles choses, Messieurs du gouvernement. Avec un peu d’imagination, vous pourriez redonner ses lettres de noblesse à ce sport dont je fus le champion ultime, la propagande. Encore un effort, vous y êtes presque…
Ps : par la présente, je m’auto-administre un point Godwin de taille respectable. Il est donc inutile de venir en rajouter sur le sujet, je plaide coupable...
1 Suite à l’intervention de Véritophile, commentateur émérite, la rédaction tient à modérer ce propos de Goebbels (« simple d’esprit ») visant celui qui après tout fut peut être le tout premier résistant, et n’eut que le tort d’être aisément manipulable. Le déluge de calomnies et fausses accusations s’étant abattu sur ce jeune idéaliste hollandais est finalement un exemple parfait de propagande, et ceci aussi bien de la part des nazis que des staliniens.