vendredi 2 juillet 2010
Le Charançon Libéré
posté à 21h51, par
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Ces derniers temps, ils multiplient les références (plus ou moins) directes à 1789. Non pour s’en réclamer, mais parce que les membres du gouvernement et leurs amis ne craignent rien tant que de voir monter la colère populaire. Eux sentent combien le parallèle avec la France d’avant la révolution est pertinent. Et s’effrayent d’un jour prochain en payer le prix. A juste titre ?
Images en legs commun. Une tête qui roule, le bourreau la brandit. La foule dans les rues, va-nu-pieds faisant enfin la loi. La guillotine tournant à plein, sinistre lame qui monte et redescend. Procès populaires, justice menée à la va-vite, des siècles de ressentiment justifiant une salutaire vengeance. Les miséreux, leurs piques, ce qu’ils mettent au bout. Et ce monde inversé, violence écrasant ceux qui avaient l’habitude d’en faire usage à leur profit, riches et puissants réduits à la peur et à l’angoisse.
Persistances rétiniennes, imaginaire partagé : tout cela vogue dans les têtes. Dans nos têtes. Mais pas que : c’est chez eux, politiques et financiers qui auraient tout à craindre d’une poussée égalitaire et sociale de la populace, que le lointain souvenir - celui d’un peuple se révoltant violemment voilà plus de 200 ans - se montre le plus ardent. Ils le craignent, ils y songent. Et ils mettent des mots sur cette peur, références plus ou moins conscientes.
Ce n’est pas un hasard, évidemment. Ils le sentent bien, le parallèle s’impose. D’une cour royale à l’autre, à trois siècles d’écart, les mêmes insupportables travers qui reviennent : autocratisme, privilèges exorbitants, clientélisme et fait du prince, noblesse conquérante et petite caste faisant main basse sur les deniers publics, corruption, faste insultant… Similitudes qui se ramassent à la pelle, exemples en veux-tu en-voilà. C’est flagrant. Trop. À mettre ainsi les choses en pleine lumière, à ne point réussir à les dissimuler, le risque (pour eux) grandit que se lève la colère populaire. Ils le savent.
Ce n’est pas nouveau, je te l’accorde. En décembre 2008, Nicolas Sarkozy, déjà, disait à demi-mots cette vague inquiétude : « Les Français adorent quand je suis avec Carla dans le carrosse mais en même temps ils ont guillotiné le roi. » Mais la situation a depuis empiré - ou s’est encore améliorée pour la petite clique qui a fait main basse sur le pouvoir - et les références au lointain passé révolutionnaire français se multiplient à mesure qu’éclatent les médiatiques scandales. Sarkozy, acculé, fait part de sa volonté de réduire le train de vie de l’Etat ? Un haut responsable de la majorité, cité par France Soir, tente cet avertissement : « Attention au déchaînement contre les hommes politiques ! Il y a toujours la tentation en période de crise de mettre des têtes au bout des piques. » Le socialiste Arnaud Montebourg1 s’en prend vertement à Éric Woerth ? Le ministre se défend, lui reprochant de se comporter en tribun révolutionnaire : « Il a cette habitude de montrer du doigt et d’être un Fouquier-Tinville et donc chaque matin au bistrot (de dire) : ’toi tu es coupable et tu as cette responsabilité’ » Le climat se tend autour du ministre du Travail, assommé par les révélations successives de ses malhonnêtetés ? Jean-François Copé fait feu de tout bois, prenant (à mots couverts, sous prétexte du football) sa défense en une chronique à Slate - « Je refuserai toujours la recherche de boucs émissaires, surtout en période de crise : couper les têtes, c’est souvent un prétexte pour éviter de réfléchir aux causes réelles des problèmes » - et plus franchement sur France Inter : « On commence par décapiter et on discute ensuite », proteste le meneur des députés UMP, avant de fustiger un climat qui lui rappelle « les grands temps des révolutionnaires de 1793 ». Et même la très mal placée Christine Boutin, en une conversation téléphonique avec une salariée du Parisien, dit sa crainte que la succession de scandales finisse par exaspérer le peuple ; la journaliste rapporte sur son blog : « Les élus doivent être irréprochables. Sinon, suggère Christine Boutin elle-même, ils seront balayés par une nouvelle nuit du 4 août contre les privilèges. »
Des têtes au bout des piques, Fouquier-Tinville, couper les têtes, décapiter, révolutionnaires de 1793, nuit du 4 août : aucune de ces références n’est anodine. En filigrane, par delà leur contexte, elles disent la peur diffuse de ceux qui mènent le jeu ; celle d’aller trop loin, de voir la situation leur échapper, de déclencher une colère qu’ils ne sauraient maîtriser. De se retrouver en cette situation décrite par Tocqueville, à la veille de la révolution de 1848 : « Je crois que nous nous endormons à l’heure qu’il est sur un volcan, j’en suis profondément convaincu… »
Mais elles disent aussi, ces références, le sentiment inconscient - chez ceux qui les multiplient - que cette colère serait justifiée. Presque légitime. En tout cas, logique. Politiques dévoyés, ils ne seraient même pas surpris, au fond, que leurs têtes se retrouvent au bout des piques, que des Fouquier-Tinville les jugent comme ils le méritent, qu’une nouvelle nuit du 4 août les cloue au pilori d’un joyeux égalitarisme. Il nous reste à donner corps et matière à ces peurs. Eux le cauchemardent, nous en rêvons : un jour, bientôt, ces deux mouvements - peur des possédants, soif des opprimés - se rencontreront.