Plus qu’une semaine avant le verdict final. La France entière s’excite, frôle l’ébullition : l’actuel champion va-t-il s’évaporer dans les urnes ? Le challenger va-t-il s’imposer ? Vaines ritournelles. Dans « Les Ficelles du pantin », tout juste sorti aux éditions Attila, Yak Rivais aborde la question sous un angle plus explosif : que se passe-t-il quand le sortant refuse de laisser sa place ?
« Ah monstre ! Ordure de l’ordure !
Pourriture à remplir d’horreur la pourriture...
Et tous acceptent ça ! »
Bertold Brecht, Arturo Ui
Soir d’élection, dans un pays imaginaire qui ressemble fort à la France de mai 2012. Le président sortant, le gras et vulgaire Vitellius, ne veut pas sortir. Pas question de lâcher ce pouvoir qu’il aime tant, dans lequel il trempe comme l’ours dans la mer de miel. Les urnes le désavouent ? Qu’importe ! Son adversaire triomphe ? Cette andouille légaliste ne va pas tarder à déchanter ! Il est ainsi, Vitellius ; les scrupules c’est pas son truc. Calfeutré dans son palais avec quelques fidèles, l’armée à sa botte, il mitonne la suite de son règne, trafique la donne électorale pour mieux rempiler. Pas de scrupules. Le peuple n’a pas compris pour qui il devait voter, c’est tout ; lui va y remédier. « Tu vas voir ce que j’en fais de ta république ! », crache-t-il au vainqueur de la joute électorale, Vespasien. Et d’enclencher la machination, sans vergogne.
Vitellius, c’est Ubu et Néron dans le même corps. Le pouvoir nu, obèse et grotesque, camé d’arrogance. Tellement imbu de lui-même, de son image couronnée, qu’il ne lâcherait sa fonction pour rien au monde. Quitte à magouiller, à tromper ce peuple qui n’a pas le bon goût de le réélire. Pourquoi devrait-il partir, lâcher son trône ? Après tout, il n’est qu’une marionnette, et il connaît son rôle mieux que quiconque. À une prostituée qui l’aide courageusement à décharger la tension de ces foutues élections, le roi désavoué livre ainsi la clé : « C’est quoi ton boulot de Président, au juste ? », piaille l’ingénue ; « Gagner beaucoup de fric pour arroser ceux qui m’aident à garder ma place », rétorque le boursouflé qui ne déparerait point au Fouquet’s. Le roi est nu, et c’est pas beau à voir. « Je suis immortel, je boucle mes bretelles ! », parade-t-il peu avant sa chute, triste pantin aux grosses ficelles.
« Je suis immortel, je boucle mes bretelles ! »
Libre au lecteur de traquer les résonances contemporaines dans Les Ficelles du pantin, petit récit diabolique de Yak Rivais. De scruter chez le personnage de Vitellius ce qui rappelle l’actuel résident de l’Élysée. De s’imaginer que peut-être, s’il est battu, si son ego déraille et que la folie l’emporte, il pourrait faire de même, se camper sur ses talonnettes présidentielles au soir du 6 mai 2012 en trépignant comme un gosse capricieux – « j’y suis j’y reste ! »... Délire absurde ? Bien sûr. Sauf que ce ne serait pas le premier à s’accrocher au pouvoir comme un forcené. A se démener comme un beau diable pour rester sur le trône1. Ce n’est pas George W. Bush qui dira le contraire, lui qui parvint à rempiler en 2 000 aux commandes de la belle démocratie ricaine grâce aux talents de prestidigitation de son équipe électorale. Ni notre Jean Tiberi national, lui qui ne lésina pas sur les moyens déloyaux pour rempiler dans son cher 5e arrondissement parisien. As said cette vieille baderne criminelle d’Henry Kissinger, qui s’y connaissait en fraudes diverses et (a)variées : « Le pouvoir est l’aphrodisiaque suprême. » Et puisque ces Messieurs qui nous gouvernent dépérissent privés de leur viagra autoritaire, ce serait salaud de leur reprocher d’abuser un tantinet de leur position. Il faut bien que vieillesse se passe.
Bref, c’est un drame vieux comme le monde qui se rejoue dans Les Ficelles du pantin, un drame calqué sur l’Histoire. Ou plutôt : une farce millénaire. Yak Rivais ne s’en cache pas, lui qui a choisi de piocher dans l’histoire romaine le nom des deux principaux protagonistes de son récit. Le vrai Vitellius a régné quelques mois en 69, après Néron, avant Vespasien. Il était si mauvais empereur, si corrompu, qu’il a fini de la pire des manières, lapidé par la foule en colère, son corps jeté dans le Tibre. Tacite, dans ses Histoires, lui grava une épitaphe aussi lapidaire que parlante : « La populace l’outrageait mort avec la même bassesse qu’elle l’avait adoré vivant. » Au suivant !
1 D’ailleurs, soyons réalistes : il drague la Marine avec une telle insistance criminelle que l’armée ne devrait pas hésiter à se ranger à ses côtés si la situation l’exige...