lundi 5 juillet 2010
Le Charançon Libéré
posté à 16h22, par
30 commentaires
Dis-moi : face à la crise, tu serais plutôt « relance » ou « rigueur » ? Les deux, mon capitaine ? Ça tombe bien : notre ministre de l’Économie a pensé à toi. Avec la création d’un néologisme ridicule, la « ri-lance », Christine Lagarde foule aux pieds toute réalité économique. Et affiche surtout sa volonté - dans la droite ligne de l’enfumage élyséen - de prendre les habitants de ce pays pour des crétins.
En un sketch mémorable, les Inconnus ont campé l’étrange et ridicule langage de ceux qui font profession de vendre tout et n’importe quoi à des gens qu’ils estiment assez crétins pour tomber dans leur filet aux grossières mailles.
Ça se nomme Les Publicitaires.
C’est simplement jouissif.1
Et tu peux le visionner ICI, si tu ne l’as jamais vu (ce qui m’étonnerait).
Sur scène, donc, trois fils de pub chargés de la campagne électorale d’un certain Jacques Glandu - nom transformé en Jack Beauregard pour les besoins de la cause publicitaire.
En leurs mots, toute la misère du marketing : franglais obsessionnel, néologismes ridicules et autres errements syntaxiques, parfaite façon de montrer qu’il n’est que du vide derrière le pompeux du langage.
Et puis, une exacte description de ce qui réunit publicité et politique : même volonté de vendre, semblable façon de considérer les gens comme des clients et les clients comme des abrutis, identique tentative de faire passer de creux concepts pour une réelle idée.
Toutes choses fort bien résumées par le slogan de campagne que les chargés de pub dégottent : « Jack Beauregard, pour une politique ferme mais pas trop ».
Ainsi que par le concept qu’ils y accolent : « Si j’ai bien compris le profil du candidat, détaille Pascal Légitimus, Jack Beauregard c’est l’homme qui rassemble la droite et la gauche dans une nouvelle tendance politique ? Ok, donc ça nous donnerait : la droiche. »
Tu te dis peut-être que Les Inconnus sont bien gentils, mais qu’il faudrait voir à ne pas trop s’égarer sur des chemins de traverse ?
Tu as raison, évidemment.
Mais tu négliges un point : il ne faut jamais douter de la capacité de foutage de gueule de ceux qui nous gouvernent ; avec eux, réalité et caricature finissent toujours par se confondre.
Hier, à Aix-en-Provences, Christine Lagarde en a apporté une très jolie illustration.
Affirmant d’abord : « Relance ou rigueur, ce n’est pas un choix, ce n’est pas un noeud gordien pour moi. »
Avant de pondre fièrement un très ri-dicule néologisme pour expliquer cette position : « La politique économique que nous menons en France actuellement, c’est une politique de ri-lance. »
Ne ri-gole pas…
Rigueur et relance font ri-lance, donc, comme s’il était possible de pratiquer les deux.
Mot improbable pour une politique économique qui l’est tout autant, néologisme n’ayant d’autre ambition que de continuer à camoufler aux Français la réalité de ce qui les attend2.
Et il n’est pas anodin - puisqu’on parle de mots - que le seul moment où le régime sarkozyste consente (par la voix de Claude Guéant) à avouer la vérité, celle de la rigueur à venir, ce soit en une autre langue et dans un média étranger : « We have to do more of course, a lot more »3, indiquait ainsi le secrétaire général de l’Élysée au Financial Times, voilà quinze jours, pour annoncer un automne très rigoureux.
Au Financial Times et à ses lecteurs, la vérité (en anglais) ; aux Français, une pathétique construction stylistique pour ne pas dire les choses.
Les mots restent toujours affaire de mensonges.
Droiche des Inconnus ou ri-lance de Lagarde, du pareil au même.
Sinon que les premiers, au moins, moquent et se moquent sans nous prendre pour des crétins : il est frappant de constater combien les pires comiques ne sont jamais ceux qui s’affichent comme tels.
Tu noteras, pourtant, que Christine n’est pas seule responsable.
Et que les médias reprenant, sans ri-re et avec sérieux, ce très absurde concept pondu par la ministre de l’Économie portent eux-aussi une large part de culpabilité.
Ceux qui seraient censés décrypter mots et discours ne le font pas.
Et préfèrent louer les immenses qualités de la reine de Bercy - à l’image de ce très long et inepte papier paru le 26 juin dans Le Monde 2, Christine Lagarde au sommet : scandaleuse déclaration d’amour à la ministre de l’Économie, sans esprit critique ni distance, l’article est en sus incroyablement plat et ennuyeux4.
Propagande et mensonge : tout est dit.
Et ça ne me fait - finalement - même plus ri-goler.
1 (Private réglement de compte) Et cela aura aussi - par delà la caricature - le mérite de rappeler à certains combien, à trop prendre les prétendues recettes des pubards au sérieux, on court le risque de transformer une cohorte de ridicules et dévoyés satrapes en professionnels efficaces et influents, de leur donner de cette essence qu’ils ne parviendraient jamais à acquérir seuls. C’est un peu comme considérer que Gilbert Montagné est un grand compositeur : c’est rigolo, ça amuse tout le monde, mais il y a un moment où il faut arrêter de prendre de pathétiques vessies pour de conséquentes lanternes. (Eheh…)
2 Un mensonge permanent qu’on mettra en parallèle avec la relative honnêteté du Premier ministre anglais : si les politiques menées en France ou en Angleterre seront les mêmes, il n’y a qu’outre-Manche que le pouvoir politique a eu la décence de jouer carte sur table, David Cameron annonçant (lui) des années de « souffrance » pour le peuple britannique.
3 « Nous devons en faire davantage évidemment, beaucoup plus »
4 Note que Le Monde 2 n’en est pas à son coup d’essai, magazine qui faisait paraître, quelques semaines avant, un tout aussi long et louangeur papier à propos de Laurence Parisot ; j’en parlais ICI. À l’évidence, le titre a résolument choisi son camp.