vendredi 27 février 2009
Le Charançon Libéré
posté à 10h11, par
8 commentaires
Certains - ils auront raison - vont trouver que ça commence à bien faire : après l’héritage et ma tentative de frauder l’ISF, voilà que j’évoque brièvement mon amitié avec Bernard Madoff. Faudrait peut-être arrêter de déconner… Mais quand même : je ne pouvais passer ça sous silence. Et aussi : c’est une introduction comme une autre à l’épatante histoire de Enric Duran I Giralt. Lui a la classe. Vraiment.
La radio libre FPP m’a gentiment proposé de faire une petite chronique hebdomadaire, le jeudi à 12 h 30. Comme je ne recule devant rien, je vous la copie-colle ici (avec quelques modifications pour que cela passe mieux à l’écrit). Hop !
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Guilleret, je suis.
Pétillant.
Enthousiaste.
Et même : je nage aujourd’hui dans le bonheur le plus complet, dans l’euphorie, dans la pétulance, youp-là boum !
En clair : je suis vachement content.
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Pourquoi tant de joie ?
Je viens d’avoir des nouvelles d’un ami très cher.
Un homme sincère, intéressant et passionnant.
Rencontré il y a quelques années aux îles Caïmans, endroit critiqué par certains esprits chagrins parce qu’il constituerait l’un de ces paradis fiscaux où on peut débarquer avec une brassée d’argent sale et en revenir avec une brassée de billets propres.
Et où nous faisions tous deux le pied de grue à la porte d’un l’établissement bancaire, portant le même uniforme local tong-short-de-bain-mallette-de-cuir-lunettes noires.
Nous en avions profité pour sympathiser, le temps de déposer le contenu de nos valises sur des comptes secrets numérotés avec tout plein de zéro derrière.
Et pour aller boire quelques verres, avant de de repartir, avec nos valises vides et nos comptes bien remplis, vers nos chez-soi respectifs, lui à New-York, moi à Megeves.
Nous ne nous étions plus beaucoup croisés, ensuite, pris dans la frénésie de nos vies d’investisseurs de haut rang et de financiers d’élite.
Mais nous avions gardé des liens, nous envoyant une petite carte à Noël, nous offrant mutuellement une caisse de champagne à la saint-Mathieu, saint-patron des banquiers, et nous donnant régulièrement des nouvelles par e-mails sécurisés et cryptés.
Une vraie proximité, quoi.
Et depuis, je suis toujours heureux d’apprendre que mon ami Bernard Madoff se porte à merveille et coule des jours heureux.
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Las, la communication était devenue un rien difficile ces derniers temps, Bernard s’étant fait prendre la main dans un très gros pot à confiture.
Coupable d’avoir piqué la bagatelle de 50 milliards de dollars à ses clients, investisseurs assez idiots pour avoir cru aux rendements incroyables qu’il leur promettait, assez crétins pour ne pas se douter qu’il y avait anguille sous roche et assez ridiculement avide d’argent , eux qui en avaient déjà à foison, pour ne pas avoir repéré l’arnaque.
Bref, Bernard les a escroqué en beauté, eux se sont fait blouser comme des bleus et les voies du capitalisme sont très pénétrables : rien de neuf sous le soleil des îles Caïmans.
C’est tout ?
Non, je viens d’avoir des nouvelles de Bernard, par la grâce d’un article paru dans France Soir.
Et j’ai ainsi appris qu’il ne s’en sortait pas trop mal.
Qu’il n’était pas en prison, comme je le craignais, mais placé en résidence surveillée dans « son luxueux appartement de 350 m2 situé à Manhattan ».
Ce qui est plutôt bien.
Qu’il ne pouvait malheureusement se baigner dans sa piscine, à cause de son bracelet électronique.
Ce qui est un moindre mal.
Qu’il avait « signé l’exclusivité de ses confessions avec un éditeur new-yorkais, moyennant une avance de 2 millions de dollars ».
Ce qui est beaucoup mieux.
Et enfin qu’il s’apprêtait à rédiger une lettre d’autocritique, à envoyer aux trois millions de personne qu’il avait escroqué.
Ce qui est carrément génial.
D’ailleurs, je vois ça d’ici :
"Cher Client blablabla.
Désolé de vous avoir piqué toutes votre thune et de vous avoir enculé dans les grandes largeurs, blablablabla.
Je sais que ce n’était pas bien, mais je n’ai pas pu m’en empêcher, blablabla-blablabla.
Pardonnez-moi, blabla.
Veuillez recevoir l’expression des mes meilleurs sentiments, signé Bernard Madoff."
Oui : une bien jolie consolation.
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Par-delà cette belle amitié, parce que c’était Madoff parce que c’était moi, il y a quelques enseignements à tirer de cette histoire.
D’abord que le monde de la finance est impitoyable, ce n’est pas vraiment une nouveauté.
Ensuite que les cupides richards qui pensaient le devenir encore plus se sont fait blouser dans les grandes largeurs, c’est plutôt une très bonne nouvelle.
Et enfin que l’incroyable traitement réservé à Bernard Madoff, prince des arnaqueurs et roi des financiers véreux, suffit à prouver combien l’ordre néo-libéral a vraiment perdu la boule.
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Un peu avant Bernard Madoff, il y avait déjà eu un homme - enfin il y en a eu plein mais lui est particulièrement remarquable - qui avait prouvé tout cela avec une efficacité diabolique.
Sauf qu’il ne l’avait pas fait pour s’enrichir, mais pour démontrer l’absurdité du système et financer quelques justes combats.
Enric Duran I Giralt, activiste espagnol de 32 ans et double positif de Madoff, s’est ainsi payé le luxe de piquer 500 000 € aux banques.
Sollicitant - ainsi que le raconte l’excellent journal CQFD - 68 crédits auprès de 39 organismes financiers en un peu plus d’un an.
Décrochant au total près d’un demi-million d’euro, qu’il a eu la très grande classe de reverser en majorité à des associations militantes et à des mouvements sociaux.
Et utilisant le reste pour publier un journal, Crisi, titré « Tu penses que les banques te volent ? Rends-leur la monnaie de la pièce » et distribué gratuitement à 200 000 exemplaires un jour de septembre 2008 où il a révélé publiquement les tenants et aboutissants de cette arnaque de grande ampleur.
Une publication dans laquelle il écrivait notamment :
« Il s’agit d’une action individuelle d’insoumission à la banque que j’ai menée à bien de manière préméditée pour dénoncer le système bancaire. Il s’agit d’une action étrangère à tout type de violence, que je revendique comme une nouvelle forme de désobéissance civile à la hauteur des temps qui courent. Quand le financement à la consommation et la spéculation sont dominants dans notre société, quoi de meilleur que de voler ceux qui nous volent et de distribuer l’argent aux groupes qui construisent des alternatives ? »
Avant d’inviter, un peu plus loin, tout le monde à faire de même, avec cette idée que de telles actions constitueraient autant de grains de sables dans les rouages d’une machine financière en voie d’effondrement : « Imaginez si on arrêtait de payer en se soutenant les uns les autres. »
On imagine bien : ce serait magnifique.
Et cette vision des choses est au moins partiellement partagée par la justice espagnole, laquelle a préféré jusqu’à maintenant « archiver provisoirement les plaintes » des banques arnaquées pour faire le moins de bruit possible autour de l’affaire.
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De Bernard Madoff à Enric Duran I Giralt, il y a un monde, celui qui sépare le coup d’éclat d’un activiste courageux et audacieux de l’arnaque tissée par un financier véreux et sans scrupule.
Et je ne vous cache pas que j’ai bien l’intention de mieux choisir mes amis à l’avenir.
Mais tous deux prouvent par contre combien le système financier est vérolé, incapable de remplir les tâches qui lui étaient assignées, et combien la confiance qui le sous-tendait n’existe plus, certitude désormais que tout est possible, surtout le pire.
Signe que ce monde s’écroule.
Que rien ne pourra plus enrayer sa chute.
Et qu’il serait temps d’en profiter avant qu’il ne soit définitivement réduit en cendres.
Ça ne vous dirait pas, qu’on se dégotte quelques faux noms et qu’on prenne une petite dizaine de crédits ?