La Foire Internationale d’Onanisme Contemporain a ouvert ses portes hier, en plein Paris. Aimant à baudruches artistiques et à péteux friqués, l’événement se veut vitrine de la création contemporaine - c’te blague. Présent à l’édition 2005, notre envoyé spécial, Bartleby, en a encore le cœur au bord des lèvres. Retour sur une foire toute de toc et de tics.
Le texte ci-dessous a été écrit par l’ami Bartleby suite à la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) de 2005. La joyeuse critique vitriolée à l’occasion n’ayant jamais été publiée et restant d’une actualité indéniable, nous avons décidé de la mettre en ligne sur Article11. Appel aux entarteurs et potentiels saboteurs : la FIAC 20101 a ouvert ses portes hier...
« [L’aliénation de l’Humanité] a atteint ce degré qui lui fait vivre sa propre destruction comme une sensation esthétique de premier ordre ». Ce constat de Walter Benjamin, qui concluait son essai sur L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, semble aujourd’hui en partie caduque. L’art contemporain tel qu’il est mis en scène à la Foire Internationale d’Onanisme Contemporain (FIOC) ne concerne plus qu’une infime partie de l’Humanité (l’art par ceux-qui-ont-en-les-moyens pour ceux-qui-ont-en-les-moyens), reléguant son expérience esthétique de la destruction auto-programmée de la partie restante - ultra-majoritaire quantitativement parlant - au rang de gadget pop, de nid à poussière design, de bidule kitsch. Pour preuve, ce champignon atomique rose bonbon d’un mètre trente de haut, ceint de deux anneaux floconneux jaunes. Voir aussi les quelques acquisitions du ministère de l’Inculture en vue de l’édification artistique des masses : une photographie en couleur représentant un arrière-train de poney grandeur nature sur fond neutre ; et une toile carrée de deux mètres de côté où figure le torse d’une femme blanche et blonde adossée à une cible, les seins à l’air soutenus par un maillot de bain, souriante, le visage très probablement recouvert d’une non-négligeable couche de foutre. Adieu donc au dé-voilement heideggerien et place à la vision d’un Wittgenstein annonçant que « L’œuvre d’art ne veut pas transmettre quelque chose, mais elle-même », et, de ce fait, efface ce qui la précède et l’entoure d’un revers de pitrerie grotesque. Et défilent devant, mécènes blasés, échotiers opportunistes, marchands roués, courtisans vénaux, galeristes branchés, scénographes gazeux, commissaires prisés, bourgeois en mal de décoration d’intérieur, collectionneurs experts en spéculations diverses et variées, et musent, pouffent, béent, gloussent, boivent, sourient.
Néanmoins, derrière chaque quenotte aérée, chaque zygomatique tétanisé, chaque coupe de champagne allégrement vidée, se cachent qui une pique, qui un lazzi, qui un poignard. Et les artistes ? Où sont-ils, nos chers créateurs de formes, explorateurs de réalités, démiurges polymorphes ? Mais partout ! Vous, moi, tous ! Jusqu’à ce que la question de la cote soit abordée, les frontières de l’obscène franchies : trois zéros en queue de peloton devant l’indicatif monétaire local sous peine de disqualification pour cause d’amateurisme, de ringardise, de pas sérieux ; bref, de non-art. Chaque artiste véritable se doit de revendiquer son pedigree avec fierté, d’écumer chaque FQAC (fond quelconque d’art contemporain) à la recherche d’un subside, d’une résidence, de s’enquérir auprès de tous et toutes de l’importance de sa contribution à l’histoire de l’Art...
Revenons un instant, si vous le voulez bien, sur un témoignage fort précieux, celui de la correspondance qu’entretenait Vincent Van Gogh avec son frère Théo : « Je ne suis pas un artiste, comme c’est grossier - même de le penser de soi-même » (Lettre 336). Ou : « Je ne puis me soucier de ce que les autres pensent de moi, il faut que j’aille de l’avant, c’est à cela que je dois penser » (Lettre 388). Laissons-là les considérations d’un homme - peintre au demeurant - qui, de son vivant, ne vendit qu’un seul et unique tableau pour revenir à nos fort à propos moutons. Comment qualifier d’œuvre d’art une concrétion de pâtes pigmentaires semblable à un pneu carbonisé et sobrement intitulé « Sans titre », ou un court film vidéo sur l’apnée en baignoire proche de la pignolade adolescente pas même digne de figurer dans les annales dominicales d’un Vidéo Gag ? Ou alors le BigDil mérite le qualificatif de happening quotidien du prime-time...
Que ressentir lorsque ça ne ressemble à rien, mais qu’il n’y a rien de plus fidèle ; lorsque ça ne dit rien, mais qu’il n’y a rien de plus éloquent ; lorsque ça dégouline de vulgarité, mais qu’il n’y a rien de plus moderne (ou post-moderne, c’est selon) ? Quelle position adopter face à des esthétiques de l’esbroufe, du pétard mouillé, du marketing publicitaire sur lesquelles une marque lambda pourrait venir s’apposer sans ne rien en dénaturer et qui promeuvent un glamour (N’oubliez pas : l’Art, c’est Glamour !) fleurant bon au mieux la naphtaline, au reste le faisandé ? En ce cas, que l’ignominie revienne sans crainte, les civilisés ne verront aucun mal à ce qu’elle prenne place parmi eux autour d’une sculpture mêlant résine polyester, latex, paille, argile, tissu ou autre reproduisant le cadavre d’un hutu (à la manière de Duan Hanson ou de Ousmane Sow) - os blanchis d’un côté, peau sèche et tendue de l’autre, pudiquement recouverts d’un T-shirt en lambeaux -, le tout surmonté d’une épaisse plaque de verre faisant office de table basse, et ce afin de deviser dans la joie et la bonne humeur de choses et d’autres.
Il serait tout de même fort regrettable de balancer bébé avec la lavure, car tout ne mérite pas de finir au tout-à-l’égo. Nul besoin de citer ceux qui y pullulent, la bonne vieille méthode de la damnatio memoriæ faisant le reste. Il est évident qu’après une charge aussi nécessaire qu’indispensable contre les baudruches de la bêtise, de la vulgarité et de l’argent - saints sacrements protéiformes de bien des époques et de la nôtre un peu beaucoup aussi - qui étouffent l’art - mais qu’il est jouissif , cet enfonçage de porte dégondée ! -, parler de ce qui émeut, surprend et/ou interroge apparaît comme une piètre volte-face : Alain Séchas et ses chats (ou autres) anthropoïdes, et plus particulièrement le portrait de famille des Peace & Love ; les collages de Martha Rosler ; les toiles des hyperréalistes américains, dont celles de Ralph Goings ; les portraits des Afriques de Titouan Lamazou ; et deux anonymes, et ce pour cause de migraine carabinée : l’un japonais, adepte des méthodes traditionnelles de dessin, évoluant dans les champs de l’abstrait, ce qui évoque l’ondoiement des algues, la dérive des âmes, et un autre, français, démystifiant la tentaculaire World Disney Company dans un style hardtrash comix qui entraîne le spectateur-lecteur dans un jeu de piste foutrement bordélique et bien moins rigolo qu’il ne semble à première vue. Voilà. Pour le reste à vous de juger...
Pour éclairer la voie obscurcie par tout ce fatras indifférencié, un petit mot d’Aldous Huxley, datant de 1931 : « À une époque de technologie avancée, le plus grand danger pour les idées, la culture et l’esprit risque davantage de venir d’un ennemi au visage souriant que d’un adversaire inspirant la terreur et la haine. »
Il faut à tous prix empêcher la mignonnisation du monde et des esprits.
Le mignon pue l’innocence.
Le mignon dégrade le réel.
Le mignon s’attaque à vos enfants.
Le mignon détruit les cultures.
Le mignon banalise la vie.
Le mignon éradique la diversité.
Le mignon pollue la nature.
Le mignon atrophie la réflexion.
Le mignon restreint le libre-arbitre.
Le mignon souille l’émotion.
Le mignon génère la jeune-fille, et inversement.
NON AU MIGNON !
OUI-DA À DADA !!!