vendredi 13 novembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 14h04, par
36 commentaires
Il en fallait bien un… En une interview au Parisien, un chercheur en psycho-gérontologie dénonce « l’âgisme », qui serait « à l’âge ce que le racisme est aux races ». Prétextant le « regard dévalorisant » porté sur les vieux, il a même saisi La Halde… Cela pourrait juste être ridicule. Mais c’est surtout révélateur de la toute-puissance des personnes âgée et de leur capacité de nuisance.
Ça s’appelle « Chasseurs de vieux » et c’est une très classieuse nouvelle de Dino Buzzati1.
Des temps futurs, pas tellement folichons, des bandes de jeunes qui prennent le contrôle de la ville dès la nuit tombée et les mêmes, armés de battes et de barres de fer, qui pourchassent et éliminent tous les vieux qui ont le malheur de croiser leur chemin.
Comme ça : course-poursuite, curée, mise à mot2.
Paf.
Mais voilà : c’est de la littérature.
Juste de la littérature.
Et tu le sais, toi, qu’il n’y a rien de tel dans la vraie vie - j’entends : celle qui préside au choix des titres du 20 Heures, justifie les tactiques électorales et, de façon générale, gouverne nos tristes destinées.
Pas du tout.
Et que même, si on veut être un tantinet objectif, c’est plutôt exactement l’inverse qui se déroule, si ce n’est que les bandes de vieux n’ont pas de barres de fer en main et n’organisent des chasses à l’homme que symboliques.
Pas besoin : ils pèsent d’un tel poids sur la mascarade électorale3 qu’il est désormais certain que la droite continuera de l’emporter jusqu’à ce que s’inverse la pyramide des âges ; autant dire que c’est pas demain la veille4…
Une toute puissance électorale bien comprise de politiques décidés à caresser les personnes âgées dans le sens du cathéter, balançant à tire-larigot, en leurs discours et programmes, ces mots « ordre » et « sécurité » qui donnent de petits frémissements extatiques à ceux qui n’ont plus pour horizon que l’écran de la télévision et qui voient grandir, au fur et à mesure qu’ils gagnent de l’âge, leur part d’ombre et de peur.
Toi, tu le sais, ai-je décidé arbitrairement.
Mais à l’évidence, Jérôme Pellissier, chercheur en psycho-gérontologie interviewé dans un Parisien qui fait sa Une sur les personnes âgées, « Quand nos aînés sont mis sur la touche »5, l’ignore.
Puisque l’expert, par ailleurs secrétaire d’un Observatoire de l’Âgisme encore inconnu mais qu’on imagine promu à un avenir radieux, tente de tirer quelques larmes aux lecteurs du quotidien en baratinant sur les vieux victimes d’un « regard très dévalorisant » et en expliquant avoir saisi La Halde sur le sujet.
Une position qu’il assoit sur une argumentation pour le moins légère : « Pour preuve [de ce regard très dévalorisant], ces réflexions insidieuses aux heures de pointe dans les files d’attente des supermarchés du genre : « Vous qui êtes en retraite, vous pouvez pas faire vos courses à un autre moment ? » Sur la route, combien de sexagénaires s’entendent dire « Avance, papy ! » alors que les conducteurs âgés n’ont pas plus d’accidents que les autres. »
Et qui l’amène à une considération incroyablement expéditive mais bien dans l’air du temps : « Il faut faire de la pédagogie pour lutter contre ce que j’appelle l’âgisme, à savoir la discrimination liée à l’âge, qui est à l’âge ce que le sexisme est au sexe et le racisme aux races. A la base de ces stéréotypes, il y a comme toujours de l’ignorance et de la peur. »
L’âgisme, un nouveau racisme ?
L’idée doit, à juste titre, faire hurler ceux qui ont enduré en leur vie de réelles discriminations liées à la couleur de leur peau.
Et il suffit de se référer à une étude de l’Insee datant de 2006, Perception et vécu des comportements intolérants, pour vérifier combien cette assertion ne repose sur rien :
Les jeunes déclarent plus que le reste de la population avoir subi des attitudes négatives au cours de leur vie.
La diversité des motifs évoqués par les personnes interrogées renvoie directement à leur propre diversité et leurs caractéristiques spécifiques. Bien évidemment, les personnes immigrées ou d’origine immigrée ont davantage énoncé des comportements négatifs concernant leurs origines et les personnes handicapées des attitudes renvoyant à leur handicap ou leur état de santé. De plus, certaines situations peuvent exposer davantage que d’autres aux comportements intolérants, comme le fait d’avoir vécu dans une cité et plus généralement de vivre dans une grande ville, par opposition à ceux vivant en milieu rural. Le fait le plus saillant est cependant la régulière et forte décroissance de la proportion de faits énoncés avec l’âge : de 49 % des personnes âgées de 18 à 24 ans à 13 % de celles ayant plus de 70 ans.
En clair : les personnes âgées ne se plaignent de rien, merci pour elles.
C’est tout ?
Oh que non.
Jérôme Pelissier, tout à son sujet d’expertise et à la mise en avant d’un « jeunisme » qui n’a jamais été que la vision fantasmée de la jeunesse à l’usage des vieux, inverse aussi totalement les données du problème.
Et prend bien garde de mentionner que ce sont les jeunes qui sont aujourd’hui à plaindre.
Victimes du chômage et de la précarité, en de plus larges proportions que le reste de la population.
Exposés à la misère de façon beaucoup plus marquée que les séniors - la proportion des jeunes en-dessous du seuil de pauvreté est de l’ordre de 14 %, contre 4 % pour les plus de 60 ans (il y a trente ans, c’était l’inverse).
Très régulièrement soumis à la vindicte, habitants des cités, membres des supposées bandes, contestataires de tous poils et petits délinquants arbitrairement rangés sous un vocable « jeune » qui n’a d’autres finalités, dans la bouche des médias et des pouvoirs, que de faire accroire à l’existence d’un péril global et d’encourager la peur qu’il suscite chez les personnes âgées.
Et - enfin - premières cibles des lois, victimes toutes désignées d’un système ultra-répressif qui les condamne toujours davantage pour de petites bêtises, les envoie plus tôt et longtemps en prison, et criminalise leur mode de consommation culturel et leurs intérêts.
Des manchettes « faits divers » des journaux à Hadopi, des textes législatifs ciblant leur prétendue délinquance croissante6 aux déclarations de responsables politiques enchantés de s’être trouvé de parfaits boucs émissaires - lesquels ont pour eux l’immense avantage de bouder les urnes - , des violences urbaines des bandes à la consommation de drogues douces, les jeunes sont partout.
Et partout, ils sont dans les fers.
En cette société, les personnes âgées détiennent nombre de cartes, puissance électorale dédiée dans sa majorité à la réaction et au sécuritaire7, les jeunes à peu près aucune, minorité ostracisée qui devra subir les choix dictés par la peur à ceux qui ont presque terminé leur vie.
Et le cri d’alarme poussé par Le Parisien et Jérôme Pélissier devrait tout juste te faire rigoler, s’il n’était pas aussi tristement révélateur : la dénonciation d’un prétendu âgisme n’est qu’une coquetterie de privilégiés, la marque de puissance d’une classe d’âge qui se sait intouchable, l’indice de la construction d’un lobby.
Aussi, je te prie de m’excuser quelques instants : je vais balancer un cocktail Molotov sur la première maison de retraite venue.
Et puis, je reviens.
1 Dans Le K, que tu as sûrement lu.
2 Je simplifie, hein. Dans la nouvelle, le meneur de la bande prend, d’un seul coup, un paquet d’années sur le paletot, vieillissant abruptement au terme d’une harassante chasse d’une nuit, très longue poursuite finalement victorieuse. Au matin, hop : le chasseur devient chassé. Conte philosophique, tout recommence, bête ironie de la vie… toussa-toussa.
3 Je te rappelle que les résultats du deuxième tour Royal-Sarkozy de 2007 s’articulent, en bonne part, sur un conflit générationnel : les moins de 50 ans qui se sont rendus dans l’isoloir ont majoritairement voté Royal, les plus de 50 ans qui ont fait de même ont majoritairement voté Sarkozy. Plus en avant en âge, c’est pis : Sarkozy a fait 61 % des voix chez les 60-69 ans et 68 % chez les 70 ans et plus.
4 Le nombre des plus de 60 ans devrait doubler dans les quatre prochaines décennies.
5 Le dossier comporte plusieurs articles, dont deux sont réservés aux abonnés et que je n’ai pu lire. Ils feraient état de difficultés à décrocher un logement, une assurance, un crédit ou d’une exclusion des sondages. J’ai tendance à penser que ce sont là en partie points de détails, en partie problèmes vécus par toute la population : une personne âgée pauvre a sans doute autant de difficultés qu’un jeune chômeur ou un quadra aux revenus modestes à se trouver un logement.
6 Je te renvoie sur ce sujet à l’excellente note de recadrage de Laurent Mucchielli, portant sur la délinquance des mineurs.
7 Ne me fais pas dire ce que je ne veux pas : il est énormément de personnes âgées très classieuses. Mais admet que les Stéphane Hessel ne se ramasse pas à la pelle, malheureusement…