mercredi 22 juillet 2009
Le Cri du Gonze
posté à 10h56, par
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Ils n’ont pas encore trouvé avec Sarkozy cette place de choix qui leur revenait de droit. Et n’ont toujours pas croqué dans ce gâteau que dévorent leurs camarades. Ils piaffent d’impatience, les pauvres. A.11 ne pouvait rester insensible à cette détresse. D’où cette série d’été, en soutien à de fidèles soutiers de la majorité (ou apparentés) qui le valent bien. Aujourd’hui, Claude A.
Pourquoi le cacher ? Ce jour-là, il y a trois semaines environs, j’ai eu terriblement mal pour lui. Je l’ai imaginé seul dans son bureau, guettant le téléphone comme la hyène le bébé phacochère, convaincu que c’était pour aujourd’hui, que ce foutu combiné allait sonner pour lui transmettre la bonne nouvelle, que ça ne pouvait pas se passer autrement, on ne s’humilie pas autant pour que dalle, cette malédiction devait cesser, allait cesser. Au mur, une pendule fatiguée qui dit oui qui dit non, enfin surtout non, et ses doigts nerveux sur le bureau qui pianotent sans cadence, cherchent à s’occuper, à faire passer le temps jusqu’à ce qu’enfin, je vous en prie, faites-vite, une sonnerie brise l’insupportable tension. J’ai serré les poings avec lui, solidaire, conscient de sa torture. Ca n’a rien changé, bien sûr. Il est resté à son bureau, pâle et perdu, un océan d’humiliation solitaire. Funeste 23 juin 2009.
Je l’ai senti au plus profond de moi, ce moment où tout était perdu, où il l’a su. Je l’ai senti vaciller intérieurement, l’ex-ministre en devenir, perdre la foi. Moment terrible, le Requiem de Mozart à 240 DB dans le cerveau, les pensées qui cherchent un dérivatif, vite, vite !!!, les doigts boudinés qui fouillent en tremblant dans le tiroir, sortent un Lexomil, non deux, et les quelques rasades goulues de Calva pour faire passer la chose. Le regard vide de celui qui a tout perdu, dignité et situation. Le pauvre homme laissant échapper un barrissement désespéré : plus rien à faire, le mammouth est dans les sables mouvants, trop tard pour sortir du piège la tête haute. La boue arrive jusqu’aux oreilles. Claude Allègre s’enfonce. Derechef.
Ce jour-là, gris et sordide, jour de remaniement ministériel, Claude Allègre DEVAIT être à la fête. La messe était dite, il en était convaincu, trop longtemps qu’il faisait tout pour ça, qu’il avait emmagasiné avec une constance impressionnante humiliations et génuflexions. Tous ceux qui en avaient fait autant, ses compères convertis aux joies du « pragmatisme socialiste », étaient depuis longtemps au gouvernement. Besson, Bockel & co avaient encaissé vite fait la récompense de leur revirement. Mais lui ? Pourquoi ça ne donnait rien ? Pourquoi ?
Ce jour là, pas si lointain, je me le suis promis, j’écrirais une élégie sur Claude Allègre, martyre politique. C’était bien le moins que je puisse faire. Dont acte.
Pour comprendre sa détresse, la ressentir profondément, il est nécessaire de revenir sur la carrière récente dudit Allègre, empilement effarant de déconvenues. Par souci de clarté, pour ne pas tomber dans le pathos, j’ai choisi de me concentrer sur trois moments clés qui resteront toujours attachés à sa personne, comme le bout de scotch sur le pouce du capitaine Haddock. Trois humiliations politiques piochées subjectivement mais permettant de cerner tout particulièrement sa condition de looser opportuniste.
C’est cela qui m’intéresse chez lui, cette capacité à tout faire pour trahir son camp tout en se ramassant lamentablement. Les dents rayent le parquet, mais elles se cassent et entravent la course. Toujours, Allègre fournit le bâton pour se faire battre, avec mode d’emploi traduit dans toutes les langues. Pauvre homme.
Déclarations malheureuses, vol. 1
Cela date d’une lointaine époque, les environs de l’an 2 000, quand les socialistes approchaient encore parfois le pouvoir. Voire, s’y maintenaient (ouaip, moi aussi ça me fait bizarre). Des grèves, maladie française, secouaient l’hexagone ; les profs, toujours les profs, ces assistés. A l’époque, Claude avait miraculeusement décroché un poste auprès de son ami Lionel, paraît qu’il se débrouillait pas trop mal en science (la chose a été démentie depuis), pourquoi pas l’éducation ? L’éducation, donc.
Claude A. avait pleins d’idées, il voulait réformer à tout va, il trouvait qu’il y en avait marre des pesanteurs du système français, qu’il était temps de s’inspirer d’autres modèles, LMD à tout va, blablabla, refrain connu. Mais là où d’autres, tristes précautionneux, se seraient enlisés dans les banalités et les déclarations lénifiantes, Claude a mis le pieds dans les plats et la langue dans la soupière, s’est lancé dans l’injure caractérisée. Une fois. Deux fois. Trois fois. A lui tout seul, il a crée des grèves, augmenté le mécontentement. Un agitateur patenté. Un as du piquet de grève.
La date restée la plus célèbre, c’est bien sûr ce jour béni des syndicats enseignants où Claude est entré dans l’histoire du faux-pas communicationnel en déclarant que l’éducation nationale était un « mammouth » à « dégraisser ». Outre un sens incontestable de la formule, voire de la poésie, la chose dénotait un tempérament punk pas piqué des vers. Très vite, Claude a réitéré, pratiquant allègrement la diffamation caractérisée, n’hésitant pas à claironner un taux d’absentéisme des profs de 12 % largement supérieur à la réalité (entre 5 et 8 % à l’époque). Les syndicats se braquèrent comme un seul homme, la profession s’étouffa d’indignation. Allègre, serein, prit le parti de s’en foutre, balançant derechef, grandiose : « Les enseignants ont quatre mois de vacances et, en plus, ils prennent leurs congés formation sur la scolarité ». Passons sur la polémique ridicule qui le vit, à la même époque, se faire mettre minable par Le Canard Enchaîné et Georges Charpak sur une question de physique élémentaire genre TF1 après avoir raconté des conneries sur un plateau télé, pour aboutir directement à la conclusion qui nous intéresse : mars 2000, Allègre, unanimement haï, démissionne. Il a tout fait pour y être acculé, montrant de solides inaptitudes à la politique qui, dès cette époque, achevèrent de me le rendre sympathique. Sa croix, déjà, semblait ne jamais devoir quitter cette épaule accueillante.
Le déguisement était presque parfait
C’est une image dont il ne pourra jamais se défaire. Elle le rend presque sympathique tant elle trahit derrière l’homme traître, la buse en matière de communication, celui qui s’empêtre les pédales dès lors qu’il s’agit de vendre son image. À mille lieues des experts en com qui trustent les plus hauts postes. Une représentation de soi pataude et maladroite, la honte de tout communiquant qui se respecte, une sale journée pour Claude A.
À l’époque, le deuxième tour des présidentielles approche à grands pas. On commence juste à parler d’ouverture, concept neuf pour l’UMP, pas encore estampillé stratégie parfaite. Sarkozy se tâte, il cherche qui pourrait bien convenir dans le rôle du traître à Royal, il lui faut un autre Brutus pour signer sa victoire. Il convoque à son QG de campagne ceux qui pourraient convenir. Allègre en fait partie, of course, et frétille d’aise, évidemment. D’autant qu’il en a reçu l’assurance : personne ne sera au courant de cette petite entrevue, rien à craindre, il suffit d’être discret. Il vient donc courtiser en haut lieu, naïf comme Harpagon, les yeux brillants devant le pouvoir suprême. Enfin, il touche au but, il la tient sa revanche, ils vont voir ses contempteurs, ces mesquins…
C’était mal connaître Sarkozy. Lequel s’empresse de faire prévenir les journalistes de la sortie par une porte dérobée du pauvre Claude, en lunettes d’espion pour l’occasion (« Je suis ici incognito… »). L’occasion d’un moment de télévision absolument tragique (et puissamment fendard), les vautours se ruant sur le busard, le stoppant dans sa fuite pour lui faire rendre gorge médiatique au milieu de ses déclarations embarrassées, genre gosse pris la main dans le placard à confiotte : « Mais non, je suis venu voir François Fillon, qui n’est pas… qui n’est pas… avec qui on fait un interview. » Un must dont on ne se lasse pas.
Sarkozy, pas la moitié d’un Machiavel sur cette affaire, ne fera pas appel à lui à l’heure de former son gouvernement. Une leçon de real-politique qui semble avoir assez peu porté ses fruits.
Déclarations malheureuses, bis.
Après en avoir tellement bavé, on le pensait enfin sur la voie royale, Claude A., prêt à bondir. Tant de veulerie et pas un seul maroquin à se mettre sous la dent ? Ça ne pouvait durer, ça allait changer, d’ailleurs, il l’avait confié à Moscovici, l’affaire était dans le sac. 2009 serait son année. On le pressentait dans un ministère regroupant industrie et recherche, là où son expérience de scientifique devait lui permettre de briller. Il avait tout fait pour ça, déclarant même à l’AFP le 26 mai 2009 qu’il allait voter « sans état d’âme et sans hésitation » pour la liste UMP aux européennes du 7 juin, clamant qu’il était « bluffé » par Sarko. Ce n’était même plus un appel du pied, mais bien un front-kick surpuissant dans la talonnette du teneur de manettes.
Las ! Cela n’a servi à rien, le poste lui a glissé sous le nez. La faute à quelques déclarations scientifiques malheureuses qui en firent la risée du public et la cible (facile) des écolos de 7 à 77 ans, ainsi que de la quasi intégralité de la communauté scientifique. En deux/trois jours, tous les médias ressortaient ses théories fantasques sur le réchauffement climatique. Hallali, curée médiatique, Nicolas Hulot montant au front et tout le toutim. Bien sûr, il était pour le moins maladroit, voire stupide en ces périodes de mise en scène de l’écologie gentillette, de clamer partout que l’homme n’avait sûrement rien à voir avec le réchauffement climatique, qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que le progrès nous sauverait de tout ça, et que d’ailleurs, c’était comme les OGM, pourquoi est-ce qu’on en faisait tant de foin ? Mais bon, Claude a des convictions, il s’y accroche, contre vents et marées, c’est louable… Comme il le claironnait dans son célèbre opus « Ma Vérité sur la planète » : « Le principe de précaution, c’est l’arme ultime contre le progrès. »
Une chose est sûre : plus je le vois évoluer et plus je me rends compte que l’Allègre est un personnage politique étrange à vocation suicidaire (d’où, évidemment, « le refus du principe de précaution ») qui n’aime rien tant que courir au désastre. Ses mœurs singulières, comme celles du Kiwi ou du lemming à l’échelle animale, le condamnent, c’est évident, à une disparition prématurée. Triste et beau à la fois, cette inclination pour l’extinction…
Pour l’observateur, reste cette interrogation lancinante : est-ce parce qu’il a étudié la géologie dans sa jeunesse que Claude Allègre reste toujours à terre ? Est-ce parce que ses zèles de géant servile l’empêchent de voler ? Nul ne sait. Toujours est-il que d’autres prennent le chemin des cieux politiques et que lui s’enfonce. Si bien que j’en appelle solenellement à l’Élysée, main sur le palpitant, au terme de ce billet. Que ces gens-là fassent un geste, un effort : même un sous-sous-secrétariat ferait l’affaire. N’ont-ils donc pas de cœur ?
1 Certains s’étonneront de trouver dans cette série consacrée aux caïds oubliés de la majorité le nom de Claude Allègre, qui n’a pas encore officiellement son diplôme UMP. A titre officieux, par contre, il semble évident que l’intéressé ne peut être considéré comme autre chose qu’un valet, particulièrement servile, du pouvoir en place. Tout à fait à sa place, donc.