mardi 13 octobre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 13h19, par
31 commentaires
C’est fantastique : ce brave Brice ne déçoit jamais. En se rendant en urgence à Poitiers, en y faisant œuvre de détective de terrain - jusqu’à déceler des « financements » derrière les radicaux - et en proposant la dissolution de groupes qui n’existent pas, le ministre de l’Intérieur apporte un brin d’humour à un événement qui en manquait peut-être un peu. À moins que ce ne soit pas si drôle ?
Que je te dise, ami.
Je ne suis pas comme toi, qui juge sévèrement l’action du ministre de l’Intérieur.
Et je sais combien sa tâche est rude, endiguer l’agitation continuelle de cette « mouvance anarcho-autonome d’ultra-gauche » faisant rien tant que mugir dans les campagnes poitevines en dévastant nos commerces et apeurant nos compagnes (ou l’inverse).
La France tremble, les médias ont la fièvre1 et le ministre de l’Intérieur ne rate pas l’occasion de surjouer son rôle, homme ferme et droit dans ses bottes pour faire obstacle au raz-de-marée autonome - quand il y en a un, ça va ; c’est quand il y en a plusieurs que les totos posent des problèmes…
Jusqu’à se muer en détective d’élite, perspicace enquêteur sachant dresser les justes conclusions des plus infimes observations ; découvrant lors de sa visite à Poitiers les quelques objets ramassés après la manifestation (« Masques blancs, masques à gaz, feux d’artifice, solides bambous taillés en pointe (…), fusées marines, mortiers, marteaux et massettes »), Brice Hortefeux ne manque pas d’en tirer les attendus qui s’imposent, selon La Nouvelle République : « Du matériel coûteux, s’exclame le ministre, ceux qui les utilisent ont des moyens financiers. »
Ben oui : qu’est-ce que tu t’imagines, mon Brissou ?
Que le réseau ultra-gauchiste hexagonal n’est pas financé par le terrorisme international ?
T’as qu’à croire…
Du même, tu ne tiendras pas rigueur, ami, de la morne tentative ministérielle de faire accroire à l’efficacité policière en ressortant de derrière les fagots répressifs une loi datant de 19362.
Et tu éviteras - c’est un conseil, nul ne sait ce qu’il en coûtera demain de rire aux dépends du régime - de moquer la prétention du camarade Hortefeux à réclamer « la dissolution de certains groupuscules, qui encore une fois saccagent et ne respectent pas les règles de la démocratie ».
Exigence qui doit bien faire rire ces prétendus groupusculaires, si efficaces qu’ils ne se sont pas contentés de de semer « la peur et la panique » dans les rues d’une paisible ville de province, mais en ont profité pour « saccager » la démocratie3.
Tant il est de notoriété publique que les membres « de la mouvance anarcho-autonome d’ultra-gauche » m’aiment rien tant que se constituer en associations et groupes politiques (dans quelques mois, ils devraient même présenter des candidats aux élections, c’est dire combien ils sont organisés)…
Ben oui : qu’est-ce que t’imagines, mon Brissou ?
L’autonomie est une réelle force politique, avec financement et partis ayant pignon sur rue.
T’as qu’à croire, derechef…
Tu aurais pourtant tort, ami, de trop prendre à la légère les bouffonnantes saillies de Brice Hortefeux.
Tant l’homme s’emploie à poser là jalons qui lui seront - ainsi qu’au régime - de grande utilité dans les mois à venir.
En gonflant infiniment l’importance de la petite promenade - un brin agitée, il est vrai - de quelques radicaux dans les rues de Poitiers, en suggérant l’existence d’un financement et de structures secrètes, en donnant à cet événement une importance qu’il n’a en rien - avec l’appréciable concours des médias - , le ministre de l’Intérieur reprend la partition de Michèle alliot-Marie là où cette très nuisible joueuse de pipeau l’avait abandonnée.
Et cette répression qui vient, c’est déjà presque officiel, s’appuiera notamment sur la création de deux nouveau fichiers, « un pour identifier les “mouvances anarchistes potentiellement violentes”, un autre pour recenser leurs “lieux de vie communautaires”… », résume Bug Brother, constatant dans la foulée : « Et alors que l’on attend, depuis plus d’un an, la publication du décret portant création d’Edvirsp, il a suffi d’une émeute dans les rues de Poitiers pour voir poindre, en une journée, deux nouveaux fichiers, dont les décrets -miracle- auraient déjà été soumis au Conseil d’Etat. »
Le monde est quand même bien fait, hein, mon brissou ?
Oui : c’est chouette.
Si je me garderai de parler, à propos de ceux qui ont décidé de sortir foulards et bâtons à Poitiers, d’erreur stratégique ou d’instrumentalisation, tant toute contestation un tant soit peu violente est aujourd’hui expédiée en ces quelques mots pour peu que l’on ait résolu de voir les choses sous cet angle.
Si je ne m’étendrai pas non plus sur ceux des éléments qui me déplaisent dans cette petite poussée de fièvre poitevine4, à commencer par la posture martiale adoptée par ceusses qui se plaisent à jouer les durs de durs5 et la résurgence de slogans si débiles qu’ils feraient passer les axiomes maoïstes des années 70 pour des monuments de subtilité (La plus belle jeunesse est celle qui est dans les prisons… Sans déconner ?6)
Je noterai quand même, comme toi peut-être, qu’il est des événements tombant à point nommé.
À cette aune, la prétendue mise à sac - puisque c’est ainsi qu’elle est présentée dans les médias - d’une ville de province, la dramatisation de l’affrontement - horde de « casseurs » débarquant par « surprise » ou étrange impuissance policière7 - et sa scénarisation ont tout de ce blockbuster médiatique que TF1 et le régime adorent exploiter de concert.
En clair : on n’a pas fini d’en bouffer.
Et je serais toi, camarade anarchiste, squatteur poitevin et autonome revendiqué, je m’attendrais un brin à sentir s’appesantir, dans les mois à venir, le poids d’emmerdements aussi divers que variés.
Pour le reste, je te renvoie, ami, à cette interview de Mathieu Rigouste publiée ici-même, samedi.
Et constate que le passage copié-collé ci-dessous ne pourrait mieux tomber :
Le pouvoir n’a pas vraiment d’intérêt, il est, il fonctionne, c’est un rapport de forces dynamique. En revanche, les fractions de classe qui sont aux commandes des machines de contrôle et de séduction trouvent un intérêt à rester en place et à faire du profit. La limite se pose là. Tant qu’un phénomène de « résistance » reste dans les cadres d’un contre-pouvoir tolérable par le pouvoir, alors il lui sert de prétexte et de support. L’enjeu réside dans notre créativité, dans l’invention de formes de vie et de rupture ingouvernables, c’est-à-dire qui ne se laisseront pas saisir comme « contre-pouvoirs » ou « contestation », qui ne se laissent jamais saisir du tout.
De toute manière, le pouvoir tente de s’approprier tout ce qui bouge, un acte n’a pas de valeur en soi dans le schéma sécuritaire, une émeute peut tout autant servir la contre-insurrection que la fragiliser. On retrouve parfois des agitateurs policiers et de sincères activistes qui soufflent sur les mêmes braises. Il faut garder en mémoire que la logique interne du système auquel nous faisons face est de maintenir la légitimité du souverain auprès de ses sujets et de préserver l’ordre économique et social qui emploie le vivant comme une matière première de la production de profit. La question des moyens se pose à ce niveau, pas en fonction de l’instrumentalisation possible. Il faudrait selon moi créer des formes de vie autonomes, auto-organisées, libres, solidaires et heureuses, offensives face à ce système et nous permettant d’exister par nous-mêmes, au-delà de lui.
Je ne te cache pas - tant qu’on y est - que, moi aussi, je ne crois guère à un quelconque bouleversement sans qu’il ne s’accompagne de joie et de création.
Détruire ce vieux monde, d’accord.
Mais avec classe, bordel !
1 Poitiers sous le choc après une nuit de violences, titre l’Express. « Une nuit » ? Les collègues de Christophe Barbier sont-ils incapables de lire une dépêche AFP ?
2 Et pourquoi pas réactiver les lois scélérates de 1893 ?
3 Si on m’avait dit qu’ils auraient une telle influence, j’aurais moi aussi pris un billet de train pour Poitiers…
4 Rejoignant en partie la position de l’Organisation Communiste Libertaire du Poitou.
5 Me rappelant ce crétin cagoulé qui, lors d’une manifestation tendue à Beaubourg (compte-rendu ICI), m’avait sauté dessus en me reprochant mon appareil photo et n’avait rien trouvé de mieux à dire, en réponse à ma prétention à informer pour un média libre : « Si tu crois que je suis là pour la liberté… »
6 Edit, 18 h 14 : on me souffle dans l’oreillette, en commentaires, que le slogan est repompé d’In girum imus nocte et consumimur igni, film de Guy Debord. Ça m’apprendra à tourner sept fois mon doigt sur le clavier, avant d’écrire des conneries…
7 Je te renvoie sur ce point à l’excellent billet du taulier de l’Escalier qui bibliothèque.