dimanche 7 septembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 13h51, par
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Il suffisait d’y penser… Dans sa dernière livraison, l’institut Montaigne, lieu de rendez-vous des esprits les plus fulgurants et des économistes les plus retors, énonce le meilleur moyen de préparer la réinsertion des prisonniers français : les faire travailler pendant leur captivité pour un salaire de misère. Au moins, c’est clair : on sait désormais à qui profite le crime…
Qu’en mots élégants, ces choses-là sont dites !
Et qu’en termes fleuris, ces vérités sont énoncées !
Pour un peu, j’adhérerais…
C’est dire.
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Il faut le reconnaître : il n’y a pas que des charlots à l’institut Montaigne.
Cercle de réflexion libéral qui réunit quelques-uns des plus fulgurants esprits de ce siècle débutant, dont les impayables Claude Bébéar et Nicolas Baverez.
Et think-tank qui compte parmi ses soutiens affichés la presque totalité du Cac40 et une grande partie des plus grandes entreprises de ce pays.
Areva, Axa, PNB Paribas, la Caisse d’Epargne, Dassault, la Caisse des Dépôts, Bolloré, Casino, Carrefour, HSBC France, LVMH, Lazard Frères, Rothschild, Suez, Véolia, Vivendi…
Que du beau monde !
Et un sérieux gage d’indépendance et d’originalité : avec une telle cohorte de supporters désintéressés, on imagine bien que l’institut Montaigne, qui se propose « d’élaborer et de diffuser des propositions concrètes de long terme sur les grands enjeux auxquels nos sociétés sont confrontées » et ambitionne de « jouer pleinement son rôle d’acteur du débat démocratique », ne peut qu’exercer un véritable rôle d’aiguillon, à contre-courant de la doxa socialiste qui ne cesse d’étendre son emprise sur la société.
Et ?
Ben oui.
C’est exactement ça.
Tant les gus qui composent ce club de rebelles, se voulant représentants d’un patronat moderne et dynamique, savent comme personne t’emballer un débat pourri des oripeaux du progrès social et de la modernité.
Pour te faire croire que la raison est de leur côté.
Et que l’esprit des Lumières guide leurs réflexions.
Ils en avaient d’ailleurs déjà fait brillamment la preuve avec le rapport Attali pour libérer la croissance, soufflant au penseur iconoclaste que l’économie mondiale nous envie certaines de ses plus brillantes propositions, dont la suppression du principe de précaution et la remise en cause des lois soumettant à autorisation administrative l’implantation des super et hypermarchés.
Bonne nouvelle, donc : ils remettent ça.
Livrant cette fois le rapport « Comment rendre la prison (enfin) utile ».1
Véritable somme sur l’univers carcéral.
Travail de qualité, à la hauteur des ambitions affichées.
Dont on peut seulement (à la limite…) regretter la faiblesse du titre.
Tant il eut été plus juste de nommer ce brillant rapport « Comment rendre l’esclavage (à nouveau) légal ».
Ou « Comment se dégotter une main d’oeuvre (enfin) corvéable à merci pour dix balles et un mars ».
Ou encore « Comment rétablir (enfin) le travail forcé pour que le patronat puisse rentrer un max d’oseille supplémentaire ».
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C’est qu’entre des propositions frappées au coin du bon sens, dont celles « d’instaurer un numerus clausus dans les maisons d’arrêt », de « généraliser l’aménagement des courtes peines » ou de « construire des quartiers de semi-liberté dans les prisons », l’institut a dissimulé une pépite si favorable au patronat que même l’ignoble Serge Dassault, pourtant expert en affirmations et propositions dégueulasses, n’eut osé la formuler ainsi.
Les potes à Bébéar suggérant en effet "d’astreindre tout détenu à une occupation, de préférence un travail".
Au motif affiché que « le détenu est trop souvent condamné à l’oisiveté » : « Ce n’est pas en ne travaillant pas dedans qu’il se préparera à travailler dehors… »
Et pour la bonne raison que « la faiblesse des salaires, la précarité des détenus qui travaillent sans contrat compensent plus ou moins les contraintes dont souffre le travail carcéral du point de vue de l’employeur ».
En un mot : tout bénef.
La rémunération journalière des détenus français oscillant entre 6,25 € et 24,24 €.
Soit de deux à huit fois moins que ce que gagne une personne payée au Smic.
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Avec cette idée pleine de bon sens, les pseudo-penseurs de l’institut Montaigne ont au moins le mérite de ne rien cacher de leurs réel objectif.
Celui de se trouver un main d’œuvre servile, silencieuse et travaillant pour un salaire de misère.
Comment disent-ils, déjà ?
Ah oui : « rendre la prison (enfin) utile ».
On sait maintenant pour qui…
1 Rapport dénoncé à juste titre par Marianne2 dans un article intitulé « Pour l’institut Montaigne, le travail en prison, c’est la santé ».