samedi 26 juin 2010
Le Cri du Gonze
posté à 23h56, par
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Un des groupes les plus étranges du planisphère, entre musique country et influence Burroughs, Sud ricain profond et highlands écossais. Les Country Teasers, qui sévissent depuis le début des nineties, mélodies hirsutes en bandoulière, méritent une oreille attentive - voire plusieurs. Ne serait-ce qu’à cause de cette chanson incroyablement obsédante : « Golden Apple ».
Comme si un démiurge musical taré, et probablement accro aux neuroleptiques, s’était emparé de l’univers de James Lee Burke, Jim Thompson ou Jim Harrisson – provinces ricaines décharnées, lumières rasantes, personnages flous et fous, noirceur aux aguets – pour le plonger dans un creuset mélodique taillé sur mesure. La Bible Belt et le fantôme de Jerry Lee Lewis, les seins de Dolly Parton et la noirceur de Gun Club, rassemblés et concassés dans une mixture musicale fleurant bon l’errance en terre yankee. Une préparation tout en légèreté, en ombre portée, antidote à la trépidation moderne. D’ailleurs, les quelques quadrupèdes gigotants (daims ?) et le porcelet fouisseur inaugurant la vidéo ne sont pas là par hasard, c’est certain : ils annoncent la couleur, la plongée rednecko-mélodique à venir.
À écouter et regarder leur interprétation live de « Golden Apple », on jurerait que les Country Teasers ont le Texas pour port d’attache. Ou bien la Louisiane, le Montana, ce genre. Bref, des terres fantasmées propices à l’errance fantomatique, à la country erratique et aux murges à l’alcool frelaté. Bah non. Les Country Teasers sont écossais. Gosh. Des faussaires ? N’exagérons rien. Des envoûtés, c’est tout.
Pour en revenir à « Golden Apple », le morceau de la vidéo ci-dessus, extrait du bien nommé Destroy all human life (atmosphère atmosphère)… Il fait partie, donc, de cette catégorie de morceaux dont tu ne sauras jamais définir précisément la puissance balistique, même si tu te dotais d’un Bac+7 en musicologie. Impossible. Ce ne sont pas les paroles qui provoquent l’enthousiasme (d’ailleurs, je n’en comprends pas la moitié). Ce n’est pas non plus ce riff de guitare hypnotique et dépouillé à l’extrême – même moi je pourrais le faire. Ni l’accompagnement rythmique basse-batterie qui ne casse pas trois pattes à un daim, pris isolément. Il y a bien la voix sépulcrale de B. R. Wallers et son débit étonnamment envoutant, mais, là-aussi, difficile d’en faire le déterminant principal du yahou ressenti à l’écoute du morceau.
Non, c’est autre chose, un liant paranormal, élément autour duquel je tourne si souvent dans ces chroniques musicales, sans jamais réellement mettre le doigt dessus, conjonction entre connexion synaptique (il y a là quelque chose qui me parle personnellement, envahit mon espace mental) et alchimie créatrice (les éléments ici présents s’emboitent à la perfection, lego démoniaque). Un truc que - en désespoir de cause - j’appellerais « essence » d’une musique ; osons le terme : son « âme ». Et, d’avoir écouté en boucle – ou quasi – « Golden Apple » depuis deux moins environ1, j’en mettrais désormais ma main à couper : cette musique exhale un surplus d’âme, dégouline de soul.
Et même : pour résumer ce titre, je trouve plus facile d’avoir recours à une image. Ça tombe bien, la pochette de l’album Satan Is Real Again, or Feeling Good About Bad Thoughts (enregistré en 1996) résume parfaitement ce que je ressens. Un squelette élégant au possible, un intérieur qui explose de couleur, des murs qui se font peinture, la mer rouge dans ton garage. As said Kafka : « Point n’est besoin de quitter ta chambre, reste à ton bureau et écoute. Non, n’écoute même pas, attends. Non, n’attends même pas, reste là, immobile et solitaire. Et le monde défilera devant toi et se roulera à tes pieds, en extase. »
Les Country Teasers sont taillés dans le bois dont on fait les grands - et paradoxalement, enthousiasmants - dépressifs. Smog, les Swans, Daniel Johnston, The Fall, Joy Division… Des types qui te donnent envie de bénir la création tout en te passant la corde au cou, de danser une gigue dans la morgue du coin. La tête sous l’eau, mais des étoiles dans les yeux.
Formés en 1993 avec un certain B. R. Wallers à sa tête (fou furieux), le groupe a commencé par fusionner country et littérature trasho-underground, avant d’ouvrir ses horizons musicaux. Provocants, ivrognes et méchants, ses membres se sont taillés une réputation d’emmerdeurs de première, à tel point que The New York Press écrivait encore récemment à leur sujet : « Les Country Teaser sont meilleurs question art que Sonic Youth, et meilleurs question picole que les Pogues – et ils n’ont pas besoin de l’art ou de l’alcool pour se comporter en salopards provocants. » Jolie carte de visite.
Le matériel country-teaserien présent sur Internet n’étant pas des plus croustillants, je ne multiplierai pas les vidéos. Mais te conseillerai plutôt de te procurer The Empire Strikes Back (2008), ou une galette plus datée, et d’y plonger un jour de grisaille. Ceci dit, « Adam Wakes Up » (2002, ci-dessus) et « Come Back Maggy » (1999, ci-dessous) valent leur pesant de cacahouètes dépressives. Et même, pour cette dernière : si Maggy n’est pas revenue après ça, c’est qu’elle n’a pas de cœur.