mercredi 7 juillet 2010
Le Cri du Gonze
posté à 18h25, par
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Confronté à la nouvelle chanson censée incarner l’esprit du PS, l’indécemment nullarde « Il est temps », l’auditeur lambda se contente de couper le son et de ne plus jamais y revenir. Article11 n’étant pas une sinécure, je me suis - cobaye d’élite - dévoué pour une immersion plus prolongée dans l’immondice en question. Compte-rendu d’intoxication auditivo-mentale, en quatre temps.
Premier temps / Consternation envappée
Primo, sans la vidéo des événements, simplement la musique. C’était dimanche vers 16 h, démoniaque gueule de bois et haleine kérosène, l’impression qu’un camion citerne BP se déverse dans mes neurones tandis que j’expire sur mon canapé dévasté en écoutant Joy Division. Atmosphère. Et - cerise périmée sur le gâteau - au moment où je parviens à m’arracher en geignant de l’étreinte canapesque, je tombe sur ce mail où un malfaisant me fait suivre la dernière proposition du PS en matière de rénovation marketing, une chanson bisounourso-catéchiste présentée en grande pompe lors de laconvention socialiste du samedi trois juillet au Carrousel du Louvre : « Il est temps ». Coup du lapin, coup de grâce : je clique, j’écoute, je coule. Guillotine mentale :
« Il est temps
Il est l’heure
Révoltés passionnés optimistes
En un mot disons socialistes
De chanter haut et clair
Les valeurs qui vont faire
Une gauche solidaire
Unie et populaire »
Poids des mots, choc des syllabes, avec en arrière-fond cette musique de supermarché, accompagnement type synthé du pauvre bidouillé sur Cubase ou Fruity Loops en deux minutes. Capilotade. Plus profond que le fond. David Assouline, secrétaire national de la communication du PS n’a pas tort de déclarer aux Inrocks (ici) : « On voulait que ce soit un chant d’identité socialiste ». À l’aune de l’identité solférinienne contemporaine, il y a une logique… Et le même d’ajouter, enfonçant le clou : « On a retravaillé les paroles plusieurs fois. » Pas de doute, la persévérance laborieuse finit toujours par payer1.
Entre fou rire et crise cardiaque, j’ai rapidement décidé de conjurer le sort, de tenter une analyse moins subjective du sujet, histoire de sublimer mon ébahissement dépressif d’un arbitraire (et rapide) coup de balayette historique.
Deuxième temps / Balayette historique
D’abord, une certitude. Une force politique n’avance jamais seule. Toujours, elle est accompagnée d’un imaginaire collectif, un champ symbolique où s’entrecoupent les influences, les marqueurs identitaires, les étiquettes mentales et les fragrances mythologiques. Un parti politique ou un syndicat, ce n’est pas seulement une plate-forme de propositions diverses, un programme, c’est également un corpus référentiel, une série de données historiques et culturelles qui l’ancrent dans une spécificité, lui confèrent une âme. Brader cette dernière relève – de manière plus ou moins consciente et délibérée – du sabotage caractérisé. Hara-kiri est dans la place – il est vrai depuis très longtemps concernant le parti prétendument socialiste.
Une force politique voit son identité s’échafauder dans des moments tragiques, des moments où l’histoire se fait plus grande que les hommes (minute Lémi-pathos). Au fer rouge s’imprime alors cette âme, faite de références historiques (événementielles), mais aussi littéraires, graphiques et surtout musicales. Tout peut disparaître, mais les mélodies restent. Les chants de révolte, de lutte ou de résistance continuent à surnager dans l’imaginaire collectif, bouées de sauvetage mémorielles. Un phénomène surtout patent à gauche, voire à gauche de la gauche. Les chants de la Commune (« l’Internationale », « La Semaine Sanglante », « Le Temps des Cerises »), de la Guerre d’Espagne versant anarchiste (« A Las Barricadas »), de la Résistance française (« Le Chant des Partisans ») ou italienne (« Bella Ciao »), les chants de lutte des héros chiliens (« El Pueblo Unido Jamas Sera Vencido ») et des anarchistes fin 19e (« La Chanson du Père Duchesne ») ont résisté au temps parce qu’issus de luttes populaires, fruits de l’insurrection dans ce qu’elle a de plus précieux. Repris à toutes les sauces (de Montand aux Bérus) clamés dans les manifs, réécrits, ils ont nourri l’histoire de la gauche socialiste/communiste/anarchiste, colonne vertébrale mélodique. Un répertoire collectif précieux, ce qui se rapproche peut-être le plus d’un patrimoine à défendre becs et ongles. Quand Debord se livre en 1973 à un nouvel opus dans la lignée des anciens, « la java des bons enfants », et va jusqu’à échafauder avec ses camarades situs un disque entier consacré au genre, Pour en finir avec le travail2, il s’inscrit dans cette filiation, dans cette idée d’une culture populaire seule capable de transcender le monde politique et ses calculs mesquins.
Se substituer au peuple et à l’histoire pour propulser un hymne est, plus qu’une erreur, une marque de mépris et de connerie sans borne. Quand le marketing se substitue à l’élan créatif des classes populaires, cela signe l’abandon de toute ambition politique autre que réformisto-stagnante, une suite logique à la décadence mitterrando-jospino-royaliste. Déjà dans les années 1970, le PS s’était construit un hymne commandé au compositeur Mikis Théodarakis, moins nul, mais prophétique : le nivellement par le bas était en route, l’implosion esthétique finale attendue.
« La forme, c’est le fond qui remonte à la surface », aimait dire Cocteau. Clairvoyant : la nullité absolue des récentes tentatives musicales partisanes, qu’elles soient le fait de l’UMP ou du PS, tracent une ligne de décadence irrémédiable. Il faudrait être cruchot pour s’en étonner tant la chose est dans l’air du temps, mais les deux dernières productions sont tombées si bas dans l’indécence qu’un canal (auditif) s’est pendu. Le lip-dub de l’UMP, production des jeunesses du même parti, avait pour seul mérite de ne pas être l’expression de l’ensemble de cette majorité présidentielle, même si certains ministres participaient. Les débiles boutonneux s’amusaient entre eux. La dernière tentative marketing du PS, par contre, est revendiquée par la direction du parti, qui se réjouit d’une telle réussite et compte bien utiliser l’immondice pour toutes ses réunions publiques (ça va twister dans les travées). « La chanson a l’air de marcher » a ainsi babillé Marie-Emmanuelle Assidon, directrice de com’ au PS. Et Martine Aubry d’ajouter, fiérote : « Je trouvais qu’il valait mieux parler au pays plutôt que parler de nous. » Gageons que le pays tout entier saura apprécier la merveille comme il se doit : plié de rire, bile en bandoulière.
Troisième temps / Embedded dans la verveine-kermesse
Je sais bien que sur Article11 il faut désormais s’armer de pincettes quand on s’attaque aux vieux3. Mais voilà : il y a vieux et vieux. Il y a ceux qui gardent une personnalité, se définissent par autre chose que leur âge (souvent plus jeunes que les vrais jeunes), et il y a les autres, ceux qui ne sont plus que ça : des vieux, juste bons à faire la claque dans des assemblées constipées. Ici, c’est indubitablement la deuxième catégorie qui infeste le public, l’ambiance, l’ensemble de la scène. Quand la caméra s’égare dans les travées du Carrousel du Louvre, ton serviteur se pince, incrédule : exactement les mêmes profils que ceux sélectionnés dans les pièges à vieux audiovisuels, de la « chance aux chansons » au service religieux du dimanche matin sur France 2. L’assemblée sonotone bat des mains avec un soporifisme qui pousse presque à crier au complot : qui a versé du Lexomil dans leurs verveines ?
Sur scène, c’est la même chose. Aubry et Harlem Désir en tête, les présents tapotent des mains, les yeux glauques, aussi vifs qu’une assemblée d’octogénaires en plein bingo. La déprime guette. Pire que le mariage du cousin Fernand, quand tonton Jojo s’empare de la musique et impose en fond sonore un mix de Francis Lalanne et de Patrick Sébastien. On sent les baudruches qui cogitent à pleins tubes derrière leurs sourires faux : ce sera donc la même ambiance à chaque fin de meeting ? C’est ainsi qu’on va attirer des jeunes, avec nos faux airs de JMJ du pauvre ? A part les scouts, dur à imaginer. Et les scouts émargent déjà à l’UMP.
A les regarder dans le blanc des yeux, plus que de la haine, c’est quasiment de la pitié qu’on ressent. Les pauvres. Ils puent la défaite, mous et constipés, hors du temps, comme les vieux cons qui singent les jeunes et le font si mal qu’ils semblent encore plus vieux. La convention en question était censée être celle de l’offensive, du branle-bas de combat contre les errements d’un gouvernement en pleine débandade, et voilà que tout ça se termine en thé dansant. Aussi inoffensif qu’une armée d’André Rieu sous Prozac. Make Tea, not class struggle.
Quatrième temps / Verdict
Non content de polluer mes oreilles, les grigous solfériniens m’enlèvent les mots de la bouche :
« Il est temps
Il est l’heure
Il est temps de tourner la page. »
Pas mieux.