vendredi 19 décembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 11h29, par
39 commentaires
Rien d’innocent dans les déclarations de Nicolas Sarkozy. Jamais ! Quand il dénonce « la pagaille » parlementaire, regrettant le « spectacle » donné par les députés de gauche autant que l’indépendance des élus de sa majorité, c’est qu’il prépare un nouveau coup bas. Soit la modification du droit d’amendement, une véritable mise à bas du contre-pouvoir des députés.
Je ne sais pas vous.
Mais je n’aime rien tant que voir le présidentiel meneur de revue prendre des accents gaullistes.
Appeler au calme et à la dignité.
Et s’indigner d’une supposée chienlit : « Les injures, le blocage systématique, empêcher de voter des textes, empêcher des réformes pour le seul plaisir d’empêcher des réformes, inquiéter des jeunes pour le seul plaisir d’inquiéter des jeunes, c’est pas la démocratie ça, c’est la pagaille », a ainsi regretté Nicolas Sarkozy en visite dans les Vosges.
Oui : ça en rappelle un autre…
Mais si De Gaulle a dénoncé la chienlit.
Il n’aurait jamais eu l’outrecuidance d’invoquer « les souffrances des Français » pour légitimer ses attaques contre les prérogatives des élus du peuple.
Chose qui - à l’évidence - ne fait pas peur à Nicolas Sarkozy.
Lequel a pris son plus joli ton paternaliste pour critiquer la conduite des parlementaires : « Je voyais qu’à l’Assemblée nationale, on s’est un peu énervés. C’est pas toujours un spectacle que peuvent comprendre les Français qui souffrent de la crise, de voir les gens s’insulter, s’invectiver. (…) Je comprends parfaitement qu’il y ait une opposition qui n’est pas d’accord avec la majorité, mais enfin, il y a manière et manière de s’exprimer, de faire valoir ses idées. »
Et n’a pas hésité à en remettre une couche dans le plus pur style donneur de leçons : « Je ne pense pas qu’en s’agitant avec des pancartes et avec des badges sur les bancs de l’Assemblée nationale, on rende particulièrement fiers les électeurs qui ont voté pour vous. Les gens n’ont pas voté pour nous pour avoir un combat de boxe, pour donner un spectacle un peu ridicule, un peu caricatural. »
Une saillie bienvenue.
Tant Nicolas Sarkozy est le mieux placé pour pointer la caricature chez les autres…
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On pourrait n’attacher qu’une bien maigre importance à ces quelques paroles lâchées au vent froid des Vosges.
Emportement d’un président aussi excédé de l’opposition des députés de gauche que des manifestations d’indépendance de ceux de sa majorité.
« Rien ne va plus entre Nicolas Sarkozy et les députés de sa majorité, constate ainsi Libération. Toujours plus frondeurs, toujours plus turbulents, ils lui ont infligé hier un camouflet en refusant de siéger à l’Assemblée pour conclure ’avant Noël’, comme il l’avait exigé, la discussion de la proposition de loi sur le travail dominical. »
Oui : ça rue dans les brancards…
Ce qui explique à l’évidence la dernière idée présidentielle, celle d’une fumeuse vidéo - mise en musique par Jean-François Copé - qui compilerait les « pires moments » de l’obstruction parlementaire, pour bien faire comprendre à tous combien est néfaste le pouvoir des députés :
« Dans l’entourage de Jean-François Copé, on explique que l’objectif de ce montage n’est pas de faire un bêtisier, mais plutôt de »dénoncer l’obstruction« de l’opposition sur les lois examinées à l’Assemblée nationale. ’Nous allons illustrer par l’exemple la bêtise de ce genre de comportement’, souligne-t-on. Le projet est actuellement en ’phase de documentation’, entre archives de l’INA et vidéos disponibles sur le Web.’ »
Copé qui dénonce « la bêtise » : on pourrait juste en rire.
Mais ce serait faire l’impasse sur l’un des plus dangereux projets du président.
Lequel est bien décidé à mettre les parlementaires au pas.
En rognant leurs ailes et rabaissant leurs prérogatives.
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J’exagère ?
Même pas.
Puisque les très discrètes dispositions relatives au droit d’amendement que contient le projet de loi organique d’application de la révision constitutionnelle, adopté en conseil des ministres voici quelques jours et qui devrait être débattu en janvier dans l’hémicycle, permettront de museler les parlementaires.
Littéralement.
Ce que commente très bien (ou tout au moins : beaucoup mieux que je ne pourrais le faire…) le député socialiste Jean-Jacques Urvoas sur son blog Mes journées à l’Assemblée :
"Le gouvernement et l’UMP sont tellement agacés que la gauche s’oppose à l’Assemblée, en ralentissant l’adoption de leurs projets, qu’ils viennent de mettre au point un véritable arsenal destiné à museler l’opposition et, au-delà, le parlement dans son essence même.
L’objet porte le doux nom de ’projet de loi organique visant à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution’. Il a été adopté en conseil des ministres mercredi dernier et il est programmé pour le 16 janvier dans l’hémicycle, après un passage au canon en commission des lois le 7 janvier à 9 h 30.
Dans un jargon bien hermétique, trois articles de ce texte prévoient de retirer presque complètement le droit d’amendement aux députés et de limiter leur temps de parole. C’est tout simple, il suffisait d’y penser…"
En cause, l’article 11 de ce texte, qui stipule que sont « seuls recevables les amendements déposés par le gouvernement ou par la commission saisie au fond » et qui transforme l’hémicycle en une chambre d’enregistrement, sans aucun pouvoir de modification des textes de loi.
Tandis que le gouvernement, explique Jean-Jacques Urvoas, restera « totalement libre » :
"S’il a été battu en commission ou s’il n’accepte pas le travail de cette dernière, il pourra avant le passage dans l’hémicycle proposer une nouvelle écriture qui contredira le vote de la commission. Il pourra même déposer des amendements vidant de leur sens les enrichissements acceptés par les députés. Tout cela devant des parlementaires impuissants puisqu’il leur sera interdit de contre-attaquer en déposant de nouveaux amendements !
Un gouvernement tout-puissant n’acceptant aucune entrave, une majorité réduite au rang de faire-valoir et une opposition muselée, voilà concrètement la revalorisation du parlement façon Sarkozy !"
Et hop !
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A l’aune de ce projet de loi, la saillie sarkozyste contre « la pagaille » parlementaire prend tout son sens.
Tant la dénonciation présidentielle de ce « combat de boxe » et de ce « spectacle un peu ridicule, un peu caricatural », tout autant que la vidéo imbécile et poujadiste que mitonne Jean-François Copé, ne vise qu’à préparer l’opinion à la disparition d’un contre-pouvoir essentiel.
Et à légitimer ces pleins pouvoirs que s’arroge peu à peu Nicolas Sarkozy.
Vous savez quoi ?
La chienlit, c’est lui !