vendredi 18 septembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 15h03, par
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Tu pensais - peut-être - que les vacances lui avaient porté conseil ? Qu’il reviendrait un peu moins idiot après sa pause estivale ? Que je te dise tout de suite : il n’en est rien. Bernard-Henri Levy s’est d’ailleurs empressé de le prouver en une nouvelle chronique désastreuse au Point : l’Iran et l’Allemagne nazie, du pareil au même ! Tu sais donc ce qu’il te reste à faire, foutu Munichois…
Une partie d’entre vous connaissent - à l’évidence - le magnifique pamphlet que Guy Hocquenghem légua, comme une ultime baffe dans les valseuses, aux tartuffes et renégats de tout ordre.
Et ceux-là savent combien ce crachat cinglant, élégamment expectoré deux ans avant que de s’en aller, « coup de pistolet (tiré) dans la messe des reniements » pour reprendre les mots de Serge Halimi, est une jouissive volée de bois vert pour tous les traîtres à la petite semaine qui ont sacrifié - sacrifient et sacrifieront - leurs prétendues convictions à l’autel de leurs médiocres ambitions, un rossage en règle - et en style, quel style ! - des pâles courtisans qui abandonnèrent, la première occasion venue, la fausse veste rapiécée du rebelle pour l’habit étincelant du courtisan, gens de rien passant en moins de temps qu’il n’en faut pour retourner sa redingote « du col Mao au Rotary ».
Cette Lettre ouverte (à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary) de Guy Hocquenghem fut publiée en 19861.
Et il est tristement frappant de vérifier combien les implacables réquisitoires de l’auteur touchent juste, de constater que le marchepied des activismes contestataires a assuré à ceux qui en ont usé un règne de trente ans et de noter que les renégats des années 1980 ont décroché une éternelle martingale.
Parmi ces loufiats de bas-étage et ridicules opportunistes que Guy se paye comme à la parade, les écrasant littéralement de son talent, il est nombre d’insignifiants dont - paradoxalement - le nom continue à nous écorcher les oreilles : Pascal Bruckner, Daniel Cohn-Bendit, Serge July, André Glucksmann, Jack Lang, Roland Castro et…
(Puisque c’est là où je veux en venir)
… Bernard Henri- Lévy.
Adoncques : cette introduction sur Guy Hocquenghem n’était que prétexte à citer un passage de la Lettre ouverte, celui par lequel il débute son adresse À sa transcendance Béachelle.
Voici la chose :
« Cher Bernard, cher Henri, cher Levy,
Trois personnes en un seul dieu : ce mystère du De Trinitate, tu en es, fier monthéiste à trois dimensions (hauteur de vues, largeur d’esprit, profondeur du cœur), la très cathodique illustration. Pourquoi relever, te reprocher tes illustrations, toi qui es, mieux qu’une girouette, une véritable rose des vents à toi tout seul ? Hauteur de l’infatuation, largeur de la surface médiatique, profondeur de la pose pour photographes ; constance dans l’inconsistance, dogmatismes alternés, tes prises de position se succèdent et se contredisent (…). Ton agitation interlope ne cesse de transiter entre les deux formes du reniement, de gauche et de droite. Le chantage à l’antisémitisme, au fascisme, ne t’a servi qu’à restaurer, comme seul rempart contre les mauvais instincts des foules, la théologie la plus répressive. Inventeur du « retour au sacré » par utilitarisme, aimable Torquemada d’une inquisition de théâtre, belle âme de toc et de trucs, ton périple patine sur le lac gelé des illusions perdues en arabesques imprévisibles. »
Ces quelques lignes disent tout de BHL.
Tellement même qu’il est difficile de passer ensuite et de tenter de les raccorder à l’énième imbécilité en forme de chronique du philosophe de petite saison, nouvelle livraison effectuée en Le Point de la bouse que mèche-au-vent-jabot-blanc publie chaque semaine.
Essayons quand même puisque c’est la rentrée, les feuilles mortes se ramasseront bientôt à la pelle, et les billets insupportables du mystique va-t’en-guerre itou.
En ce retour post-estival, BHL jubile2 : il s’est trouvé un égal, un semblable, un frère, sur lequel s’appuyer pour mieux distiller ses thèses bellicistes et ses amalgames.
Il s’agit d’Amir Jahanchahi, auteur d’un opuscule sobrement intitulé L’Hitler iranien, comparaison qui - quelle que soit la sympathie qu’on porte à Ahmadinejad3 - est si ridicule qu’elle confine à la crétinerie la plus absolue.
Mais qu’importe : elle sert parfaitement la thèse de ces néo-cons français qui militent ardemment pour une intervention guerrière contre l’Iran - militaristes en pantoufle tous disposés à envoyer les autres se faire tuer pour valider leur vision apocalyptique de la coexistence des civilisations et interventionnistes à la petite semaine qui ne cessent d’agiter leurs petits poings rageurs avant de les abattre nerveusement sur le comptoir des bistrots branchés de Saint-Germain en criant : « ’La guerre ! La guerre ! La guerre ! ».
Or donc, au prétexte historiquement débile que « les rapprochements (…) entre les années 30 et notre époque (la politique d’apaisement face au nazisme et face, aujourd’hui, au djihadisme d’Etat et à son bras armé du hezbollah) sont, hélas, et toutes proportions gardées, terriblement troublants », s’appuyant sur ce livre d’Amir Jahanchahi qui tombe pour lui aussi à point qu’un billet de dix dans la timbale du nécessiteux, le doux et brave BHL ressuscite une énième fois le souvenir de Munich - il l’a tant fait depuis que 1980 qu’en toute logique il devrait verser d’astronomiques droits d’auteur aux ayant-droits d’Édouard Daladier… - et agite ce même chiffon nazi qu’il ne cesse de brandir depuis le début de sa carrière4.
Il peut ensuite nuancer un brin son propos - tout en déroulant un joli amalgame entre « totalitarisme islamiste » et « monde arabo-musulman », ce sont les mêmes puisqu’ils ne font rien tant qu’égorger pareillement des moutons dans leurs baignoires, non ? - en prétendant vouloir « conjurer » cette prétendue montée des périls.
La chose n’a plus d’importance : une fois l’Iran ramenée à l’Allemagne nazie, il n’est plus aucune raison de s’opposer à la guerre.
Aux armes, citoyens, etc. !
Le plus étrange, finalement, est de voir le belliciste à la mèche folle faire sans cesse feu contre le camp auquel il prétend appartenir.
Puisqu’il n’est pas d’autre conséquence aux comparaisons perpétuelles qu’il opère avec le nazisme que de dévoyer la charge du mot, lui ôter sa signification historique précise et - in fine - banaliser l’horreur qui lui est attachée.
BHL n’est pas seulement un crétin, donc.
Il n’est pas seulement, non plus, un crétin va-t’en-guerre pressé de voir les autres s’entretuer - en 1971, rappelle Guy Hocquenghem, après être parti au Bangladesh pour voir ce qu’il décrivait comme « une vraie guerre », BHL avait osé écrire : « Et j’ai presque honte d’avouer que de ce point de vue - celui, disons, du spectacle - (…) j’étais plutôt content. »
Il n’est pas seulement, encore, « le chef vengeur des cohortes d’archanges à réaction, l’écraseur d’infidèles et d’Arabes » pointé - déjà ! - par l’auteur de la Lettre ouverte.
Il est aussi, avec ses amalgames foireux et ses comparaisons ridicules, historiquement nuisible.
Et - en somme - il réussit l’exploit de combiner un tel potentiel de nuisances qu’on ne peut en rester qu’admiratif.
Tant c’est beaucoup trop pour celui que Guy Hocquenghem étend pour le compte en quatre phrases :
« Drogué aux médias, à la popularité, tu ne tiens qu’à l’applaudimètre. Ton inexistence morale, chevalier du vide, révèle l’inexistence, sous l’armure, des croisés de notre génération blanche. Et cette inexistence est inscrite en tes initiales, BHL. Tu n’as même pas de nom à toi, rien qu’un sigle, comme RATP ou SNCF. »
1 Elle a été rééditée en 2003 par les excellentes éditions Agone et avec une non moins excellente préface de Serge Halimi, et je ne peux que t’inciter à sacrifier quelques écus pour te la procurer - ou bien à la voler, je ne doute pas que Guy Hocquenghem t’y aurait largement encouragé. J’ai l’enthousiasme facile, mais il est longtemps que je n’avais rien lu d’aussi enthousiasmant et jouissif autant que froidement lucide.
2 Je ne m’intéresse, volontairement, qu’au premiers tiers de cette chronique ; il y aurait beaucoup à dire sur la suite, mais je n’ai pas le courage de m’en charger.
3 En ce qui me concerne, cette sympathie se réglerait volontiers à coups de tatane dans la tronche.
4 En la préface à la Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, Serge Halimi écrit notamment que, le 14 avril 1999, BHL évoqua à la fois, pour soutenir l’intervention de l’Otan dans la guerre du Kosovo, « « la plus gigantesque et la plus effroyable déportation de masse advenue en Europe depuis 1945 » et des enfants albanophones entassés « dans des wagons plombés » qui opéraient « dans le brouillard » la navette entre Kosovo et Serbie ».