mardi 2 juin 2009
Le Charançon Libéré
posté à 13h41, par
17 commentaires
Soit : le crash de l’Airbus d’Air France laisse des centaines de familles endeuillées. Soit : il s’agit de la plus grave catastrophe aérienne de ces dix dernières années. Pas de quoi - pourtant - démoraliser les opérateurs des marchés, qui ont poursuivi gaiement leurs petites opérations. Mieux : certains en ont profité pour spéculer et amasser quelques pépètes supplémentaires.
Ce qu’il y a de bien avec les marchés financiers, moralisés ou non, c’est qu’ils ne déçoivent jamais.
Mais alors : jamais !
Et c’est un véritable enchantement pour l’observateur critique de vérifier - puisque le constat n’a rien de neuf - combien la pseudo-rationalité des opérateurs des marchés n’est rien d’autre qu’une réactivité crétine et dénuée de tout scrupule, le plus souvent absurde et quelquefois ridiculement macabre.
Ainsi de la réaction boursière à l’annonce du crash de l’avion d’Air France.
Une nouvelle qui - ce n’est pas encore le plus aberrant - a entraîné une chute du cours de la compagnie1.
Ce que l’AFP explique avec des mots fort bien choisis en chute de l’une de ses dépêches consacrées aux conséquences financières du drame aérien :
Blablabla-blabla… au moment même où une source aéroportuaire à Roissy affirmait qu’il n’y aurait plus « aucun espoir » pour le vol Air France disparu des écrans radars.
Le titre Air France-KLM est tombé dans le rouge a peu près au même moment. Il a en revanche terminé en très légère hausse de 0,31% à 11,26 euros.
Tombé dans le rouge, on n’aurait su mieux dire…
Ce n’est pas tout.
Les choses étant bien faites, l’agence de presse s’est fait un devoir de revenir sur la façon dont le cours d’Air France pourrait être impacté par le crash.
Et elle n’a pas hésité à investiguer sévère, allant jusqu’à recueillir la déclaration très autorisée d’un spécialiste du marché.
« Cela fait partie de la vie des compagnies aériennes », a ainsi brillamment estimé - quelques heures après le drame - Yves Marçais, vendeur d’actions chez Global Equities.
Lequel, professionnel jusqu’au bout des ongles, a poursuivi, alors même que les petits poissons et gros prédateurs de l’Océan Atlantique n’avaient sans doute pas encore eu le temps de commencer à boulotter les morceaux éparpillés des 228 victimes de l’accident : le déficit pour la compagnie aérienne se fera surtout sentir « au niveau de l’image ».
C’est clair : ça craint pour « l’image »…
Insensible, les opérateurs de marchés ?
Allons donc : pas tous.
Et certains n’ont pas manqué de se réjouir du drame, en profitant pour spéculer et prendre les bénéfices.
Ainsi de ceux qui ont joué sur la rumeur (pourtant tout de suite démentie par la banque) de la présence à bord de l’appareil perdu d’un ou plusieurs des dirigeants de BNP Paribas.
Et qui ont fait plonger le cours de l’action, laquelle « a enregistré la plus forte baisse du CAC 40, cédant 1,95% à 48,53 euros, dans un marché en forte hausse de 3,11% », toujours selon l’AFP.
Alors… loin de moi l’idée de regretter que l’action BNP Paribas puisse se prendre une sévère dégelée.
Mais quand même : faut-il que les opérateurs en aient des grosses comme des melons pour se dire « tiens, il y a un putain d’avion qui a décidé d’aller faire mumuse avec la poiscaille, est-ce qu’il n’y aurait pas moyen d’engranger un max de pépètes » ?
Oui, il faut.
Tellement grosses, même, que ça forcerait presque l’admiration…
Terminé ?
Même pas.
Parce que si les dirigeants de BNP Paribas n’étaient pas à bord de l’avion, d’autres cadres dirigeants avaient bien leurs billets, relate Le Figaro.
Ainsi :
Le quotidien O Globo a révélé qu’avaient notamment pris place à bord du vol le prince Pedro-Luis d’Orléans et Bragança, 26 ans, descendant du trône impérial brésilien, Erich Heine, le président de la filiale brésilienne du sidérurgiste allemand ThyssenKrupp, Luis Roberto Anastacio, président du groupe Michelin pour l’Amérique du Sud, Antonio Gueiros, directeur de l’informatique de Michelin… blabla-blabla….
Je le reconnais : il est peu probable que les spéculateurs jouent à la baisse ou à la hausse la famille royale brésilienne2.
Mais je ne peux par contre que vous incitez à surveiller les cours de Michelin - que le site Boursorama mentionne d’ailleurs parmi « les valeurs à suivre » de la journée, et de ThyssenKrupp.
M’est avis qu’il y a de la thune à se faire.
Un max…
Je sais, je sais : vous allez me dire que le constat est bien naïf.
Que c’est chose connue que les marchés n’ont pas de cœur et qu’il faut vraiment être un incurable romantique pour encore s’en étonner.
Et que les petites opérations boursières et spéculations minables opérées à l’occasion du crash de l’avion d’Air France ne sont rien par rapport aux fortunes réalisées par ceux qui parient sur l’industrie d’armement lors du déclenchement d’un conflit armé, non plus qu’elles ne représentent grand chose face aux bénéfices effectués à l’annonce d’un plan de licenciement quelconque.
Vous avez raison.
Mais il n’empêche : ça me laisse quand même sur le cul, mi-amusé mi-atterré3
Et je ne vois guère d’autre conclusion que cette classique sentence4 : le monde ne pourra aller mieux que quand le dernier trader aura été pendu avec les tripes du dernier banquier.
Avant, rien ne sert d’espérer une quelconque amélioration.
1 Momentanée, puisque le cours Air France s’est, à en lire les spécialistes, « plutôt bien maintenu ».
2 Quoique…
3 Une spéculation boursière qu’il convient de rapprocher d’une autre, médiatique celle-là. A voir les « journalistes » et photographes se précipiter sur les familles de victimes à l’aéroport, à vérifier la multiplication des angles les plus ridicules pour traiter du crash en long, en large et en travers, on se dit qu’il y a des baffes qui se perdent… De même pour les deux pseudos-miraculés, couple français qui avait tenté d’embarquer à bord de l’avion écrasé et se répand désormais dans tous les médias - notamment Le Monde, Le Figaro, France 2 ou Le Parisien pour raconter sa chance inespérée et se féliciter de la mansuétude de « la providence ».
4 Déjà souvent utilisée, mais qu’importe.