mardi 23 septembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 12h01, par
6 commentaires
Parce que le règne animal a beaucoup à nous apprendre, que l’étude de l’économie ne doit pas se limiter à son champ le plus académique et que le trader et le poisson rouge ont beaucoup plus en commun qu’on ne l’imagine, je vous propose une petite étude comparée. Ouvrez vos branchies et resserrez vos noeuds de cravate, on plonge dans les arcanes secrètes de la crise. Plouf !
Dites.
En discutant un peu finance, krach et équilibres économiques mondiaux avec Bubulle (mon poisson rouge), j’ai remarqué un truc assez intéressant.
Même si plutôt évident.
Je me suis aperçu que les poissons rouges ne sont pas tellement calés en économie.
Qu’ils ont un rien tendance à privilégier le sentiment immédiat sur la réflexion à long terme.
Et qu’ils font preuve d’un flagrant manque de vision d’ensemble et de souffle de l’histoire.
Oui : c’est regrettable.
J’en étais là de mes réflexions, constat amer qui m’obligeait à prendre acte des préférences décevantes de Bubulle, plus préoccupé par les morceaux de nourriture que je laissais tomber au fil de la conversation dans son bocal que par mes arguments en faveur d’une recapitalisation des actifs viciés et d’une injection massive de flouze dans le système, j’en étais là, disais-je, quand il m’est venu l’idée d’établir un parallèle qui pourrait bien révolutionner la finance mondiale et les sciences économiques, ou à tout le moins nous faire rigoler un brin sur le dos de ces investisseurs qui font rien tant que plus savoir où donner de la tête à force d’ignorer si le vent mauvais de la crise va les déposer recta sur le trottoir d’en face où ils pourront tendre la main de concert avec le SDF qu’ils ignoraient superbement jusqu’à présent.
Et c’est déjà ça.
Ce parallèle (pour ceusses qui suivent) m’a obligé à quelques expériences pratiques qui, si elles ne m’attireront pas la sympathie de la SPA, valent le coup d’être rapidement reproduites ici.
Je vous les livre telles quelles.
Bubulle est tranquille, décontracté du gland, à la fraîche, dans son bocal.
Bref : Bubulle est serein.
Comme un poisson dans l’eau… (désolé)
Bubulle est victime d’un odieux et lâche attentat. Une main amie, quoique mal intentionnée, a décidé de lui faire voir un peu l’air du dehors.
Conséquence , Bubulle peine à respirer, s’asphyxie doucement, trépigne des nageoires, se débat faiblement et fait tendrement rouler un oeil suppliant dans son petit orbite de poisson. Bref : Bubulle ne va pas bien, pas bien du tout.
In extremis, alors que les derniers souffles de vie s’apprêtaient à quitter son petit corps de poisson rouge, Bubulle a été replacé dans son bocal. Au bout de quelques secondes, il reprend le cours de son existence, comme si de rien n’était.
Bref : Bubulle est à nouveau serein.
Je vous vois venir.
Et vous entend déjà m’interpeller : et alors ?
Ben… on a appris pas mal de choses.
Mine de rien.
Et nous savons désormais qu’un poisson rouge n’a guère de mémoire.
Encore moins d’ambition.
Et que le cours de son existence se limite à subir les événements sans plus s’interroger sur le devenir de l’humanité.
Frétillant dans son bocal.
Ou désespéré au dehors, alors que plane sur ses nageoires le souffle fétide de la mort.
Un constat qui nous amène à une importante conclusion : rien ne sert de de parler économie à un poisson, il s’en bat les branchies.
__3__
Soyons clair : le poisson rouge n’est pas le seul dans ce cas.
Et il est bien d’autres espèces animales à se comporter aussi outrageusement envers les mânes de Ricardo, de Keynes ou de Le Boucher.
L’une d’entre elles a particulièrement retenu mon attention.
Et partant, la votre aussi.
(Si, si…)
Mammifère vertébré, reconnaissable à ses montres de luxe, ses costumes de grande classe et son goût pour la cocaïne, le trader (dit aussi courtier en bourse), sous-espèce rattachée au genre humain (mais de loin…), présente tant de similitudes avec le poisson rouge que j’ai eu envie de poursuivre mes expériences sur lui.
Et d’étudier ses réactions à des états de stress ou de panique.
Je vous livre mon étude telle quelle.
Dans un environnement normal et apaisé, le trader étudie des colonnes de chiffre incompréhensibles, passe en permanence des coups de fil essentiels et surveille tout un tas d’écrans disposés devant lui. A la fin de la journée, le trader dresse le bilan de ses spéculations et se laisse aller à quelques manifestations de joie bien compréhensives quand il s’avère qu’il a fait gagner un max de flouze à sa société et qu’il a engrangé un max de bonus persos.
Bref : le trader est serein.
Plongé dans un état de panique, le trader change radicalement de comportement. Il pleure devant ses écrans de contrôle, remue en tout sens pour faire croire qu’il maîtrise quelque chose, crie dans son téléphone et repère l’emplacement de la fenêtre, histoire de pouvoir sauter quand les carottes seront vraiment rapées.
Bref : le trader ne va pas bien, pas bien du tout.
Quand son environnement revient à la normale (par exemple, quand les autorités inectent un max de flouze tout neuf dans le système, histoire de lui sauver les miches), le trader se replonge dans son travail, savoure sa journée de travail et retrouve le sourire.
Bref : le trader est à nouveau serein.
Je vous vois venir.
Et vous entend déjà m’interpeller : et alors ?
Ben… on a appris pas mal de choses.
Mine de rien.
Et nous savons désormais qu’un trader n’a guère de mémoire.
Encore moins d’ambition.
Et que le cours de son existence se limite à subir les événements sans plus s’interroger sur le devenir de l’humanité.
Frétillant dans son bocal.
Ou désespéré au dehors, alors que plane sur sa cravate le souffle fétide de la mort.
Un constat qui nous amène à une importante conclusion : rien ne sert de de parler économie à un trader, il s’en bat le steak.
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De ces deux expériences, il est une dernière conclusion que nous pouvons tirer.
Cons comme des balais mais beaucoup moins utiles, les traders et les poissons rouges ont en commun cette conviction que la main invisible (du marché ?), celle qui les nourrit ou les sort du bocal, encourage leurs spéculations ou éponge leurs dettes, sera toujours là pour eux.
Puissance tutélaire dont ils sont tellement habitués à tout attendre qu’ils ne peuvent se figurer qu’elle disparaisse.
Ni imaginer qu’elle les abandonne au milieu d’un champs de ruine où les télex crépiteront dans le vide et où les téléphones sonneront par milliers sans plus jamais être décrochés.
Une illusion du sauvetage permanent qui a quelque chose de dramatique.
Tant elle tient de la chronique d’une chute annoncée.
Les plus insensibles à la détresse humaine et animale d’entre vous s’en réjouiront.
Mais je ne serai pas aussi chien.
Et je vais me contenter de retourner jouer avec Bubulle.
Vous savez où me trouver…