jeudi 9 juillet 2009
Le Cri du Gonze
posté à 18h19, par
15 commentaires
D’humeur lugubre aujourd’hui, il me fallait un défouloir, de quoi extérioriser mes envies de meurtre. Alors, je me suis lancé sur un sujet qui me tient à (contre)cœur : la grande messe médiatique et ses effets anesthésiants sur nos concitoyens, particulièrement en période d’élection. Entre émeutes gare du Nord et Papy Voise lacrymal, retour sur quelques faits de gloire démocratique. Propagande, quand tu nous tiens...
mais pour obtenir un effet. (Goebbels)
Le démocrate français convaincu est un être fier et hautain. Héritier des Lumières et de la Révolution Française, il a pour lui le bagage de l’histoire et il ne se prive pas de le rappeler. Lourdement. Quand tu avoues, voire – imp(r)udent ! –, revendique l’abstention ou le dédain électoral, il te regarde avec une morgue pleine de suffisance, genre BHL interrompu dans une tirade par une remarque jugée indigne, et tu es censé te recroqueviller de honte devant ce coup d’œil revolver. Les mots ne tardent pas à emboiter le chemin balisé de son mépris sans fond : « Va donc dire ça aux Iraniens/Nord-coréens/Tunisiens/Cubains (barrer selon actualité), tu verras ce qu’ils répondront à tes attitudes de petit-bourgeois effarouché. Tiens, on devrait t’envoyer là bas, pour que tu leur explique pourquoi tu chipotes sur tes droits électoraux… »
Le démocrate français convaincu, outre qu’il est souvent casse-burnes, n’aime donc pas trop qu’on « chipote » sur la question, ça le rend aigri. Par contre, il aime bien se gausser des autres démocraties occidentales, forcément imparfaites. Les ricains en 2000 et la pantalonnade Bush/Gore, ça les a fait glousser d’aise. Avoir un président minoritaire en voix, hin hin, sont trop forts, ces yankees.
Las. Je ne voudrais pas faire de rapprochements foireux (je t’entends déjà hurler), mais j’estime que – quitte à se foutre de la gueule des Américains ou à descendre en flamme les Iraniens – on devrait s’autoriser un minimum de regard critique vis-à-vis du jeu électoral français tel qu’il a fonctionné ces derniers temps. Non pas qu’on ait beaucoup pratiqué le bourrage d’urne (techniquement parlant), je te le concède volontiers. Mais pour ce qui est du bourrage de crâne et de la manipulation médiatique…
Je pensais à ça récemment en lisant le livre-référence d’Emmanuel Todd, Après la démocratie(2008, Gallimard, une merveille de balistique). À ces ficelles tellement grossière qu’on ne les relève plus vraiment. Ainsi, de ces « émeutes » gare du Nord en mars 2009 qui – il faut bien l’avouer – arrangeaient bien celui qui quittait alors son poste de ministre de l’Intérieur pour la dernière ligne droite présidentielle. Un banal incident, un contrôle qui part en vrille et puis les choses s’étaient enflammées. Bizarrement. Sans tomber dans la théorie du complot à la réseau Voltaire, on notera comme Emmanuel Todd que tout ça tombait à point et sentait sa barbouzaderie à plein nez :
Le 26 mars, Nicolas Sarkozy quittait le ministère de l’Intérieur. Le lendemain, à la gare du Nord, des affrontements spectaculaires opposaient bandes de casseurs et forces de police. Au soir du premier tour de l’élection présidentielle, le sondage TNT Sofres dit de « sortie des urnes » indiquait que ce qui avait le plus influencé le vote des électeurs de Sarkozy était, mentionné par 43% d’entre eux, le choc de la Gare du Nord. (…)
L’enchaînement des faits, leur importance obligent à s’interroger (ce que la presse n’a pas fait) sur la spontanéité de ces affrontements. L’agent provocateur, après tout, est une figure familière dans l’histoire. Faute d’information crédible, il est évidemment impossible d’avoir la même certitude. (…) Mais nous devons au moins poser la question tant l’épisode de la Gare du Nord a joué un rôle central dans la campagne présidentielle. Jamais Nicolas Sarkozy n’aurait atteint 31 % des suffrages au premier tour sans le climat de fièvre qu’engendra cet événement, pas seulement en lui-même mais aussi et surtout parce qu’il rappelait la grande flambée des banlieues survenue dix-sept mois auparavant.
Tout cela est dit avec des pincettes, c’est respectable, Emmanuel Todd n’est pas intellectuel à s’aventurer dans des terrains trop mouvants et à s’exposer sans précaution sous le feu de la critique. Reste qu’on sent, derrière la nécessaire retenue, la quasi certitude de l’enfumage. Pour être franc, je partage plutôt (euphémisme force 9) son point de vue.
Revenons deux minutes sur les faits en question : des vidéos qui tournent en boucle, des images floues qui ne montrent pas grand-chose (surtout des mouvements de police), des journalistes présents dès le commencement de la chose, des jeunes « casseurs » qui ravagent deux trois vitrines mais ne blessent personne, des chiffres plus qu’exagérés (il semblerait que le nombre de 300 jeunes excités avancé par la police ne coincide pas exactement avec la réalité du terrain), des casseurs plus que louches, comme le montre la chouette photo ci-dessus (ah, le jeune des banlieues traînant gare du Nord avec sa matraque télescopique, son 1,90 mètre pâlichon, sa coupe Légion et ses airs bovins de RG mal maquillé, ça nous rappelle une récente fin de premier mai]. Décidément, ces gens-là maîtrisent à la perfection l’art délicat du camouflage…) et un timing parfait pour le président en devenir, qui pouvait se poser en berger idéal pour moutons égarés1. Pas de preuve, pas de certitudes, mais une méchante impression de s’être fait salement manipuler.
D’autant plus que – c’est là le nerf de la guerre – l’importance de l’événement a surtout été le fait d’une sphère médiatique qui, sur le sujet de l’insécurité, n’hésite jamais à remettre couche sur couche, à empiler les appels à l’hystérie généralisée, jusqu’à l’écœurement. De TF1 à Marianne, de M6 au Point, tous unis pour faire frissonner les glands téléphages. Philippe de Villiers résumait alors très bien le sentiment partagé par le TF1phile moyen : « La société a tourné du côté des malfrats. Des bandes ethniques sont installées sur notre territoire et considèrent que même la gare du Nord, c’est leur territoire (…). Voilà le résultat de l’immigration incontrôlée. » Bien vu, Philippe.
Rien de nouveau sous le soleil, tu me diras. Tu auras bien raison : depuis ce jour sacré où, tout auréolé de la possession d’une carte électorale flambant neuve, je votais Escroc en croyant voter Anti-facho, les élections semblent inéluctablement destinée à sombrer dans cette dérive médiatique manipulée. Je ne te parle même pas de l’abrutissement habituel, quotidien, du Spectacle qu’on se prend tous (plus ou moins, il est vrai) en intraveineuse médiatique (si je m’embarque sur les Situs, on est pas sorti de l’auberge, et j’ai Yoga à 19h pétante…). Mais plutôt des petites recettes pré-électorales qui ne manquent jamais de payer. Une élection se pointe, et hop : le grand jeu !
Puisque tu n’es pas convaincu par mon exemple précédent (ne mens pas, je te sens réticent), il suffit de remonter aux élections précédentes. 2002, le grand « choc », le Pen au second tour. Souviens toi, quelques jours – trois exactement, soit le 18 avril – avant le premier tour, ces images tournant en boucle, un papy nounours aux yeux tristes, tellement gentil qu’on aurait voulu le serrer sur son cœur, le consoler : les larmes aux yeux qu’on avait. Papy Voise, l’aïeul aux yeux de biche, s’était fait méchamment dérouiller pour des clopinettes. La racaille (on ne l’appelait pas encore officiellement comme ça à l’époque, mais le cœur y était) avait frappé, deux jeunes non identifiés. Devant son pavillon brûlé, il pleurait sur nos tubes cathodiques – « Ils ont mis le feu à ma maison. Ils voulaient des sous. Moi j’en ai pas. » Et la journaliste de TF1 d’oser le geste charognard de base, serrant le vieil homme d’une main pleine de compassion – et en une des journaux. Insupportable : il fallait que ça change. Comme un seul homme, comme en 40, la France s’était levée, direction l’isoloir, la rancœur nationale dans le cœur, on connaît la suite.
Dans Le Cauchemar Médiatique (2003, Denoël), Daniel Schneidermann revenait sur le phénomène :
Le visage tuméfié du gentil vieillard tombait à pic. Comme si la fresque apocalyptique brossée, toute l’année précédente, sur les écrans de télévision2, avait besoin de l’image de la victime absolue, faible d’entre les faibles, un vieillard sans ressources, et naturellement dépourvu de toute méfiance, triplement faible, triplement victime, victime idéale.
Emballement médiatique, donc, différant largement des émeutes de la Gare du Nord car ne baignant pas sous les mêmes soupçons (on voit mal Papy Voise s’auto-agresser tout seul pour servir Le Pen et l’UMP…), mais pervertissant tout autant le principe démocratique. L’agenda médiatique jouait ici le rôle qu’on lui connaît bien, celui de prescripteur politique (c’est de cette époque que le PS a conclu son grand virage sécuritaire, embrayant sans retenue sur le thème de l’insécurité, il paraît qu’il y avait des voix à récolter, ils attendent encore...).
Je sais : tu vas me dire, au vu des deux exemples cités, que la chose relève seulement de l’insécurité, thème irrationnel s’il en est car jouant sur la peur, soit le meilleur des outils politiques. Je te répondrai que j’attends toujours de voir une élection récente sur laquelle ne baignerait pas cette vapeur viciée alliant désinformation et manipulation à grande échelle. Souviens toi, par exemple, de ce référendum de 2005 sur la constitution européenne : ils ont tout fait, les bougres, pour te faire « bien voter », multipliant les unes biaisées, te traitant de xénophobe et d’ethnocentré, de pote à De Villiers et à Dupont-Aignan. Ils ont même réinventé la figure du maghrébin (tu sais, celui qui vient jusque dans nos campagnes pour lutiner nos femmes et abreuver leurs sillons) à l’échelle européenne, avec ce plombier polonais plus menaçant que Conan. Je te l’accorde : cette fois-là, ça n’a pas marché. Mais ça n’a pas changé grand chose. Et tu diras ce que tu voudras, sur ce coup-là, la démocratie en a pris un sacré coup…
Je pourrais empiler les exemples. La diffusion d’Home, du bouffon financier Yann Arthus Bertrand, à l’occasion des récentes élections européennes, par exemple. Je sais bien, c’est surtout le FN qui a dénoncé la chose, mais je dirais quand même que sa diffusion n’était pas des plus honnêtes. Que l’envoi par l’Elysée de consignes aux préfets pour favoriser sa diffusion préélectorale n’est pas exactement l’idée que je me fais de la démocratie parfaite. Et que, à vrai dire, il est difficile de trouver meilleur exemple de Spectacle abrutissant et électoralement prescripteur que le film de l’huître photographe3. Tu me répliqueras que, blablabla, le film a été programmé avant que soient fixées les élection, je te rétorquerai qu’il y a des coïncidences qui font bien les choses et que, bizarre bizarre, elles se multiplient en approche d’élections.
Sur ce, je stoppe là. Juste pour te dire, ami des urnes, ami casse-burnes, je n’y crois plus vraiment, à la grande pantalonnade électorale. Qu’elle soit techniquement biaisée ou pas, elle relève en premier lieu d’un jeu médiatique qui prend le dessus sur tout le reste, dicte les programmes et sait sentir d’où vient le vent. Comme l’indépendance des médias de masse n’est plus vraiment à l’ordre du jour (RIP déontologie) et que je reste sceptique quand aux capacités de résistance au matraquage médiatique de nos cerveaux contemporains, je dirais que le nerf de la guerre s’est déplacé. Un certain Laswell, spécialiste des sciences de la communication, le notait déjà en 1927 : les médias fonctionnent comme une « seringue hypodermique », une gigantesque piqouze infusant la peur et le conformisme à une population tétanisée. De Jacques Ellul à l’école de Francfort en passant par les Situationnistes, ils sont nombreux à avoir renchéri, démontrant largement le caractère anesthésié de notre pseudo-démocratie, propagandisée jusqu’à la moelle sous des atours débonnaires. Il se peut que je voie un peu les choses en noir. Tu m’excuseras, j’espère. Mais, vois-tu, il suffit que j’y réfléchisse un tantinet pour que la rage ne me lâche plus : un système politico/médiatique qui est parvenu à me faire voter Chirac ne peut être autre chose qu’une vaste et lugubre blague.
1 Le loup étant évidemment joué ici par l’immigré casseur, avec ses grands crocs basanés voire blackos, en tout cas rarement blancos ou white – © fondation Manuel Valls pour une immigration maîtrisée sur nos marchés.
2 Parlant du 11 septembre.
3 Qui n’en finit pas de me débecter. Outre qu’il cachetonne désormais pour l’infâme Direct Soir, il est quasi à lui seul (par le succès ahurissant de ses multiples déclinaisons de La Terre vue du ciel) responsable de l’effondrement de la maison d’édition Le Seuil et de son rachat par La Martinière il y a un an ou deux. J’y reviendrai.