jeudi 25 mars 2010
Le Charançon Libéré
posté à 22h29, par
19 commentaires
Les barricades se suivent, mais ne se ressemblent pas vraiment ; logique, au fond : plus de quarante ans ont passé. Qu’importe, en bon écologiste, Daniel-le-(prétendu)-vert recycle les événements auxquels Dany-le-rouge a pris part, il y a fort longtemps. N’hésitant pas à proposer une nouvelle (et très tiède) mouture du célèbre Appel du 22 mars 1968. Pourquoi s’embêter ?
Je fais chaque jeudi une petite chronique sur la radio libre FPP, à 12 h 15. Comme d’habitude, je te la copie-colle ici.
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! »
Alphonse de Lamartine n’était pas la moitié d’une buse.
Et l’insupportable romantique a su laisser à la postérité quelques vers en forme d’inoubliable legs testamentaire.
Lui parle d’un temps que les moins de 200 ans ne peuvent pas connaître.
Mais ses rimes, comme autant de slogans publicitaires gravés dans la mémoire collective, ont traversé les siècles et les années.
Si intemporelles qu’elles finissent mal récitées en tous lieux, et même au micro de FPP – c’est assez dingue quand on y réfléchit et pour la peine je te les replace, spéciale dédicace à Alphonse :
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! »
On a - toi comme moi - passé l’âge des explications de texte.
Mais je pense que nous serons d’accord, Ami, pour lire dans ces quelques vers l’angoisse de la petite trotteuse allant son bonhomme de chemin, tic-tac-tic-tac, valse à mille temps vers la torpeur, la grisaille et la morne déliquescence d’une vieillesse ennemie - ô rage, ô désespoir.
Et pour y lire un immense désir de vivre, sans penser à la mort ni à la trahison, à l’affaissement des chairs et à la dégénérescence des âmes.
En résumé, ce brave Alphonse ne disait pas autre chose que ce qu’ont clamé gaillardement, plus de 150 ans après lui, les enragés de mai 68 : il faut vivre sans temps morts et jouir sans entraves.
Et puis courir, parce que le vieux monde est derrière toi et qu’il adviendra bientôt le moment où il te dévorera tout cru.
Voilà.
Peut-être penses-tu que c’est là un rapprochement un brin tiré par les cheveux, Lamartine et mai 68.
Mais je n’en ai cure, parce que ce parallèle met précisément en avant quelque chose dont je veux - rapidement - te parler, sujet tournant autour de la vérité de la colère et de l’embourgeoisement du temps.
Je pense à cet appel électoraliste poussé il y a quelques jours par Daniel Cohn-Bendit dans Libération, pour promouvoir la création d’un mouvement « politique écologiste autonome » au-delà d’Europe Ecologie.
Une tribune qui est parue le 22 mars, date choisie à dessein : Daniel Cohn-Bendit fait très explicitement référence au mouvement du même nom, s’en réclamant même en introduction.
Lequel mouvement - je te le rappelle si tu as séché les cours d’histoire révolutionnaire - a officiellement lancé en 1968 les événements que tu sais, débuts officiels d’un très joli mois de mai qui allait faire trembler la grise République gaulliste.
Avec l’occupation de la salle du conseil des professeurs de l’université de Nanterre ce 22 mars 1968, la contestation s’ancrait en un temps et en un lieu, se trouvait figures charismatiques - Daniel Cohn-Bendit, pour commencer - et se donnait une vitrine idéologique, discours anar teinté de situationnisme, de maoïsme et d’anti-impérialisme.
Le moment est resté fondateur.
Bref : le mouvement du 22 mars n’est pas tout-à-fait du pipi de chat.
Je ne suis pas le gardien du temple de mai 68, mouvement dont tous les meneurs - ou peu s’en faut - sont devenus ce qu’ils abhorraient, se fossilisant à vitesse grand V, plus vite encore qu’ils n’accédaient aux manettes de ce pouvoir qu’ils prétendaient haïr .
Et le joli coup de colère n’aura finalement pas laissé grand-chose à la postérité, sinon des mots d’ordre sonnant comme des slogans marketing et une si vague mythologie qu’elle peut être récupérée par le premier publicitaire venu.
Je ne suis pas le gardien du temple de mai 68, disais-je, mais je dois bien avouer que l’initiative de Cohn-Bendit me les défrise sévère.
Et que je trouve malvenu qu’un homme s’étant renié avec autant d’ambition ait le culot de faire aujourd’hui référence au plutôt classe mouvement du 22 mars, héritage radical sur lequel il n’a depuis longtemps plus aucun droit.
Même si je - quand même - ne manque pas de goûter l’ironie de cet appel bidon en un journal itou : il y a si loin du Cohn-Bendit rebelle et de Libération issu des tumultes du début des années 70 aux mêmes aujourd’hui que cela fournit une très jolie illustration à la médiocrité des temps, mutatis pas mutandis (et en pire).
Je le sais, pourtant : je ne devrais pas être surpris.
Et Daniel Cohn-Bendit a mille fois prouvé, ces trente dernières années, qu’il n’avait plus grand-chose à voir avec ce joyeux trublion anarchisant ayant contribué à foutre un bordel d’anthologie dans la France de 1968.
C’est que l’homme est désormais converti aux joies du marché : « Je suis persuadé que si on dit non à l’économie planifiée socialiste, on dit oui à l’économie de marché. Il n’y a rien entre les deux (…). Je suis pour le capitalisme et l’économie de marché », déclarait-il en 1997.
Qu’il s’est fait l’apôtre des privatisations : « Des services comme le téléphone, la poste, l’électricité n’ont pas de raisons de rester dans les mains de l’État », affirmait-il à la même époque.
Et qu’il est devenu un chantre forcené de l’Europe du libre-échange : « Chacun demeure libre de rêver d’un monde sans marchés financiers internationaux, sans libéralisation des échanges, sans globalisation de l’économie. Mais que gagnerait l’Europe, et chacun de ses peuples, à s’inscrire dans cette nostalgie ? », feignait-il de s’interroger au mitan des années 90.
Passé au fil des ans de l’extrême-gauche à la gauche de la droite, dorénavant porté aux nues par des trentenaire et quadras désireux de mettre en l’urne un bulletin vaguement coloré de vert sans que celui-ci ne se teinte d’une quelconque critique sociale, Daniel Cohn-Bendit n’est plus rien d’autre qu’un triste avatar publicitaire, starlette médiatique enchaînant les passages télés1.
Et cet énième accroc porté à ses idéaux passés, ceux du mouvement du 22 mars, le confirme une fois de plus.
Je vais m’en tenir là.
Noter que, décidément, on ne devrait jamais vieillir.
Citer une dernière fois ce brave Lamartine – ô temps, suspends ton vol, bla-bla-bla-bla.
Et conclure sur cette apostrophe de l’écrivain Marcel Jouhandeau aux manifestants de mai 68 : « Rentrez chez vous, dans dix ans vous serez tous notaires ! »
Ben voilà.