jeudi 25 juin 2009
Médias
posté à 10h35, par
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La voix de son maître, voilà qui résume très bien le torchon. Comme le maître en question, Vincent Bolloré ne fait pas mystère de ses inclinations pour le pouvoir en place, la voix se fait très servile,voire obscène. En tout cas, pour l’usager du métropolitain, « Direct Soir », gratuit lancé en 2006, fait désormais partie du quotidien, qu’il le destine à la poubelle où à une lecture attentive. Gris, le quotidien...
Si tu as la chance comme moi, ami lecteur, de parfois tâter du transport métropolitain (RATP represent), Parisien ou pas, il est fort probable que tes yeux se soient déjà posés sur l’organe de presse qui a le vent en poupe en ce moment, le fleuron de l’empire Bolloré : Direct Soir (celui que ma mémé elle dit toujours, « Je ne l’utiliserais même pas pour emballer mes fanes de carottes »). Personnellement, je ne résiste jamais au plaisir de le feuilleter, toujours charmé par son approche résolument moderne et sa conception du journalisme tellement dans l’air du temps, à savoir de l’info nulle part, de la réaction décérébrée partout. Et puis, difficile de lui échapper, à 500 000 exemplaires quotidiens, l’immondice est partout, prolifère sans gène (d’autant qu’il en existe une version matinale, « Direct Matin ». Ce monde est formidable). Repousse-le d’une main dédaigneuse, il vient se glisser sur ta banquette. Ensevelis-le dans un poubelle, il ressuscite dans la main de ton voisin...
Direct Soir, donc, qui ferait passer Le Figaro pour un journal d’intellos bolcheviques, est distribué tous les jours à de très grandes quantités dans le métro parisien. Avec cette approche marketingo-lumineuse (que j’imagine pompée à TF1) : « On balance de la merde mais les gens s’en rendent compte, alors il faut en balancer encore plus, pour les gaver jusqu’à extinction du sens critique. Ça a marché avec Céline Dion, ça devrait le faire avec notre canard ». Un résultat, au moins : on ne compte plus le nombre de poubelles engorgées par la feuille de choux, à Paris en tout cas. Il faut croire que le concept « d’infotainement », fièrement revendiqué par Bolloré, ne séduit pas l’immense majorité de nos concitoyens métropolitains, mais ils y viendront, c’est certain, il faut juste leur laisser le temps de s’habituer à l’absolue inanité de la chose. Il y a bien des gens qui lisent Entrevue, non ?
Dans Direct Soir, donc, on retrouve la fine fleur de l’Intelligentsia à la mode sarkozyste, penseurs de niveau stratosphériques rivalisant dans la vacuité la plus abyssale, sorte de Loft Story de la presse écrite (genre on prend tous les mecs les plus nazes et croupis de l’Hexagone, on les enferme dans une salle de rédaction et on regarde ce qui en sort). Selon le jour de la semaine, les penseurs varient - il y a là, outre ceusses que j’aborde plus bas, quelques très belles plumes doublées de magnifiques cerveaux, du languido-gaulliste Philippe Labro au très cassoulet power Pierre Salviac, liste ici.
Certains jours, pour notre plus grand joie, l’édito est signé Jacques Séguéla, fin bretteur intellectuel qui n’hésite pas à dire les choses très franchement, on est décomplexés où on ne l’est pas, et la racaille c’est la racaille. Je t’aurais bien cité quelques passages de ses envolées, mais voilà, l’exemplaire que j’ai entre les mains, daté du mardi 23 juin, ne contient pas la prose merveilleuse de l’ami Séguéla, le petit père des pauvres riches (par ailleurs concepteur de la nouvelle maquette du journal, le mec a fait du bon boulot, je te dis que ça). L’homme est avare de sa parole, c’est ce qui en fait la richesse1.
Il convient par contre de souligner la haute tenue littéraire de l’édito sportif de Franck Leboeuf. Distillant ses impressions sur le championnat de basket NBA, le bougre se sent tenu de pousser un cocorico hystérique devant la présence de Français sur les parquets yankees, allant jusqu’à affirmer que le championnat américain de basket ne serait que de la merde en tube sans l’appoint hexagonal. Je n’y connais pas grand-chose en basket, mais il me semble que le gars a dû fumer ses cheveux en écoutant le CD des meilleures interventions chauvinesquo-racistes de Thierry Roland pour en arriver à ce constat. Pour lui, il y a trois français dans le championnat NBA, mais ce dernier ne serait rien sans eux. Tu te pinces, tu rigoles, tu relis son appréciation : « Dans leur championnat, les meilleurs sont les étrangers, comme Parker, Pietrus, Diaw (vive la France !) » (je te jure que je n’invente rien, le « Vive la France ! » est de lui), et tu surprends le regard horrifié du quidam assis en face de toi qui te mate comme si tu étais Marylin Manson égorgeant un poulet (se marrer en lisant Direct Soir ? Faut être pervers…).
Autre recrue de poids dans le quotidien bollorien©, Jean-Marc Morandini, l’auto-proclamé spécialiste des médias, déontologiquement irréprochable tant il s’acharne quotidiennement à utiliser l’espace qu’on lui alloue pour faire de la pub pour son émission quotidienne sur Direct 8 (sur laquelle il doit surement faire de la pub pour son billet de Direct Soir, histoire de boucler la boucle, le soleil jamais ne se couche sur l’Empire Bolloré). Le gars est toujours à la pointe de l’analyse médiatique, plus scalpel tu peux pas. Y’a qu’à lire sa couverture des affaires Miss France (8 sur l’échelle du watergate) pour comprendre que le mec ira loin. D’ailleurs, il y est déjà, loin, les deux pieds solidement fixés à ses postes made in Bolloré (et à son indispensable et pas du tout mégalo jeanmarcmorandini.com). Il n’y a pas de petit profit, il n’y a que du grand journalisme.
Mais, tout ceci ne serait rien, ne m’aurait pas suffisamment motivé pour écrire ce billet, si je n’étais pas tombé sur un édito qui vaut son pesant de cacahouètes, signé Alain Minc, le penseur que le reste du monde nous envie2, s’évertuant avec une lourdeur sans égale, à livrer son analyse au lendemain de la prestation présidentielle à Versailles.
Alors que d’autres s’évertuaient (ces mesquins) à cracher dans la soupe, allant même jusqu’à parler d’hyper-présidentialisation, le soldat Minc, fidèle parmi les fidèle, nous livre, sous le joli titre « Ve république bis », son analyse ultra non-partisane des évolutions constitutionnelles en cours. Le mec t’explique, sourire aux lèvres et Rollex en bandoulière, que tu pourrais croire (tu es un peu mou du bulbe, reconnais-le) que le président n’a jamais été aussi fort constitutionnellement, mais que non, en fait, tu ne vois pas la tendance de fond, la montée en puissance du Parlement et l’effacement du président, le pauvre ne dispose déjà presque plus du moyen de se faire entendre. Ce n’est plus la Ve république, c’est quasi une République des conseils, les bolcheviques ne sont pas loins. Je te le cite : « Ecoutant hier le président, les français ont dû penser que la révision avait acté ‘l’hyper présidence’, alors qu’en réalité, droit d’expression mis à part, l’Élysée a plutôt vu ses pouvoirs réduits, le Parlement a accru les siens et les citoyens ont gagné des droits supplémentaires. » Ce bon vieux Minc, au lendemain d’un discours qui fait débat pour des raisons que l’on se contentera de qualifier de justifiées, prend les devants en nous balançant qu’on est des gueux de se focaliser sur des broutilles et que lui, en fin constitutionnaliste qu’il est, se fait fort de percevoir les tendances lourdes, à savoir un président en retrait (on ne rigole pas). On est un peu bouché, que veux-tu, on s’en était pas rendu compte… Comme il dit : « Sans doute faudra-t-il plusieurs années avant que le pays ne perçoive l’esprit amodié3 de la Loi Fondamentale. »
Plusieurs années ? Mets-moi plutôt quelques décennies, je suis un peu lent à la détente…
1 Que veux-tu, « chez Séguéla, on ne rit pas. On triche. » (sorry).
2 En passant, j’ai évacué de mon analyse tout ce qui n’était pas intervention de penseurs divers, à savoir le corps du journal. Je peux te résumer la chose en quelques mots, le truc étant aussi transparent qu’un décolleté de Paris Hilton : recopiage maladroit de quelques dépêches AFP avec un joli horoscope à la fin, une très instructive rubrique « Le Saint du jour » et des pubs pour les émissions Direct 8. Lecture torchée en trois minutes pour les plus consciencieux.
3 C’est écrit comme ça, « amodié ». Je pense que le mec veut noyer le poisson en utilisant un mot de vieux français pas vraiment raccord avec son sujet (déf ici) ou alors il voulait dire « amodifié » (ce qui n’est pas français, mais on ne va quand même pas s’arrêter à ce genre de considérations), c’est possible, la coquille étant à Direct Soir ce que la côte de porc est au barbecue : une institution sacrée.