jeudi 7 mai 2009
Le Cri du Gonze
posté à 10h09, par
19 commentaires
On le sent venir gros comme un fort de Brégançon, tout le monde va s’y ruer, se lancer dans la bataille. Il y aura les figures de style, les figures imposées, les rodomontades habituelles, les faux débats, et l’impuissance finale face au tableau dressé (Waterloo). Le Bilan Sarkozy, en cette célébration œcuménique de deux ans de pouvoir personnel, est à la mode. On s’y lance.
« Aime les cons, tu t’aimeras toi-même. » (Didier Super)
Eh bien, nous y voilà. Deux ans de Sarko. Les doigts dans le nez. On croyait ça impossible, on estimait que quelque chose devait se passer, que ça allait bouillir. Deux fois 365 jours à voir sa tête placardée partout, à entendre ses discours sur toutes les ondes, à se calfeutrer chez soi pour ne pas s’exposer outre-mesure à ses rayons malfaisants. 730 jours de repli épidermique, de frissons de haine, de grand discours convenus contre l’ogre de l’Elysée. On ne s’en croyait pas capable.
Qu’on le veuille ou non, qu’on soit berger pyrénéen ou moine Chartreux, skieuse de fond vosgienne ou pompier nantais, Sarkozy s’est immiscé dans nos vies. A planté, Dracula sans classe, ses dents dans nos nuques trop faibles. On en sort grandi, métamorphosés, c’est certain. Plus forts, plus résistants. Des mutants endurcis, voilà ce qu’il a fait de nous.
Alors, ça va peut-être en étonner certains, mais je voudrais commémorer cet anniversaire en tressant des lauriers à notre guide suprême, en le remerciant pour tout ce qu’il a accompli pour la France. On était des agneaux, on est devenus des loups. Merci qui ?
Pourquoi on l’aime.
Une revue de détails sentimentalo/politique
Sarkozy fait lire des bouquins que t’aurais pas lus sans lui : Combien d’exemplaires de la Princesse de Clèves et de l’Insurrection qui vient, voire du rapport annuel sur l’état des Droits de l’Homme en France1 parcourus avec passion par des gens qui, sinon, n’y auraient jamais posé les yeux ?
Sarkozy défait les impostures : Superman de la trahison par procuration, il nous a permis de voir (encore plus) clair dans le jeu de nombres de baudruches du champ politiques. Les Besson, Kouchner, Hirsch, Lang, Allègre, Valls… qu’ils courent toute langue sortie après la consécration ministérielle ou soient déjà intronisés traîtres, on ne les portait déjà pas beaucoup dans notre cœur, mais désormais, le verdict est sans appel : au pilori, les girouettes ! Pour tous les autres, incapables d’élever le ton contre sa politique, PS en première ligne, il a définitivement mis en pièce l’idée d’opposition telle qu’elle existait douillettement en Hexagone (tant et si bien que le centriste Bayrou est désormais présenté comme un genre de révolutionnaire d’ultra-gauche, tendance Blanqui-barricades, on croit rêver). Faire table rase de toutes les badernes contre-productives, voilà qui, sur le long terme, nous réjouirait. Encore deux ou trois ans de ce régime et on y verra vraiment plus clair.
Sarkozy fait du bien aux italiens déprimés : Grâce à lui, ils se sentent un peu moins seuls. Forza Sarkozy !
Sarkozy lève l’ennui : Avouons-le, on s’emmerdait un peu avant lui, quand on se penchait sur le monde politique. Les voyages présidentiels étaient chiants comme la mort, les discours itou et on ruminait notre ennui en suivant tout ça d’un œil éteint de koala dépressif. Désormais, chaque intervention, chaque nouveau chapitre de la saga Sarkozy nous réveille. De Disneyland à Wolfeboro, de Cécilia à Carla, de La Princesse de Clèves à la princesse Letizia, du G8 bourré aux déjeuners parlementaires injurieux, pas un jour sans que l’on s’étouffe d’indignation, qu’on brame à l’insurrection. Notre torpeur n’est plus qu’un vieux souvenir.
Sarkozy nous pousse à relativiser : Si profonds nous voguons, si déprimés politiquement nous sommes, que nos petites contingences matérielles s’effacent, soudain minables. Comme l’affirmait Masahide : « Mon foyer ayant brûlé de fond en comble, plus rien ne me cache la vue de la lune qui brille ».
Sarkozy est la tête à claque parfaite : On n’avait plus vu ça depuis la grosse Samantha au collège, celle qui avait des problèmes de vessie et adulait Dawson. Des tics pleins les baskets, un langage hésitant voire débilitant, des réactions de gamin trop gâté, un physique disgracieux qu’il n’a toujours pas digéré et fait payer à tout le monde : le président incite à l’injure gratuite. Pratiquant lui-même ce sport, que ce soit au Salon de l’agriculture ou durant les déjeuners parlementaires, il pousse les autres à faire de même, catharsis bienvenue. Désormais, nous ne gardons plus nos injures pour nous, l’Hexagone tout entier résonne de jurons bien sentis à lui seul destinés. Enfin, les soupapes sont lâchées. Les slogans « Sarkozy casse toi pauv’con » ne sont que la partie immergée (et peu imaginative) de l’iceberg. En arrière-fond s’échafaude un formidable champ-lexical de rhétorique anti-Sarkozy. Qui sait ? Le nouveau Céline pourrait y prendre racine…
Sarkozy rassure les complexés : Les disgracieux, les hongrois retors, les éjaculateurs précoces, les mesquins congénitaux, les cocus, les nains hargneux, les fourbes de naissance, les dyslexiques… Avec lui, la preuve est faite que l’on peut grimper les échelons en cumulant les tares.
Sarkozy fait voyager : Combien d’exilés heureux, se prélassant au soleil de Pampelune, chassant le mérou à Bora Bora ou gambadant sur l’Altiplano bolivien pour cause d’overdose UMPienne ?
Sarkozy pousse à la barricade : On était encore nombreux à hésiter à ressortir les cocktails Molotov des placards de l’histoire. Toutes ces histoires d’insurrection, de barricades, ça nous semblait un peu téléphoné, poussiéreux. Et puis, à force de provocations, d’incursions dans l’ignominie, il a fini par nous réveiller. Du coup, on exhume Blanqui, on se plonge dans les situs, on relit Proudhon et Bakounine. Et même, on convoque des saillies de Godard : « La démocratie c’est pas : « 5 minutes pour les juifs et 5 minutes pour les nazis » ; la démocratie c’est : « on vire les nazis, et après on peut discuter » ». La Commune refleurira, c’est certain. Grâce à qui ?
Sarkozy pointe notre connerie abyssale : On se savait un peuple un peu con et rance. On l’est encore plus que ça. Vichy n’est plus loin, il était temps de regarder les choses en face. Il nous avait déjà fallu un historien américain (Oliver Paxton dans les années 1970) pour admettre les vilénies de la collaboration, au tour du président neuilléens de pointer notre connerie actuelle. La majorité (53%) de nos très chers concitoyens s’étant déplacés aux urnes2 ne valait pas plus qu’un pet de gnou le 6 mai, c’est sûrement encore le cas. C’est un aspect qu’on avait tendance à oublier. C’est bien de nous le rappeler.
Sarkozy ne durera pas : Il va trop loin dans l’ignominie. Il s’essoufflera, on l’essoufflera. Bientôt, le saint homme sera dans les poubelles de l’histoire, enseveli sous des tonnes de vendetta populaire. Mhh, vision magique. C’est sûrement ce qu’on aime le plus en lui…