lundi 30 mars 2009
Le Charançon Libéré
posté à 13h20, par
48 commentaires
Cent fois déjà, ça aurait dû péter, peuple dans la rue pour défendre certains principes essentiels et valeurs immuables. Mille fois, j’ai pensé que Sarkozy était allé trop loin et que les citoyens allaient se lever pour sauvegarder cet héritage républicain dont on nous a rebattu les oreilles à l’école. Et ? Que dalle, bien entendu. Le peuple est morne, la République se meurt et nous braillons dans le désert.
Chronique de l’historien Gilles Dal dans La Libre Belgique.
On crie, beaucoup.
On proteste, un max.
Et on se démène, tant qu’on peut.
Mais il faut bien le reconnaître : on n’avance pas beaucoup.
Et nos victoires restent très maigrelettes, hors le succès tout relatif de deux massives journées d’action habilement encadrées et récupérées par les syndicats.
Pourtant, nous avons la raison avec nous.
Et les valeurs que nous défendons - indépendamment de toute étiquette partisane - ont pour elles la légitimité de l’histoire et de cette patiente construction historique qui fit, il y a fort longtemps, de la République française un exemple à suivre pour tous les peuples épris de liberté.
Des principe de justice et d’Etat de droit qui devraient - quasi automatiquement - nous garantir quelques victoires.
Et nous assurer d’occasionnelles avancées, soit autant de reculades d’un pouvoir obligé de se soumettre à nos belles idées et jolies convictions.
Alors que : nada, des nèfles, nichts !
Depuis l’élection de Sarkozy, il n’est pas un point sur lequel nous ayons eu gain de cause.
Et les cris d’orfraies que nous continuons à pousser collectivement - je ne parle pas des blogs ici, mais bien de l’ensemble de la sphère de contestation, partis, associations et mouvements d’opinion - n’ont pas une fois influencé le régime, le poussant à modérer ses ardeurs liberticides ou à remettre en cause sa politique de cadeaux aux privilégiés.
Comme si - finalement - nous ne faisions rien d’autre que nous époumoner dans le désert.
Hurlant, encore et encore, sans jamais trouver le bon levier, celui qui nous permettrait de nous faire entendre.
Il ne servirait à rien de tenir le compte de tout ce que nous avons perdu.
Longue liste qui ne semble jamais devoir finir, depuis la mise en place du paquet (cadeau) fiscal jusqu’à la suppression programmée des juges d’instruction en passant par la mainmise des hommes du président - ceux qui se trémoussaient au soir de l’élection sur la piste de danse du Fouquet’s - sur l’appareil d’Etat et ses faveurs, par l’instrumentalisation de la justice, par la mise au pas des médias et l’instauration d’une nouvelle et insidieuse propagande - ORTF revival - , par la traque inhumaine des sans-papiers, par la sanctification de l’outil policier, par l’instauration d’un pouvoir presque de droit divin - président si protégé lors de ses déplacements qu’il faut faire disparaître toute trace de vie, hors des cohortes de CRS impavides - , par…
Énumération que chacun de vous pourrait poursuivre pendant d’interminables minutes - si ce n’est des heures - et qu’il convient de résumer par ces mots : nous avons perdu la République.
Régime loin d’être celui de nos rêves - puisqu’il y manque le mot « sociale » - mais qui garantissait un minimum nos droits et assurait le respect de certains principes essentiels.
Si nous croisons tous les doigts dans l’attente d’un profond souffle de contestation à même de balayer ce vieux monde branlant qui nous nargue et nous écrase, il faut avouer que cette attente tient davantage de l’espérance et de la ferveur que d’une balance objective des forces en présence.
Variations du « demain, on rase gratis », que nous ne plaisons tous (moi le premier) à entretenir.
Et que Sarkozy lui-même relance régulièrement, feignant de craindre comme la peste l’agitation sociale montante et le retour des beaux jours.
Mais voilà : s’il a peur, il ne le montre pas.
Et il n’est guère de décision qui, pour l’instant, lui ait été dictée par cette prétendue angoisse d’un peuple prenant la rue et s’insurgeant en masse.
Son énième refus - très récemment - de la suppression du bouclier fiscal suffisant à prouver combien il ne s’estime pas réellement menacé.
Deux possibilités, alors.
Ou l’auguste incompétent est aveuglé par sa politique, tellement obnubilé par ce qu’il s’est donné comme objectif - servir les riches et les puissants - qu’il en a perdu toute sagesse politique, décidé à courir à sa perte plutôt que revenir en arrière, fut-ce d’un chouia.
Ou lui voit clair en nos cartes, certain que nous n’avons pas les moyens de nos ambitions et que lassitude, fatigue et désintérêt général étouffent tellement ce pays qu’il restera à genoux et soumis.
Je préférerais croire en la première alternative, mais la deuxième se pare davantage des atours de la crédibilité.
Tant se multiplient les signes démontrant que le grande majorité des Français n’entendent pas tirer les conséquences politiques de leur rejet - réel pour le coup, les sondages de popularité du président le montrent suffisamment - du sarkozysme.
Et tant - surtout - nous avons été incapable de nous mobiliser avec efficacité pour ceux des nôtres qui ont été victimes du régime.
A cette aune, il faut encore revenir (rapidement) sur le sort fait aux neuf de Tarnac et à leur prétendu meneur1.
Rappeler qu’il est évident pour chacun que les charges pesant contre eux n’existent pas, qu’il est tout aussi patent que le dossier est biaisé et monté de toutes pièces, et qu’il est non moins flagrant que l’emprisonnement perpétuel de Julien Coupat est injustifiable, fait d’un prince et de ses sbires résolus à laisser un innocent dormir en prison autant qu’il leur plaira.
Et reconnaître que de tels attendus devraient constituer un boulevard pour ceux souhaitant prendre sa défense.
Cause offerte sur un plateau, ou peu s’en faut.
Et victoire assurée, tant le droit et la justice plaident en la faveur de l’embastillé.
Il n’est pourtant pas question qu’il quitte son cachot.
Non plus qu’il n’existe un réel mouvement d’opinion pour le soutenir.
Et le ministère de l’Intérieur en a pleinement conscience, se fichant comme d’une guigne de nos rares manifestations et protestations.
D’où - au final - cette question : comment peut-on penser que nous bousculerons le vieux monde, mettant à bas ses racines viciées pour en reconstruire un nouveau, quand nous sommes incapables de faire libérer la plus évidente des victimes de ce régime ?
Je vous demande un peu…
1 L’exemple fonctionne tout aussi bien avec Colonna, victime évidente d’un abus de droit (ou plutôt de son absence) sans que grand monde ne s’en indigne. Et même la Corse fait le dos rond devant cette peine à perpétuité ne reposant sur aucune preuve ni charge réelle. Hormis une petite manifestation sans envergure, l’île se tait, et ce silence aussi est fort révélateur d’une impuissance générale à faire front et à se révolter.