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jeudi 11 septembre 2008

Entretiens

posté à 00h13, par PT
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Didier Roustan : « Si c’est pas du foie gras qu’on me propose, j’accepte l’omelette »
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Il est le dernier commentateur de foot à nous avoir fait triper au fond du canapé. Le dernier esprit libre dans un univers formaté et sérieusement coincé du bulbe. Un survivor providentiel. Ouais : à 51 ans, Didier Roustan est le king de la gonfle. Président de l’association Foot Citoyen, ex-placardisé revenu par la fenêtre, il a gardé les idées claires et le verbe acéré. La preuve…

De Didier Roustan, on conserve deux souvenirs. Ses pulls atroces à l’écran, presque une marque de fabrique, qui en racontaient déjà beaucoup sur l’énergie mise par le journaliste à préférer le contenu éditorial plutôt que l’apparence face caméra1. Et le duo formé avec Eric Cantona aux commentaires de la Coupe du monde 1994, à une époque où on aimait encore autant écouter les matches que les regarder.

A 51 ans, Roustan reste ce drôle de zèbre du PAF, personnage insaisissable et souvent border line, qui a payé de longues mises au placard son entêtement à sortir des clous. On le retrouve aujourd’hui à la radio, sur Europe 1, mais surtout à la présidence de l’association Foot Citoyen qui s’intéresse moins à ce que les mômes footballeurs feront de leurs deux pieds que de leur cerveau (unique).

Il est 18 h 30 en ce mercredi, le matin les journaux ont anticipé l’éjection de Domenech, la France affronte la Serbie, et Didier Roustan s’apprête à rejoindre les studios d’Europe 1, son nouvel employeur. En attendant, il répond aux questions d’Article11. A bâtons rompus. L’assoce, le métier, la démission des médias. Toute langue de bois prohibée.

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Comment est née l’association Foot Citoyen ?

Il y a cinq ans, au côté d’Arsène Wenger qui est plus qu’un copain. On est parti du constat que dans le football, il n’y avait plus d’éducation - ou presque. Cela tient à un tas de facteurs : les parents qui baissent les bras, les familles recomposées, ce que véhicule la société, etc. Nous, on croit aux vraies valeurs du sport chez les gamins, l’apprentissage sur soi, l’apprentissage des autres, le respect des règles, la confiance en soi. Les gamins, quand ils sont plongés dans le football, leur passion, ils absorbent ce que tu leur dis. Ils absorbent les discours des bénévoles qui les encadrent. Des « éducateurs », appelons-les comme ça. Le problème, c’est que ces « éducateurs » n’ont pas tous la formation pour s’adresser à des enfants. On ne jette la pierre à personne : c’est déjà bien de trouver des bénévoles. Mais bon, être bénévole n’autorise pas tout. Si c’est pour être con, autant rester chez soi. Si c’est pour insulter les gosses, le jeu, les arbitres… L’idée de Foot Citoyen, c’est ça : donner aux éducateurs des outils adaptés.

Pourquoi cet engagement ?

Sans vouloir m’inventer des vertus, j’ai toujours été quelqu’un d’engagé. Et puis, à un moment, j’ai voulu rendre ce que le football m’a apporté. Je sais ce que ce sport m’a procuré. A 14,15 ou 16 ans, je n’étais pas un voyou, mais j’étais sur le fil du rasoir. J’aurais pu basculer vers des trucs à la con. Le football a été capital dans mon équilibre. Grâce aux notions de partage ou de confiance en soi par exemple, j’ai compris qu’il y avait une alternative aux conneries qui me tendaient les bras.

L’engagement que vous décrivez, on le retrouve dans votre parcours professionnel, à la télé principalement. Aujourd’hui, qui parle encore réellement de football dans les médias ?

C’est tout le problème. Avant France - Serbie, on va davantage s’intéresser aux propos de Domenech sur l’odeur du sang qu’à l’équipe mise en place le lendemain soir. Est-ce que c’est ça qui plaît aux gens ? Peut-être. On lit Voici, Gala, Closer ; de plus en de plus de trucs trash apparaissent à la télé. On est dans une société où les mecs qui ont les clés ont peur de leur ombre. Regardez les commentateurs de Canal : quand on tape dans l’arbre, il y en a cinq qui tombent. On assiste à une uniformisation. Quand on est créatif, on emmerde le monde.

Parallèlement, les mêmes bobines continuent de s’afficher à l’écran. Thierry Roland qui perpétue les mêmes crasses depuis vingt-cinq ans… Les mômes devant leur écran ne sont alors pas moins éponges que s’ils étaient avec leur entraîneur…

J’ai connu quelques chefs de services des sports durant ma carrière : quatre sur cinq n’aiment pas le foot. Attention, ça ne veut pas dire qu’ils font exprès de mettre des mecs nuls à l’antenne. Mais bon, voilà : Roland, il est là. Pourquoi le bouger ? Le Lay, de toute façon, il n’aime pas le foot. Qu’est-ce que ça change pour lui ? Ces mecs regardent d’abord les chiffres : tiens, hier soir, on a fait 35% de parts de marché.

L’immobilisme au pouvoir ?

L’exemple de Téléfoot est intéressant. Quatre ou cinq ans après mon départ, c’est devenu une émission sans queue ni tête. Je ne dis pas que lorsque j’en étais le présentateur, c’était la panacée hein… Mais bon voilà. Un jour, TF1 a commandé une enquête dont le résultat laissait apparaître que Téléfoot était l’émission de la chaîne jugée la plus ringarde par les téléspectateurs. De là, ils ont changé le concept. Il a fallu une enquête d’opinion…

« Je ne suis pas non plus en train de me prostituer »

Avec l’émission Enfin du foot2, vous aviez développé un objet innovant, et installé le jeu au cœur du discours. Il n’y a plus de place pour de tels concepts ?

Si, ça peut exister. Pour preuve : l’émission plaisait vraiment. D’ailleurs, je me pose la question avec Foot Citoyen, où l’on fait du social. Est-ce que ça n’aurait pas sa place sur France Télévisions ? Est-ce que ça ne serait pas une mission pour le service public de proposer quelque chose de sérieux, un format court, 26 minutes, avec des gosses en plateaux, un psy, des bénévoles, des techniciens ? Je ne parle pas d’un 20 h 30 hein. Mais le samedi, entre 13 h et 14 h ? Non, à la place on préfère passer Derrick.

La presse écrite - donc L’Equipe - tient aussi sa part de responsabilités dans cette frilosité, cette presque-pensée unique ?

Le problème, c’est qu’il n’y a qu’un quotidien sportif. On sait par exemple que la FIFA a ses entrées auprès de certains journalistes. A une époque, j’avais créé le syndicat international des joueurs. On avait organisé un gros truc en Italie avec des types importants comme Maradona ou Cruyff. La FIFA était intervenue auprès du journaliste de la Gazzetta dello Sport pour qu’il fasse silence sur la manifestation. Mais moi, j’avais un pote à Tutto Sport qui a fait paraître une pleine page dans son journal. Le lendemain, le type de la Gazzetta s’est fait souffler dans les bronches par son journal et a fini par publier un quart de page. Comme quoi, quand il y a plus d’un quotidien…

Plus on vous écoute et moins on comprend votre arrivée cette saison sur Europe 1 - qui de notre point de vue est en train de s’habiller des mêmes faibles vertus que RMC…

Europe 1… Je me bats beaucoup pour des causes perdues, à côté de ça il faut bien que je gagne ma vie. Ce n’est pas Foot Citoyen qui me permet de gagner de l’argent. Les mecs autour de moi me disent : avec le temps que tu donnes à l’association, c’est normal de prendre un salaire. Mais je n’en prends pas. Au contraire je donne de l’argent. Mais bon, je ne suis pas non plus en train de me prostituer. Le truc, c’est que je ne suis pas un mec de lobby ou de réseaux. Les patrons, moins je les vois mieux je me porte. Je préfère croiser le chômeur du coin ou le vendeur de figues. Donc au final : si c’est pas du foie gras qu’on me propose mais une omelette, eh bien j’accepte l’omelette.

Pendant quatre ans, vous aviez même disparu et des ondes et de l’écran.

Exact. Se retrouver au chômage quand on voit ce qui se pratique sur Canal +, ça fait bizarre…



1 Les gars de Canal +, eux, s’affichent en costard Eden Park, la tenue maison, ce qui est quand même plus classe, convenons-en

2 Diffusée sur L’Equipe TV pendant quatre ans : émission de débats autour du jeu, une demi-heure consacrée à la tactique, les mystères du 4-4-2, un OVNI jamais singé - ce qui reste fort dommageable.


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