A reculon ? oh noooooooon......................................
Commets-je une grosse bévue en postant l’article de Fontenelle ? C’est le numéro de jeudi dernier alors je me suis dis que je pouvais.................. Sinon, y a qu’à effacer ;-)
« Coupat : l’affaire dans l’affaire
Jeudi 16 Avril 2009, Par Sébastien Fontenelle
Julien Coupat, mis en examen au mois de novembre 2008 pour avoir prétendument dirigé à Tarnac (Corrèze), 356 habitants, une association de malfaiteurs à visées terroristes composée de huit de ses ami(e)s, incarcéré depuis cent cinquante jours à la Santé, doit sortir de prison. Maintenant. Il suffit de l’écrire, et tout devient plus simple. Julien Coupat doit sortir de prison, parce qu’au terme de longs mois d’une investigation que l’on présume rigoureuse, fondée sur des centaines d’heures de surveillance étroite, rien, dans le dossier constitué par le juge Thierry Fragnoli, chargé de l’affaire, ne justifie son maintien en détention : on n’y trouve aucune preuve d’une quelconque implication du jeune homme dans le sabotage, au mois de novembre dernier, d’une ligne de TGV.
Un seul exemple : le providentiel témoin sous X venu l’accabler in extremis au tout dernier jour de sa garde à vue en jurant l’avoir entendu dire que « la vie humaine a une valeur inférieure au pouvoir politique », et dont la déposition passe pour être la pièce maîtresse de l’accusation, serait « un mythomane », comme l’a révélé Mediapart. Coupat, lors d’une audition, a d’ailleurs relevé le « caractère délirant » de ses accusations anonymes, qui visent à le faire passer « pour une espèce de Charles Manson de la politique » [1] – et qui ont, de fait, été catégoriquement contredites par d’autres témoins.
Mais ces dénégations intéressent-elles seulement le juge Fragnoli ? C’est ce dont semble désormais douter Irène Terrel, l’avocate de Julien Coupat, qui dénonce « une instruction à charge ». Le dossier, il est vrai, réserve quelques surprises.
Flashback : en 2005, déjà, la cellule antiblanchiment du ministère des Finances, Tracfin, enquête sur Julien Coupat et Benjamin Rosoux, qui viennent d’acquérir, à Tarnac, la ferme du Goutailloux – au motif, déjà, qu’ils « seraient membres de mouvances anarcho-libertaires et auraient participé, à ce titre, à de nombreuses actions contestataires » (sic). Naturellement, les fins limiers du fisc remontent bredouilles de cette immersion dans l’hypergauche corrézienne : ni Coupat ni Rosoux (qui sera lui aussi arrêté et incarcéré en 2008) n’ont de comptes offshore à Saint Kitts and Nevis. Mais rien ne se perd, et cette vaine investigation nourrit trois ans plus tard le dossier d’instruction de Thierry Fragnoli : à défaut d’éléments neufs, elle a du moins l’avantage de lui donner du volume. De même : ce magistrat curieux de tout a coté un livre publié en 2007, L’insurrection qui vient [2], dont les auteurs considèrent que « saboter avec quelque conséquence la machine sociale implique aujourd’hui de […] réinventer les moyens d’interrompre ses réseaux » en se demandant, par exemple, « comment rendre inutilisable une ligne de TGV », et qui par conséquent doit en réalité être l’œuvre de Julien Coupat, puisque, CQFD, ce même sauvageon est soupçonné – sans preuve – d’avoir précisément saboté une ligne de TGV. Le raisonnement a le mérite de la rondeur, mais se heurte à un minuscule détail : rien ne permet d’attribuer à Coupat la paternité d’un ouvrage dont l’éditeur, Éric Hazan, entendu comme témoin jeudi 9 avril, a déclaré aux enquêteurs de la sous-direction de l’antiterrorisme « qu’ils avaient frappé à la mauvaise porte s’ils attendaient de [lui] qu’il leur facilite l’amalgame entre Julien Coupat, les caténaires et L’insurrection qui vient ». Et vlan.
Plus original encore : le juge Fragnoli vient également d’épaissir son dossier, comme d’une pièce essentielle à la manifestation de la vérité, de la retranscription d’une émission de télévision où le fameux détective Thierry Ardisson a soumis à la question, le 17 janvier dernier, deux mois après l’incarcération de son fils, le père de Julien, Gérard Coupat… En résumé : à défaut de preuves concrètes de la culpabilité du captif, toujours présenté comme le chef d’une association de terroristes dont tous les autres membres ont été remis en liberté (en gage, probablement, de leur extrême dangerosité), la justice retient contre lui une enquête fiscale qui n’a donné lieu à aucune poursuite, un livre paru il y a deux ans, et l’enregistrement d’une émission de Canal +. C’est à la fois beaucoup, et fort peu.
Pour le dire de façon plus concise encore : le dossier donne l’impression, quelque peu dérangeante, d’avoir été meublé de bric et de broc par un décorateur soucieux d’atténuer une forte impression de vide. C’est probablement ce qui a incité un juge des libertés et de la détention (JLD), peu suspect de nourrir des sympathies secrètes pour le terrorisme rural, à considérer que la détention de Julien Coupat n’était « pas indispensable à la manifestation de la vérité », et à ordonner, le 19 décembre dernier, sa remise en liberté. Le parquet a fait appel ; l’ordonnance a été cassée ; l’audacieux magistrat n’a plus été sollicité ; d’autres JLD, mieux élevés, se chargent désormais de rejeter les demandes de remise en liberté que dépose Irène Terrel : l’honneur de la magistrature est sauf, et rien ne vient déjuger Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, qui a très fort battu des mains, après l’arrestation, minutieusement médiatisée, des « neuf de Tarnac ».
Oui, mais : en fondant des poursuites sur des supputations plutôt que sur des faits avérés, sur des intentions alléguées plutôt que sur des preuves tangibles, on n’invente pas seulement de nouveaux illégalismes. On n’indique pas seulement que « le fait de lire des livres subversifs ou de manifester contre la politique de l’immigration », comme Coupat et ses camarades, constitue désormais « un indice de dangerosité justifiant la mise en détention provisoire » [3]. On entérine aussi, comme l’a souligné le Syndicat de la magistrature, « l’instrumentalisation consentie de la justice » – et la désignation de commodes boucs émissaires. En cela, comme le pointe son avocate : Julien Coupat est l’otage de la raison d’État. Pour cela, aussi, il doit sortir de prison. Maintenant.
Notes
[1] « Ce que contient le dossier d’instruction de l’affaire Tarnac », par Isabelle Mandraud, Le Monde, 26 mars 2009.
[2] La Fabrique, 2007.
[3] Une société de surveillance ? L’état des droits de l’homme en France, édition 2009, La Découverte.
Coupat : l’affaire dans l’affaire
Jeudi 16 Avril 2009, Par Sébastien Fontenelle
Julien Coupat, mis en examen au mois de novembre 2008 pour avoir prétendument dirigé à Tarnac (Corrèze), 356 habitants, une association de malfaiteurs à visées terroristes composée de huit de ses ami(e)s, incarcéré depuis cent cinquante jours à la Santé, doit sortir de prison. Maintenant. Il suffit de l’écrire, et tout devient plus simple. Julien Coupat doit sortir de prison, parce qu’au terme de longs mois d’une investigation que l’on présume rigoureuse, fondée sur des centaines d’heures de surveillance étroite, rien, dans le dossier constitué par le juge Thierry Fragnoli, chargé de l’affaire, ne justifie son maintien en détention : on n’y trouve aucune preuve d’une quelconque implication du jeune homme dans le sabotage, au mois de novembre dernier, d’une ligne de TGV.
Un seul exemple : le providentiel témoin sous X venu l’accabler in extremis au tout dernier jour de sa garde à vue en jurant l’avoir entendu dire que « la vie humaine a une valeur inférieure au pouvoir politique », et dont la déposition passe pour être la pièce maîtresse de l’accusation, serait « un mythomane », comme l’a révélé Mediapart. Coupat, lors d’une audition, a d’ailleurs relevé le « caractère délirant » de ses accusations anonymes, qui visent à le faire passer « pour une espèce de Charles Manson de la politique » [1] – et qui ont, de fait, été catégoriquement contredites par d’autres témoins.
Mais ces dénégations intéressent-elles seulement le juge Fragnoli ? C’est ce dont semble désormais douter Irène Terrel, l’avocate de Julien Coupat, qui dénonce « une instruction à charge ». Le dossier, il est vrai, réserve quelques surprises.
Flashback : en 2005, déjà, la cellule antiblanchiment du ministère des Finances, Tracfin, enquête sur Julien Coupat et Benjamin Rosoux, qui viennent d’acquérir, à Tarnac, la ferme du Goutailloux – au motif, déjà, qu’ils « seraient membres de mouvances anarcho-libertaires et auraient participé, à ce titre, à de nombreuses actions contestataires » (sic). Naturellement, les fins limiers du fisc remontent bredouilles de cette immersion dans l’hypergauche corrézienne : ni Coupat ni Rosoux (qui sera lui aussi arrêté et incarcéré en 2008) n’ont de comptes offshore à Saint Kitts and Nevis. Mais rien ne se perd, et cette vaine investigation nourrit trois ans plus tard le dossier d’instruction de Thierry Fragnoli : à défaut d’éléments neufs, elle a du moins l’avantage de lui donner du volume. De même : ce magistrat curieux de tout a coté un livre publié en 2007, L’insurrection qui vient [2], dont les auteurs considèrent que « saboter avec quelque conséquence la machine sociale implique aujourd’hui de […] réinventer les moyens d’interrompre ses réseaux » en se demandant, par exemple, « comment rendre inutilisable une ligne de TGV », et qui par conséquent doit en réalité être l’œuvre de Julien Coupat, puisque, CQFD, ce même sauvageon est soupçonné – sans preuve – d’avoir précisément saboté une ligne de TGV. Le raisonnement a le mérite de la rondeur, mais se heurte à un minuscule détail : rien ne permet d’attribuer à Coupat la paternité d’un ouvrage dont l’éditeur, Éric Hazan, entendu comme témoin jeudi 9 avril, a déclaré aux enquêteurs de la sous-direction de l’antiterrorisme « qu’ils avaient frappé à la mauvaise porte s’ils attendaient de [lui] qu’il leur facilite l’amalgame entre Julien Coupat, les caténaires et L’insurrection qui vient ». Et vlan.
Plus original encore : le juge Fragnoli vient également d’épaissir son dossier, comme d’une pièce essentielle à la manifestation de la vérité, de la retranscription d’une émission de télévision où le fameux détective Thierry Ardisson a soumis à la question, le 17 janvier dernier, deux mois après l’incarcération de son fils, le père de Julien, Gérard Coupat… En résumé : à défaut de preuves concrètes de la culpabilité du captif, toujours présenté comme le chef d’une association de terroristes dont tous les autres membres ont été remis en liberté (en gage, probablement, de leur extrême dangerosité), la justice retient contre lui une enquête fiscale qui n’a donné lieu à aucune poursuite, un livre paru il y a deux ans, et l’enregistrement d’une émission de Canal +. C’est à la fois beaucoup, et fort peu.
Pour le dire de façon plus concise encore : le dossier donne l’impression, quelque peu dérangeante, d’avoir été meublé de bric et de broc par un décorateur soucieux d’atténuer une forte impression de vide. C’est probablement ce qui a incité un juge des libertés et de la détention (JLD), peu suspect de nourrir des sympathies secrètes pour le terrorisme rural, à considérer que la détention de Julien Coupat n’était « pas indispensable à la manifestation de la vérité », et à ordonner, le 19 décembre dernier, sa remise en liberté. Le parquet a fait appel ; l’ordonnance a été cassée ; l’audacieux magistrat n’a plus été sollicité ; d’autres JLD, mieux élevés, se chargent désormais de rejeter les demandes de remise en liberté que dépose Irène Terrel : l’honneur de la magistrature est sauf, et rien ne vient déjuger Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, qui a très fort battu des mains, après l’arrestation, minutieusement médiatisée, des « neuf de Tarnac ».
Oui, mais : en fondant des poursuites sur des supputations plutôt que sur des faits avérés, sur des intentions alléguées plutôt que sur des preuves tangibles, on n’invente pas seulement de nouveaux illégalismes. On n’indique pas seulement que « le fait de lire des livres subversifs ou de manifester contre la politique de l’immigration », comme Coupat et ses camarades, constitue désormais « un indice de dangerosité justifiant la mise en détention provisoire » [3]. On entérine aussi, comme l’a souligné le Syndicat de la magistrature, « l’instrumentalisation consentie de la justice » – et la désignation de commodes boucs émissaires. En cela, comme le pointe son avocate : Julien Coupat est l’otage de la raison d’État. Pour cela, aussi, il doit sortir de prison. Maintenant.
Notes
[1] « Ce que contient le dossier d’instruction de l’affaire Tarnac », par Isabelle Mandraud, Le Monde, 26 mars 2009.
[2] La Fabrique, 2007.
[3] Une société de surveillance ? L’état des droits de l’homme en France, édition 2009, La Découverte.
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