vendredi 17 juillet 2009
Le Cri du Gonze
posté à 13h46, par
15 commentaires
Les grands financiers et politiques de ce monde ont le groupe Bilderberg, les patrons de presse et journalistes français ont le MEDEJF, une université d’été hautement prisée qui n’admet que le gratin des gratins de la sphère médiatique. Tous les quatre ans, ils se retrouvent à 12 pour redéfinir leurs ambitions. La dernière réunion se tenait il y a deux jours, l’un de nos contacts y était. Résumé des (d)ébats.
Le grand jour. Ils sont tous là, réunis en conclave extraordinaire, affichant l’air sérieux de rigueur, la cravate à pois de circonstance et pour beaucoup – question d’élégance professionnelle ou de tribalisme élitiste (l’histoire tranchera) – la moustache, voire la barbiche signant leur appartenance inconditionnelle à la profession. Cette fois, l’heure n’est plus à la rigolade, il est temps d’en découdre, d’affûter l’intégrité triomphante de leurs imprimés respectifs.
Ils en conviennent tous, ces douze élus, l’époque demande des changements draconiens (dans la continuité, évidemment), une approche de la profession encore plus déontologique1. Certes, ils sont le fleuron de leur profession, la fine fleur de l’enquête à la française, dignes héritiers des Rouletabille et autres Joseph Kessel, mais cela n’empêche pas un zeste d’esprit critique, élégance autant qu’exigence de perfection. Attitude humble et désintéressée qui, bien évidemment, les honore.
Le décor ? Austère et frugal. La scène se passe dans la villa varoise de la famille Bruni-Tedeschi, au cap Nègre2, lieu innocent entre tous. C’est là que les douze personnages de haut rang s’installent gravement autour de la grande table de réunion en marbre signée Philippe Starck. Aux murs, quelques Warhol, deux Giacometti (nous sommes entre gens de goût) et trois portraits spécialement déplacés pour l’occasion : le premier représente Albert Londres, le grand reporter français ; le second, Carl Bernstein et Bob Woodward, les deux limiers qui firent éclater au grand jour le scandale nixonicide du Watergate ; sur le dernier, on reconnaît Joseph Pullittzer, journaliste intrépide et père du prix du même nom, posant en pied et arborant un regard franc et sévère. Un quadrumvirat symbolique qui souligne, si besoin était, que la réunion se trouve placée sous les auspices du journalisme le plus étincelant, celui qui lutte pour la vérité, et rien que pour elle. Un cadre approprié.
Parmi les présents, rien que du beau, du très beau linge, journalistes et patrons de presses mêlés :
Serge Dassault : Marchand de canons et d’opinions au Figaro.
Laurent Joffrin : Social-traître barbichu à Libération.
Denis Olivennes : Sarkophile en terre social-démocrate.
Edwy Plenel : Caution gauchisto-webo-moustachue.
PPDA : Homme-tronc, également ex « homme le plus puissant de France ».
Philippe Val : Penseur, spinoziste, humaniste, despote à France Inter.
Jean-Luc Hess : Homme du président (mais intègre) à Radio France.
Vincent Bolloré : Conseiller vacances du président, précurseur des médias de demain.
Harry Roselmack : Discrimination positive3 ?
En guise de cerise sur le gâteau, trois intellectuels de haut rang complètent l’assistance :
BHL : Mèche & fulgurances.
Alain Finkielkraut : Décomplexé de naissance, penseur debout.
Ivan Rioufoul : Boucher libéral en gros au Figaro.
Une assemblée qu’on qualifiera sans se tromper de Dream Team du journalisme engagé, la haute tenue des débats retranscrits ci-dessous venant confirmer cette intuition. Sans plus attendre, plongée in vivo dans le monde envoûtant des rois de l’info4.
(En tant que nouveau venu prometteur, c’est Denis Olivennes qui lance la réunion après un lénifiant discours introductif5.)
Olivennes : J’aimerais introduire cette réunion en abordant un sujet qui me tient à cœur. Vous me trouverez peut-être un peu adolescent, fleur bleue, voire immature sur la question, mais je suis très sensible aux nombreuses remarques négatives qui ont salué mon arrivée au Nouvel Obs et mes premières décisions. Et je m’étonne : pourquoi sommes-nous ainsi la cible de tant de malveillants ? Pourquoi devons-nous toujours affronter l’opprobre populaire simplement parce que nous sommes des apôtres de la vérité ? Il y a là quelque chose qui me dépasse. Nous œuvrons pour le bien public, pourtant.
PPDA : Je vois bien ce que tu veux dire. Personnellement, on m’a toujours accusé de complaisance avec les grands de ce monde. Mais, je pose la question : comment faire du journalisme si on se prive des gros coups ? Le scoop a un prix. Certains l’appellent compromission, je n’y vois qu’intégrité et amour de l’info. Regarde, le reportage sur Sarkozy réalisé par Mallard et Vaillot à l’occasion du 14 juillet, je ne compte plus les critiques à leur encontre. Pourquoi s’acharner sur eux ? Certes, c’est peut-être un peu too much question servilité, même pour moi. Mais ils ne font que leur boulot. On devrait plutôt les admirer pour leur coup journalistique.
BHL : Ils ont beau jeu, ces loosers, de parler de compromission, ils resteront toujours scotchés à leur petite sphère privée. Peut-on faire un journalisme de qualité qui s’interdirait de passer la pommade nécessaire à la constitution d’un réseau, d’amitiés haut placées ? Plus j’arpente les terres de la vérité, plus je me rends compte que c’est impossible. C’est boutonneux de penser le contraire, immature et contre-productif. Même Dany le Rouge l’a compris.
Olivennes : Tu vas me juger dépassé, Bernard, mais j’ai parfois l’impression qu’on nous attendra toujours au tournant, que notre réussite fait des jaloux. Ils en crèvent de haine, ces gagne-petits, de nous voir célébrés et aimés par la masse. Même au sein de ma propre rédaction, il y en a pour cracher dans la soupe. Ils nous voudraient comme eux, hurlant dans le désert.
BHL : Sois un peu magnanime, Denis. Comprends que tout ça est plus une réaction adolescente qu’autre chose. J’ai lu l’entretien que tu as mené avec Sarkozy, c’est très bien, tu le poussais dans ses retranchements, impressionnant. Je t’ai même trouvé impertinent. Mais eux voudraient que tu sois injurieux avec lui, voire punk, ils qualifient de compromission ce qui n’est que prise en compte de la réalité. Tu dois te blinder face à ces critiques, elles viennent de charognards, d’aigris. Notre réussite les débecte.
Olivennes : (énervé) Ce n’est pas une question de compromission, ils ont tout faux ces cons-là, c’est une question de positionnement stratégique. Croient-ils vraiment que le Nouvel Obs a vocation à éternellement rester adolescent ? Que stagner est notre objectif ? On doit s’adapter, rester à l’écoute du marché, ou alors on meurt. Le journalisme n’est pas seulement enquête, il doit aussi prendre en compte les conditions objectives de son action.
« Ce n’est pas une question de compromission, s’emporte Olivennes, ils ont tout faux ces cons-là, c’est une question de positionnement stratégique. »
Dassault : Le succès les débecte, c’est toujours la même rengaine. Perso, j’y suis confronté depuis tellement de temps que je n’y fais même plus attention. L’argent les effraye. Le pouvoir les effraye. Le marketing les dégoûte. Ces mecs vivent en plein 19e siècle. Si vraiment ils ne veulent pas vivre avec leur époque, eh bien qu’ils y restent, qu’ils croupissent dans leur nullité. Nous, ça nous arrange, du coup on occupe le premier rang…
Bolloré : Ouais, c’est un peu facile de toujours brandir le blanc étendard de la vérité. La seule vérité que je connaisse, c’est celle qui départage le succès de la défaite. Et…
Val : (le coupant, héroïque, quasiment Jules Vallès) Je ne suis pas d’accord, Vincent. N’oublie pas que nous avons vocation à défendre les faibles, à œuvrer pour une société meilleure. Nous avons la vérité avec nous, cela suffit. Ce qui compte, c’est que nous nous positionnons justement face aux nouvelles dérives intellectuelles. (S’excitant progressivement, jusqu’à l’incohérence) Je veux dire, parfois, il faut jouer de notre position pour faire barrage, contre l’antisémitisme, contre l’islamisme, contre Chomsky et ses mensonges… Parfois, on déforme un peu, on exagère, mais bordel, c’est pour… c’est pour des causes justes… et… Je crois… la bienpensance nous bouffe… Publier les caricatures de Mahommet, ça… ça méritait un Pullitzer… Notre combat est juste… Siné est un nazi… Mermet intégriste… va s’en prendre plein la gueule… on détient la vérité… eux… SS… Des nazis c’est tout… (Incompréhensible. Tremblant, agité de tics, il semble possédé)
Finkielkraut : Ouaip, la bande à Mermet. Ces connards jouent l’islamisme à fond les ballons. Je voudrais bien voir comment ils réagiraient si leur fille optait pour le voile. (Ricanant) Ou pour la burka.
BHL : ( gloussant ) Fendard… Imagine la fille d’Halimi se radinant en burka à la maison… Il tirerait une sale tronche, le mec… Qu’est-ce qu’ils croient, ces gros nazes, qu’on les a attendus pour savoir ce qu’était l’intégrité ? Leur tour d’ivoire est vraiment risible, ils ne mettent pas la main à la pâte. Nous, contrairement à ce gros chipoteur de Mermet, on sait faire autre chose que critiquer, on est constructifs. J’ai toujours pensé qu’il y avait quelque chose de national-socialiste dans leurs emportements populistes. A quoi ça rime de nous traîner dans la boue ? Ils nous traitent comme les nazis traitaient les juifs. Halimi ? Un Goebbels qui s’ignore…
Val : (éructant) Depuis La sortie des « Nouveaux Chiens de garde », ce torchon scribouillé par ce ce gâche-profession d’Halimi, depuis les prises de position ridicules de Bourdieu, on nous montre comme des profiteurs, des lâcheurs, des Judas. Et pourtant, je vous le dis comme je le pense, chers confrères, il y a plus de courage dans notre position que dans la leur. C’est tellement facile de hurler avec les loups, de disséquer chacune de nos paroles. Des gens comme lui ou comme ceux de la bande à Mermet sont la honte de la profession. Je ne vais pas tarder à leur faire comprendre mon point de vue. Parole de chef !
Et je n’ai pas honte de le dire : il faut savoir écrémer, faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. Ces mecs sont les nouveaux fachos, ils font le jeu des intégristes, ils me débectent. Qu’est-ce qu’ils veulent ? Qu’on crache sur tout, qu’on refuse de dialoguer avec le pouvoir en place ? Je ne suis pas sarkozyste, mais il faut bien avouer que sa politique est sur la bonne voie. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir : tous, ou presque, nous sommes des critiques, le contraire de bénis oui-ouis, et pourtant, il nous laisse notre chance. Voilà ce que j’appelle une démocratie.
« (N’y tenant plus, Val bondit) : Depuis La sortie des »Nouveaux Chiens de garde« , ce torchon scribouillé par ce ce gâche-profession d’Halimi, depuis les sorties ridicules de Bourdieu, on nous montre comme des profiteurs, des lâcheurs, des Judas. »
Joffrin : Non, Philippe, je ne suis pas d’accord avec toi. Tu le sais, j’ai toujours été considéré comme intègre, je n’ai jamais, au grand jamais, monnayé mes principes. Eh bien, je te dirais que, certes, on vit un grand moment de démocratie, mais que tout n’est pas parfait. Et c’est pour ça qu’on existe. Parfois, rarement je te l’accorde, ce pouvoir glisse, perd pied, fait des erreurs. Alors, nous nous dressons, menaçants. Rappelle toi comment Libé a couvert l’affaire Betancourt, ou bien, plus récemment, les terroristes de Tarnac . On était limite impertinents. Bien sûr, c’est aussi parce qu’on connaît notre lectorat, il veut qu’on joue le jeu de l’intégrité. Mais, parfois, cette démocratie dérape. Nous sommes les gardes-fous. Je le dis en toute modestie : Libé est de tous les combats dès lors qu’ils sont modérés (Content de lui et de sa dernière phrase, le roi de l’explication politique hexagonale griffonne sa répartie sur son carnet - cela peut resservir - en barbichant d’aise).
Dassault : Laisse-moi rire, barbiche. T’es comme nous, c’est tout. Tu gères, tu fais du fric, tu profites, tu jouis de ta position. On va pas se la jouer Gandhi non plus, hein, on sait tous pourquoi on est là : notre panard, c’est la puissance, la position. Va me dire le contraire, toi qui a su - et je t’en félicite - vider Libé de toute substance contestatrice. Tu es un gestionnaire plus qu’un journaliste, le rachat par Rotschild l’a bien montré. Je t’en félicite.
Joffrin : (Grommellements indistincts)
Bolloré : Serge n’a pas tort. Il est temps de se débarrasser de la posture pseudo-messianique du journaliste engagé. Ça ne rime à rien. Pourquoi détiendrait-on plus la vérité que d’autres ? Nous sommes là pour donner au peuple ce qu’il veut. Et, le peuple, il ne veut pas des enquêtes fouillées ou des révélations fracassantes, il veut parcourir son journal comme on regarde la télévision : sans penser ni interroger. C’est peut-être triste à dire, mais c’est comme ça qu’on rend les gens heureux, en leur donnant ce qu’ils veulent, de la presse caniveau. C’est ce que je fais avec la franchise Direct8, je vois mal pourquoi je m’en cacherais.
BHL : (Enflammé, presque christique) Non non non. On a un rôle. On sauve les gens. J’étais à Sarajevo tu sais. J’étais en Géorgie. J’étais en première ligne, les balles me frôlaient carrément. Je suis un journaliste de guerre, (Arielle aussi, d’ailleurs, à sa manière). C’est là, au feu, que j’ai compris : il faut savoir se mettre en scène, mentir parfois, pour défendre la vérité. C’est aussi simple que ça : nous détenons la vérité, tout est bon pour la défendre. Mais il n’y a aucun calcul là-dedans, seulement un amour de l’humanité. on est pas Berlusconi non plus, hein, il nous reste une morale.
Dassault : (Faché) Il faut arrêter avec ça. Il me semble que l’on est un peu sévère avec le modèle Berlusconi. Certes, il a parfois légèrement dépassé les bornes. Mais, au final, qui peut se targuer d’avoir aussi bien réussi que lui, médiatiquement comme politiquement ? C’est la même chose avec Ruppert Murdoch. Ceux qui les critiquent sont soit des jaloux, soit des populistes. Que reproche-t-on à Berlusconi, au final ? Ses parties fines avec des jeunes adolescentes ? (Soudain grivois) Que croyez-vous que la suite du programme d’aujourd’hui nous réserve ? (Rire graveleux collectif, ahanements divers) Pour le reste, il est comme nous : c’est un homme d’affaire qui gère un empire, il ne peut pas se permettre de faire la fine bouche dans son approche de l’information. La Rai, c’est l’équivalent de TF1, une réussite culturelle et journalistique, il suffit de regarder les chiffres d’audience.
« Il faut arrêter avec ça, s’énerve Dassault. Il me semble que l’on est un peu sévère avec le modèle Berlusconi. Certes, il a parfois légèrement dépassé les bornes. Mais, au final, qui peut se targuer d’avoir aussi bien réussi que lui, médiatiquement comme politiquement ? »
PPDA : Je suis plutôt d’accord avec toi, Bernard. On peut mêler grosse audience et déontologie irréprochable, j’en suis la preuve vivante.. Le problème avec ceux qui nous critiquent, c’est qu’ils ne connaissent pas le pouvoir, ils ne savent pas que frayer avec les grands de ce monde pour collecter des infos demande quelques concessions. Mais on sait toujours où est la frontière entre copinage bien naturel et respect de notre intégrité professionnelle : pas de mélange des genres, c’est notre leitmotiv.
(On toque à la porte. Une tête connue s’affiche quelques instants dans l’entrebaillement, une grimace comique aux lèvres.)
N.S. : Je vous dérange pas ? Hé hé, de toute manière, je suis sûr que vous étiez en train de dire du mal de moi. Bande de salauds !
(Rires. Quelques dénégations et salutations divers - Oh Nico, ma couille, ça va ?)
N.S. : (décontracté et poseur) Oh, on est en démocratie, hein, c’est pas moi qui vais vous critiquer, vous faites votre boulot, je fais le mien. Je voulais juste vous dire, c’est un plaisir de vous recevoir avec Carlita. Et ce soir, mes poteaux, y’a paella. Lolo, prévois un rince-barbiche.
(L’intéressé se renfrogne, les autres ricanent grassement. La porte se referme. Silence, finalement rompu par Jean-Luc Hess.)
Hess : Je sais à quoi vous pensez, au fait qu’ils seraient beaucoup à s’indigner de la présence de Nicolas dans la villa. Et pourtant, cet homme-là a bien compris qu’il devait nous laisser travailler en paix. Je trouve ça très courageux de sa part, il s’expose à notre pouvoir, il ne nous menace pas. Nos critiques mélangent tout, ils croient qu’accepter une invitation, c’est trahir. Il ne s’agit que de politesse. D’ailleurs, même les journalistes du Canard vont diner chez Carla. Ce genre de choses ne me dérange pas, ça fait partie du métier. Ceux qui ne veulent pas le comprendre sont des fossiles et sont condamnés à le rester...
Plenel : Ouaip, je suis censé être le plus gauchiste de nous tous, mais je suis plutôt d’accord : il y a des coups de pied au cul qui se perdent. Quand je vois tous ces mecs jouer aux chevaliers blancs de l’information, ça me fait marrer. Comme s’il ne fallait pas toujours transiger sur ses principes pour faire un bon canard.
Bolorré : Edwy, c’est clair qu’on partage pas la même approche du métier. Mais je suis content qu’un vieux briscard comme toi le reconnaisse, on reste des pros de l’information, c’est ça qui compte.
Plenel : (presque rebelle) Ouais, enfin bon, le modèle Direct Matin/Direct Soir/Direct huit, c’est pas non plus ce que j’appellerais de l’info de grande qualité, faut pas charrier. Et niveau déontologie, tu vas pas me la jouer oie blanche, hein.
Bolorré : (indigné) Je ne transige pas avec la déontologie. Je me contente de parfois l’oublier pour mieux la ressortir quand elle sert mes intérêts. Voudrais-tu que je base l’ensemble de mon travail sur une forme de morale désintéressée ? L’empire Direct-Médias serait mort dans les huit jours. Tu le sais bien, au fond, c’est une question de positionnement. Tu as trouvé ta niche, j’ai trouvé la mienne. Mais vas pas faire croire que t’es un saint, tu veux la même chose que nous, approcher le pouvoir, voire te l’approprier. Sinon tu ne serais pas présent à cette réunion. On te connait bien, va. Depuis tes premières rodomontades au Monde, on a bien vu que c’était du pipeau, des effets de manche. Tu ne trompais personne, seulement les naïfs. Et c’est bien parce qu’on t’a percé à jour qu’on t’accepte. Tu es comme nous, exactement, sauf que tu enrobes ça d’une autre manière de vendre.
« Je ne transige pas avec la déontologie s’indigne Vincent Bolloré. Je me contente de parfois l’oublier pour mieux la ressortir quand elle sert mes intérêts. »
Plenel : (moustache en berne, grommelant) Ouais, c’est possible, mais je crois en quelque chose, moi, j’essaye de faire bouger les choses. Regarde ce qu’on fait avec Mediapart, c’est nouveau, c’est neuf, ça brille, on renouvelle quoi.
Val : Parlons-en, de Mediapart. Edwy, tu sais que je t’ai toujours respecté. Mais bordel, qu’est ce que tu vas foutre sur Internet ? Tu nous fais quoi, tu vires nazi ? Tu veux faire comme Bakchich ou Rue 89, la jouer « Kommandantur libérale » ? T’es sur une mauvaise pente mon gars, tout ce qui se trame sur Internet ne vaut pas mieux qu’une chiure de mouche6.
Rioufoul : Il a pas tort, Philippe, il est temps que tu sortes les pieds de ce bourbier. Ou on ne donne pas cher de ta peau. Déjà qu’on a failli te remplacer dans notre G 12 par Jean-François Kahn…
Plenel : (dépité) Jean-François Kahn ? Mais, bordel, je suis mille fois plus tordu et malhonnête que ce type ! Marianne, c’est des enfants de chœur. C’est pas parce qu’il est devenu le pro du racolage en une qu’il peut rivaliser avec moi. Donnez-moi encore une chance, je vous montrerais ce que je vaux, parole d’Edwy. Et…
Bolloré : (le coupant, limite grossier) On verra ça. En attendant, l’affaire est close, tiens-toi à carreaux, c’est tout, on t’a à l’œil. On sait tous quoi penser des médias en ligne quand ils se veulent indépendants, c’est pas toi qui va nous faire changer d’avis. Bon, où en était-on ?
Joffrin : On parlait de déontologie. Mais je crois qu’on a fait le tour. Pour ce qui est des gros sous et des questions de financement, on en parlera en temps voulu, la paella ce soir s’y prêtera surement.
Dassault : Bon, on est bien d’accord, alors, on arrête de se branler la nouille et on va faire un saut dans la piscine ? Il est plus que temps de mettre fin aux bavasseries inutiles ! Toujours la même chose avec ces intellectuels, ils oublient toujours qu’il y a d’autres choses dans la vie que leurs sacro-saints engagements…
(Sous les rires approbateurs - sacré Serge ! -, les convives s’égayent dans un grand froissement de déontologie triomphante. Le quatrième pouvoir n’a pas fini de rayonner.)
1 « Mais, s’interroge cependant Laurent Joffrin avant même le lancement des hostilités, pouvons-nous être plus déontologiques que ce que nous le sommes déjà ? 100% plus 1%, ça fait toujours 100%, non ? »
2 Un certain N.S. s’est opportunément souvenu qu’un patron de presse avait su pallier à ses dilemmes lorsqu’il n’avait pas même un yacht sur lequel passer ses vacances.
3 Toujours est-il qu’il n’ouvrira pas la bouche de la réunion.
4 Pour ceux qui s’interrogeraient, il n’est évidemment pas question de fournir l’identité de notre taupe. Des personnalités haut-placées dans les médias acceptant de fournir des matières premières, tous les journaux de qualité en ont. Article11 ne déroge pas à la règle...
5 On vous l’épargne
6 Ndlr : oh, l’autre.