Il est loin le temps des rodomontades sarkozystes et des continuelles provocations gouvernementales : le pouvoir se tient coi, comme paralysé par sa crainte d’une insurrection de printemps. Jouant l’équilibriste, perché sur son fil et s’attachant à ne plus exacerber les tensions, le régime se prépare en douce à la révolte. Et nous ? On attend qu’il faute et qu’il chute. Ça ne saurait tarder.
Comme un entre-deux.
Tout suspendu et en attente.
Rien ne se passe, tout peut arriver.
Chacun observe, s’apprête, prépare ses forces, fait le compte de celles en présence.
Comme s’il s’agissait d’attendre un moment déclencheur.
Celui où… et paf : ça bascule.
En attendant ?
Cette fois, la France ne s’ennuie pas vraiment1.
Elle patiente.
Et on la sent prête à s’enflammer et à prendre le pavé, pour peu qu’un vaste mouvement de colère se lève.
Aussi bien que toute disposée à faire le dos rond et à rester bonne fille, si la contestation ne prend pas.
C’est un rien étrange, plutôt bizarre, comme une ritournelle en sourdine, au choix potentiel tube de l’été ou possible bide de l’année.
Mais… il est un avantage à ce temps suspendu : le gouvernement la met en veilleuse.
Et ne semble plus guère avoir d’autre ambition que de passer le printemps sans coup férir.
Surtout : ne pas faire de bruit.
Ne plus provoquer ni souffler sur les braises
La jouer conciliant, modéré, compréhensif, que ce soit à l’Education2, au Social3, à la Justice4 et même dans les syndicats5.
Se taire, donc.
Sinon pour faire connaître ses ambitions pour le prochain remaniement ministériel.
Non : pas seulement se taire.
Se préparer, aussi.
Et rassembler ses forces.
A commencer par cette information relayée sur les blogs et tue par les médias : les forces de l’ordre rappelleraient leurs réservistes, dans la police et la gendarmerie, pour mieux mater l’insurrection qui viendra peut-être. (Edit, deux jours plus tard : désolé, il s’agit d’un hoax. J’aurais dû vérifier ce que j’écris et ne pas prendre une rumeur pour argent comptant. Pour la peine, je me morfonds en plates excuses.)
Et ce bruit de bottes, s’agitant à l’arrière-scène, fait comme un contrepoint menaçant au silence de l’attente.
Même vacarme assourdi que ces nouvelles dispositions répressives tranquillement mitonnées par le gouvernement.
Qu’il s’agisse de cette note de la préfecture de police de Paris - révélée par le Canard Enchaîné du 11 mars - qui invite les policiers à arrêter sur le champ le meneur de toute manifestation non-déclarée, rassemblement entendu au sens large, un sit-in de lycéens ou quelques universitaires en goguette.
Ou de ceprojet de loi annoncé en urgence par Christian Estrosi, lequel mêle joyeusement violences des bandes urbaines et celles de manifestants en colère, tous englobés dans un très vague et inquiétant « délit de participation à un groupe ayant commis des violences sur des personnes ou sur des biens ».
Le député-maire de Nice annonçant, dans une interview donnée au Figaro, que « même si un individu n’est pas armé, il sera désormais susceptible de faire partie d’une bande dès lors qu’il accompagne un individu portant une arme »6 ou que « le port de cagoules et de casques (sera) interdit dans toute manifestation présentant des risques de débordement »7.
Ils se tiennent coi et préparent, donc.
Mais qu’importe : s’il n’est jamais simple de tenir l’équilibre pour un fildefériste chevronné, c’est chose impossible pour un provocateur comme Nicolas Sarkozy.
La faute et la chute ne tarderont pas.
Obligé.
1 En mars 1968, Pierre Viansson-Ponté titrait ainsi son édito au Monde : La France s’ennuie. Le papier est resté comme prophétique des événements à suivre et du joli mois de mai.
2 Pecresse et Darcos prévenus par l’omniprésident qu’ils n’ont qu’un objectif à tenir, éviter les soulèvements lycéens et étudiants
3 Qui a entendu Brice Hortefeux depuis sa nomination ?
4 Le silence de Dati, juste préoccupée de sa fille et de mondanités, arrange bien son camp, soucieux de ne pas se mettre le monde de la justice encore davantage à dos.
5 Les instances pseudo-représentatives des salariés ne l’ouvrent plus quand elles ont un boulevard devant elles. Quelle surprise…
6 Inutile de préciser quelle utilisation pourra être faite de ce texte contre des manifestants, n’est-ce pas ? Trouver un porteur de manche de pioche dans une manif de quelques milliers de personnes ne sera jamais un problème…
7 Il est des manifestations qui, aujourd’hui, ne présentent pas de « risques de débordement » ? Sans déconner…