mercredi 15 avril 2009
Le Charançon Libéré
posté à 12h17, par
26 commentaires
Vous êtes policier ? Vous êtes violent ? Alors : restez en France et ne vous avisez pas d’aller exercer votre métier outre-manche. Là-bas, vous risqueriez d’être suspendu si une vidéo venait à prouver votre comportement fautif. Ici, vous ne serez pas mis en cause par votre hiérarchie, même si vous avez caillassé des manifestants devant l’objectif d’une caméra. Elle est pas belle, la vie ?
Deux sommets internationaux, l’un à Londres l’autre à Strasbourg.
Deux manifestations qui dégénèrent.
Deux vidéos, montrant chacune des des dérapages policiers.
Deux débats d’ampleur nationale, comportement des forces de l’ordre en question.
Et ?
Le parallèle s’arrête là, tant les conséquences pour les policiers ne sont pas les mêmes outre-Manche et chez nous.
Pour rappel, cette vidéo :
Manifestations contre le sommet du G20 à Londres, un policier anglais donne un coup de la main pour repousser une femme, puis sort sa matraque télescopique afin de lui cingler les jambes.
Inadmissible, c’est entendu.
Et Scotland Yard, qui a déjà suspendu un premier policier pour son comportement lors des échauffourées, réagit immédiatement après la mise en ligne de la vidéo : « Les actions de ce policier sont préoccupantes », reconnaît l’institution dans un premier communiqué, avant d’annoncer sa suspension et le lancement d’une enquête.
Les autorités se payant même le luxe de rappeler quelques évidences : « Chaque policier est responsable devant la loi, et est pleinement conscient que chacune de ses actions peut être observée. La décision d’utiliser la force est faite par le policier, et il doit en être tenu responsable. »
Pas grand chose à ajouter, sinon noter que ce comportement policier mis en évidence sur la vidéo devrait sembler tristement banal à tout habitué des manifestations françaises.
Tant chez nous, les coups de matraque assénés sans raison par des CRS protégés comme des chevaliers à la grande époque des tournois, les jets de poivre ou de lacrymos balancés sans aucune justification et les coups portés pour le plaisir ne se comptent plus.
A tel point qu’ils ne sauraient choquer le citoyen lambda.
Chez nous, justement.
Pour rappel, cette célèbre vidéo :
Contre-sommet de l’Otan, à Strasbourg, des CRS français ramassent des pierres sur le ballast d’une voie ferrée et les balancent sur des manifestants sans défense passant en contrebas.
Là-aussi, la réaction des autorités ne se fait pas attendre : « La police a fait son travail », se félicite le Premier ministre tandis que sa consoeur de l’Intérieur loue le comportement de forces de l’ordre qui, devant « la menace réelle que représentaient des groupes hyper-violents, ont privilégié la protection des personnes » et que le préfet du Bas-Rhin se réjouit que « Strasbourg (ait) fait mieux que Gênes et Londres car il n’y a pas eu de mort ».
Et ?
C’est tout.
Pas d’enquête.
Pas de suspension.
Pas même mention d’un éventuel questionnement des autorités sur le comportement de leurs chargés de matraquage, alors même que l’attitude des CRS sur cette vidéo est beaucoup plus contestable que celle de leur collègue anglais1.
S’il ne s’agit surtout pas de louer inconsidérément la police anglaise, elle-aussi familière des débordements et des scandales, notons que la comparaison des conséquences de ces deux dérapages est fort instructive.
Une différence qui ne saurait s’expliquer seulement par le modèle traditionnel de la police anglaise, en théorie beaucoup plus proche de ses concitoyens2 que son équivalent français :
Entendue donc comme la légitimation de la force physique, l’autorité policière évolue entre deux idéaux-types que sont le modèle militaire et le modèle populaire, explique la revue Vacarme en un instructif article sur "L’Autorité de la police". Le modèle militaire dicte une police centralisée, qui a pour charge l’exécution de la loi selon des modalités définies par une hiérarchie cloisonnée en corps distincts procédant chacun de concours nationaux différents. Le modèle populaire exige une police locale, dont les agents sont admis par cooptation et qui a pour charge le maintien de la tranquillité publique en réponse à des demandes formulées par la population. Le premier modèle épouse bien les linéaments de la police française, et tristement. La police anglaise a longtemps procédé du second modèle : des forces de police régionales, un recrutement localisé et unique (pas de concours distincts selon les grades, donc pas de corps et un avancement ascendant continu), immersion du policier dans sa communauté. On voit aisément les avantages de ce modèle : l’autorité des chefs de police sur leurs subordonnés et des agents sur le public n’a pas besoin de force ni d’artifice, elle est le produit naturel des rapports sociaux de la communauté dont tous procèdent. Les émeutes de Southall en 1979, St Paul’s en 1980 et Brixton en 1981 ont ébranlé le modèle, en dévoilant brutalement comment une telle organisation des polices ajoutait aux ségrégations sociales et raciales que les villes anglaises abritaient.
(…)
Alors que les CRS semblent l’incarnation même de la police, on constatera, au contraire, qu’ils sont comme à sa bordure extérieure. Les CRS font face à des foules qu’ils ne reverront pas, à l’égard desquelles ils n’ont pas le souci de la pérennité de leur autorité. Les CRS sont ces agents de la force publique que le droit pénal a oublié, ils sont des exécutants.
Plus que ça, donc, l’origine de cette différence de traitement est à rechercher dans la sacralisation de la police, à l’œuvre depuis que Sarkozy est arrivé au pouvoir.
Un processus qui, s’il met les policiers sous pression en les soumettant à la « culture du résultat », leur garantit qu’ils n’auront pas à répondre de leurs éventuels dérapages.
Et leur assure cette « impunité » qu’Amnesty International dénonçait dans un très récent rapport.
L’ONG constatant « que les agents de la force publique bénéficiaient couramment, en France, d’une impunité de fait » et « que procureurs et juges répugnent à entreprendre des enquêtes approfondies sur la conduite des agents de la force publique auxquels ils font appel quotidiennement ».
Rien de neuf sous le soleil ?
Non, malheureusement.
Notons juste que les CRS auraient tort de se gêner, tant ils sont couverts à tout coup par leur hiérarchie.
Et même : je serais eux, c’est à coup de parpaings dans la tronche que je materais désormais toute rébellion.
Sans déconner…
1 On se gardera bien d’établir avec trop de certitude une hiérarchie des comportements policiers inacceptables. Mais quand même : le lancer de pierres paraît moins justifiable que l’usage d’une matraque, fut-elle télescopique. Ne serait-ce que parce que la matraque fait partie de l’arsenal légal des forces de l’ordre, quand le caillou en est à l’évidence exclu.
2 La comparaison des tenues des policiers anglais et des CRS français est à cet égard pleine d’enseignements.