mercredi 11 février 2009
Le Charançon Libéré
posté à 15h59, par
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Pourquoi se gêner… Vendredi dernier, près de 300 fascistes ont pu célébrer en paix, à quelques centaines de mètres de l’Assemblée, le souvenir du 6 février 1934, journée qui avait vu les ligues et partis d’extrême-droite faire trembler le régime parlementaire. Devinez quoi ? Cet honteux rassemblement du souvenir avait été autorisé par la préfecture de Paris. Oui : c’est une bien étrange indulgence…
Il en est des manifestations comme en toute chose.
Il y a les bonnes et les mauvaises.
Les premières autorisées par la préfecture, respectables citoyens libres d’arpenter le pavé.
Et les secondes interdites par la même, dangereux terroristes interpellés en masse pour garantir l’ordre et la sécurité.
C’est comment ça.
Comment faire la différence entre les deux ?
Oh… la chose n’est pas si simple.
Et il faut - à tout le moins - être un expert préfectoral pour distinguer la bonne manifestation autorisée de la mauvaise manif interdite.
Une tâche nécessitant un œil affuté, de solides bases historiques et une fine connaissance des enjeux politiques en cours.
Qualités que nous - béotiens sans envergure - ne possédons à l’évidence qu’en quantité très limitée.
Quoi ?
Vous protestez ?
Allons donc : je vais vous le prouver derechef au moyen d’un rapide questionnaire.
Et je veux croire que vous allez vous planter plus souvent qu’à votre tour.
On parie ?
Ok… c’est parti !
Première question : vous êtes chaudement installé dans votre bureau préfectoral quand vous apprenez que le symbole ci-dessous sera fièrement arboré par une bonne part des participants à la manifestation qu’on vous demande d’autoriser ou d’interdire.
Quelle décision prenez-vous ?
Vous autorisez ?
Bravo !
Il ferait beau voir qu’on interdise une manifestation au motif que ses participants sous-développés se revendiquent de l’idéologie nationalistico-fasciste et affichent fièrement une croix celtique de sinistre facture.
On est en République, quand même…
Deuxième question : vous êtes en train de compter les mouches quand un planton empressé vous apporte le flyer de la manifestation en question. Le voici :
Quelle décision prenez-vous ?
Vous maintenez votre autorisation ?
Encore bravo !
Tant il ne serait pas admissible qu’on interdise à quelques férus de l’histoire de célébrer entre eux le souvenir d’un événement fondateur dans l’élaboration de notre conscience nationale.
Et qu’importe si le 6 février 1934 a vu 30 000 militants de ligues et partis d’extrême-droite marcher sur l’Assemblée nationale pour renverser le régime parlementaire.
On est en démocratie, tout de même…
Dernière question : alors que vous entamez une sympathique sieste digestive en votre bureau, sous les combles de la préfecture, on vient vous avertir que l’un des organisateur de la manifestation est un certain Pierre Sidos, fondateur du groupuscule d’extrême-droite Occident (qui fut dissous en 1968) puis du mouvement fasciste et antisémite l’Œuvre française.
Quelle conclusion en tirez-vous ?
Aucune ?
Félicitations !
Il ne manquerait plus qu’on interdise à ce sympathique personnage, agitateur fasciste de toujours et partisan d’un renversement de la République au profit d’un ordre nouveau, de pousser ses petits glapissements d’agités dans les rues de Paris.
Et il ne vous échappe pas non plus qu’en tant que fondateur d’Occident, Pierre Sidos a assisté aux premiers pas politiques (si l’on peut dire…) de deux militants nationalistes appelés ensuite aux plus hautes fonctions, Hervé Novelli, secrétaire d’Etat chargé du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme et des Services1, et Patrick Devedjian, ministre de la Relance2.
Bien vu…
J’étais mauvaise langue : vous feriez un très bon responsable préfectoral.
Et je vous félicite pour votre sens de la mesure et votre ouverture politique.
Deux qualités qui ont permis à 300 militants du mouvement nationaliste de tenir vendredi dernier, à quelques encablures de l’Assemblée nationale, une honteuse cérémonie commémorative3.
Au cours de laquelle a été célébré le souvenir des factieux et fascistes tombés le 6 février 1934 et furent prononcés des discours suintant très fort la haine et l’antisémitisme.
A l’image de celui tenu par Thomas Werlet, pathétique président du non moins pathétique Parti solidaire français :
« Le capitalisme apatride et vagabond, sionisme qui ronge nos familles les unes après les autres avec sa propagande de métissage et de débauche pseudo-artistique, jeunesse féminisée et manipulée par le matérialisme et l’individualisme. Cette pourriture décrépit ne pourra jamais être un idéal pour nous français ! Alors que peut-on se dire mise à part ’quelle déchéance et quelle décrépitude pour cette jeunesse de France qui devra un jour être l’héritière et la gardienne de notre Patrie et de notre histoire !’ ? »
Oui : ça tache…
Ce doux accueil préfectoral réservé à cette scandaleuse manifestation du souvenir, tampon de la légalité apposé sans tergiverser, on le comparera au sort fait aux participants de la manifestation interdite du samedi 24 janvier.
Soit plus d’une centaine de personnes souhaitant dire leur soutien à Juan, Isa et Damien et embarquées par la police avant même de pouvoir faire trois pas.
Une répression effectuée au prétexte qu’il s’agissait, selon la préfecture de Paris, « d’une manifestation non déclarée de la mouvance contestataire. Ils n’avaient pas le droit de se rassembler. Les policiers ont appelé à la dispersion mais les manifestants n’ont pas obéit. »
Différence de traitement qui ne peut que laisser sans voix.
Et qui illustre parfaitement quelles cibles s’est données le régime.
Laissant courir les fascistes sans conscience.
Et s’acharnant contre les défenseurs des libertés.
C’est ça, la logique préfectorale…
1 Hervé Novelli a justifié cet engagement passé dans les rangs d’Occident par ces quelques mots : « J’étais plus jeune que les autres, mais j’étais spontanément du côté de l’ordre. A l’époque, il n’y avait rien entre l’extrême droite et l’extrême gauche. Je n’ai pas un regret, Occident, c’était un engagement anticommuniste dans lequel je me reconnais toujours. C’est une époque révolue, il en reste une sorte d’amitié liée à l’adolescence. Ne tombons pas dans le piège de la béatification de l’extrême gauche et de la diabolisation de l’extrême droite. »
2 De son côté, Patrick Devedjian explique aujourd’hui : « Je ne me suis jamais caché de mon passé. J’étais d’origine arménienne et c’était aussi une façon, pour moi, de me sentir français. J’étais anticommuniste et, finalement, je n’ai pas changé. Je me suis engagé pour la cause de l’Algérie française. J’ai quitté Occident en 1966, après avoir découvert Raymond Aron. Ce mouvement n’avait rien à voir avec l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen. C’était une autre époque, on ne peut pas comparer. »
3 J’ai pioché cette information dansun billet d’Olivier Pagès publié sur Betapolitique. Qu’il en soit remercié.