lundi 25 novembre 2013
Sur le terrain
posté à 13h21, par
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Vendredi dernier, les habitants de cette chatoyante cité qu’est Rueil-Malmaison (banlieue chicarde parigote) ont eu le bonheur de voir un aéroport s’installer dans leur ville. Le lieu choisi n’avait rien d’anodin, puisque la piste de décollage était située devant le siège de la multinationale Vinci, pourvoyeuse émérite de grands projets saccageurs (notamment à Notre-Dame-des-Landes). Retour à l’envoyeur...
Droite et altière, la voix portant haut dans les frimas de novembre, la représentante de Vinci délivre son message devant un parterre convaincu : « Un jour, les arbres et légumes seront transformés en avions, en TGV, en autoroutes », prophétise-t-elle. Grognements d’assentiment dans l’assistance. Sur sa lancée, portée par le souffle de l’histoire en marche, la porte-parole s’enflamme, percutante et galvanisante : « Parce que ça, au moins, c’est utile. Les animaux seront relégués au musée et au laboratoire. Là où on pourra les conserver et les utiliser sans qu’ils ne gênent de trop. Et puis les places publiques, si tristes et sales, seront transformées en centres commerciaux, bien propres et rassurants. » Hourra !
En ce 22 novembre, Vinci lève le voile. On est à Rueil-Malmaison, devant l’imposant siège de la multinationale, et l’enthousiasme est à son comble. Les dirigeants de Vinci le savent, Xavier Huillard son PDG en tête, chaque nouveau méga-projet engrangé avec le soutien de l’État est synonyme de fric en pagaille1. Il faut donc les multiplier allégrement, ajouter toujours plus de béton au grand chantier mondial. Et le projet célébré ce jour-ci possède une dimension symbolique des plus balistiques : quoi de plus beau qu’un nouvel aéroport à deux pas du siège de la société ? Quoi de plus enivrant que d’arriver au boulot par la voie des airs ? Oui, comme à Notre-Dame-des-Landes, le bonheur des populations concernées est à son comble. Et le chœur de chanteurs qui accompagne l’inauguration ne pourrait taper plus juste : « Du bitume, pas des légumes / Du béton, pas des oignons / Du pognon, pas des marrons ! » N’est-ce pas là ce que nous voulons tous ?
Alors quand la représentante de Vinci lance la salve finale – « On bétonnera tout... par amour du gris. Bienvenue dans le monde merveilleux de l’aéroport total » -, le public ne peut s’empêcher de reprendre en chœur : « Vive l’aéroport total ! »
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Bon, pour être franc, le public n’est pas si fourni que ça ce vendredi matin. Une grosse cinquantaine de personnes, pas plus. Mais tout le monde participe, se prend vite au jeu. Parce que, mine de rien, l’action-happening mitonnée par le Collectif francilien de soutien à la lutte de Notre-Dame-des-Landes a de la gueule : construire un aéroport-fiction devant le siège même de Vinci pour lui mettre l’espace de quelques heures le nez dans ses nuisances-béton, c’est aussi réjouissant que finement trouvé. Et les détails sont mitonnés aux petits oignons : hôtesses d’accueil désagréables au possible, « tour de faucon-troll » reluisante, « porc-épic » de sécurité drivé d’une main de fer par un personnel formé à la lutte anti-terroriste (C’est quoi, ces ciseaux ? Vous faites partie d’Al-Qaïda ?), policiers et militaires en maraude, etc., tout y est. Jusqu’aux volatiles en péril encombrant la piste de décollage/atterrissage de leurs plumage
Le décor étant posé, reste à mettre en scène le clou de la journée : le premier décollage d’un avion depuis l’aéroport intergalactique de Rueil-Malmaison. Moment frisson. Si le Royal Coke Air s’envole comme sur des roulettes, la suite se révèle plus mouvementée : après un passage épique devant le cordon policier disposé à l’entrée du siège de Vinci, l’appareil commence à perdre de la hauteur et finit sa course sur le béton francilien, fracassé ; ses passagers trépassés éparpillés au petit bonheur la chance. Krach !
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Dans un éditorial pastiche rédigé spécialement pour l’occasion et distribué lors de l’action, le PDG de la boîte, Xavier Huillard, livre le fond de sa pensée : « Nous pouvons être fiers de ce que nous faisons, et j’aimerais que vous puissiez enfin assumer comme moi la tête haute les mots qui nous sont lancés à la figure par nos opposants : exploiteurs, expropriateurs, gestionnaires du désastre. Souvent, nous ne mesurons pas toute l’épaisseur de ces mots, nous les envisageons de loin, et comme des caricatures creuses et faciles, alors qu’il est si gratifiant de se délecter de leur sens profond. Ce rôle qui est le nôtre n’est pas facile : donner un raison de se battre aux petites gens, aux personnes qui veulent vivre simplement et choisir leur mode de vie, qui préfèrent défendre la nature, les animaux et les arbres qui existent plutôt que de compenser ailleurs la destruction irréversible d’un petit bout du monde. »
Cela fait désormais un bail que son message est entendu. Et les « raisons de se battre » contre les saccageurs du monde se font chaque jour plus évidentes, de NDDL au Val de Suse en passant par la forêt de Khimki2. Les opposants à l’aéroport de NDDL l’ont bien compris, eux qui s’échinent à ne pas baisser la garde3 et cherchent à donner à leur lutte une résonance maximale. En offrant un aéroport flambant neuf à Vinci, ils n’ont en rien changé la donne, évidemment. Mais ont délivré un joli pied de nez aux tenants d’un monde bétonné. C’est déjà pas mal. « Une partie de notre pouvoir repose sur notre image », écrit - à juste titre - Xavier Huillard dans son faux communiqué. Détricoter ladite image, avec humour, sur les terres mêmes d’un prédateur du béton particulièrement gratiné, n’a rien d’anodin. Et permet d’efficacement pointer les contours de cette Zone à Détruire qui fait office d’habitat privilégié des saccageurs et finira bien par s’effriter. Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Yep, mais peut-être plus pour longtemps...
1 Pour en savoir plus, lire Les Prédateurs du béton, de Nicolas de la Casinière, publié aux éditions Libertalia et consacré aux dessous peu ragoûtants de Vinci.
2 Forêt située à proximité de Moscou et également cible des saccages de Vinci.
3 En un communiqué publié peu avant l’action, le Collectif francilien résumait bien les enjeux actuels : « Cette action a lieu pour montrer notre mobilisation présente et rappeler certains événements qui ont eu lieu l’année dernière sur la Zone à Défendre — expulsions violentes et destructions de lieux de vie, puis réoccupation et reconstructions, constitution de plus de cent comités de soutien en Europe... Alors que sur place, à NDDL,les 23 et 24 novembre, des opposant.e.s vont planter des arbres sur le tracé du barreau routier, *pour notre part, en île-de-France, nous allons interpeller l’éxécuteur du projet Vinci, là où se trouve son siège social et « construire » SON aéroport devant chez lui, à notre façon, c’est-à-dire avec humour ».