samedi 20 septembre 2008
Le Cri du Gonze
posté à 08h35, par
11 commentaires
Les carottes sont cuites, ou presque (Ca remonte ? pour combien de temps ?). La Bourse fait des montagnes russes, l’économie vacille, Wall Street s’affole, les pontes s’épongent le front et leur nez s’allonge quand ils parlent de crise temporaire. La dégringolade globale du capitalisme est avérée, tous les voyants sont au rouge. Dilemme : faut-il s’en réjouir ? Réponse : assurément.
« Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis petit, c’est comme ça. » (Coluche)
« N’est il pas bien sot d’exhorter les nantis, dont les yeux et les oreilles n’ont de sollicitude qu’à l’endroit des cours monétaires, à percevoir les gémissements de quelques millions d’hommes, de femmes et d’enfants que les flots boursiers expédient chaque jour dans les bas-fonds de la détresse ? »(Raoul Vaneigem1)
Je vais pas te la jouer mec qui maîtrise à mort l’économie, qui peut diagnostiquer sans coup férir les failles dans la cuirasse monétaire globale et trier dans l’amoncellement des emballements contradictoires ce qui fait sens ou pas. Pour tout te dire, les avatars modernes de l’économie virtuelle, les subprimes, les graphiques abscons, la crise des liquidités tout ça, c’est du chinois pour moi. Je m’y noie régulièrement et, chaque fois, je dois me replonger dans mes Snoopy préférés pour reprendre confiance.
Je suis comme tout le monde, je fais semblant de comprendre, je palabre savamment avec des accents à la Jean-Pierre Gaillard – « Oui, mon ami, le marché du Nikkei semble reprendre du poil de la bête, Francfort s’en mord les doigts, je te dis que ça » –, je feins la maîtrise absolue. Mais, en vrai, j’y capte que dalle, ou pas loin.
Par contre, ce qui est sûr, même pour un largué de l’économie comme moi, ce que même les plus fieffés menteurs du CAC 40 n’arrivent plus à cacher, c’est que ça sent le roussi. Le macramé, la dégringolade annoncée, 1929 revisité. L’euphorie passagère de places boursières gangrénées qui ont sentis de très près le vent de la catastrophe ne change rien au constat. Le yoyo boursier souligne plutôt l’imminence du krach. Comme dit Charançon : « Une péripétie supplémentaire sur la voie de la chute. »
Ce cri d’horreur d’un banquier ricain cité par Le Monde : « Wall Street est en train de mourir ! », correspond à une réalité de plus en plus évidente. Les puissants et leurs valets ont les chocottes. Et ne le cachent même plus.
Ce n’est pas les déclarations hallucinées de Lagarde et consorts insinuant que la crise s’arrêtera forcément à nos frontières – T’as vu ? Comme le nuage de Tchernobyl... Nos garde frontières sont des gars balèzes – qui vont faire changer d’avis tout gus doué d’un minimum de clairvoyance : comme en montagne, si un type dévisse, c’est toute la cordée qui se retrouve au fond du gouffre. Et si ce n’est pour aujourd’hui, c’est pour demain. Suffit de lire entre les lignes. De se remémorer les propos du patron de la banque Lehman Brothers, aujourd’hui en faillite, déclarant il y a cinq mois : « Le pire est derrière nous » ...
A trop jouer avec le feu, à barboter dans une économie virtuelle dont les soubresauts sont désormais basés sur du vent, à prêter des sommes faramineuses à des gens non solvables – ménages, entreprises, pays -, les banques, les bourses, les apprentis sorciers de la finance, ont creusé leur propre tombe (pour ceux qui comme moi sont un peu durs de la détente sur la question, une très moche BD, mais pédagogique, à lire ici). L’élastique se tend, se tend, bientôt il va craquer. Et à ceux qui me taxeraient de catastrophisme, j’opposerai cette citation de Dylan : « pas besoin d’un météorologue pour savoir d’où vient le vent2. »
De ce constat - la Crise majeure qui galope à l’horizon - nait le dilemme : est-ce que quelque chose de positif peut ressortir du grand boum monétaire ?
Mon premier réflexe serait de répondre oui. Mon deuxième aussi. De bramer d’enthousiasme à la perspective des dominos boursiers jubilatoires, du coup de pied dans la fourmilière, de la dégringolade des nantis, de la lapidation des anciens exploiteurs, de l’Internationale qui « refleurit » sur les cendres du capitalisme moribond…
En 1792, les sans culottes de la rue Mouffetard s’adressaient à la convention par ce mot doux : « Vous vous foutez de nous ? Vous ne vous en foutrez plus longtemps ! » Il y a de la redite dans l’air.
Bref, le krach serait vertueux. Notamment par sa remise en question de l’économie comme valeur suprême : retour forcé à la décroissance, fin du présupposé du marché tout puissant, etc… Une occasion en or de se convertir à l’écologie. De revenir à l’humain. De secouer les opprimés. A l’image des exhortations très pro-situs du Comité invisible, exposées dans L’insurrection qui vient et posant l’économie comme l’ennemi à abattre : « Trente ans de chômage de masse, de ‘crise’, de croissance en berne, et l’on voudrait encore nous faire croire en l’économie (…) à force, on a compris ceci : ce n’est pas l’économie qui est en crise, c’est l’économie qui est la crise. »
Je te le concède, tout cela est bien naïf3. Tu objecteras, tu n’auras pas tort, que l’histoire du vingtième siècle a montré que les crises de grande ampleur ne sont pas forcément pourvoyeuses de réjouissances, loin s’en faut. Et après ? Je te rétorquerais que c’est un aspect de la question qui présente certes une réalité indiscutable, mais que, bordel, à trop rationaliser on tombe vite dans le pessimisme bras ballants et tête baissée, mouton clamant l’impossibilité du changement radical. Très peu pour ton serviteur (la preuve, je te fous en note de bas de page, rebuts pragmatiques, mes considérations plus mesurées sur la question4.)
De toute manière, d’autre alternative il n’y en a pas. Moraliser le capitalisme ? Même Sylvain et Sylvette n’y croient plus depuis que le sanglier les a arnaqué de trois tartes aux pommes sans retour d’investissement. Réguler l’économie ? Ses leviers obéissent à des règles tellement incertaines, virtuelles, que pas un économiste n’ose se hasarder à prévisions à plus de huit jours ; alors réguler... Raisonner les investisseurs ? T’as déjà essayé de calmer un requin qui a goûté au sang ?
Alors quoi ? Alors je laisse derechef la parole à Raoul Vaneigem, pour enfoncer le clou : « L’accumulation financière a mené le parasitisme capitaliste à son paroxysme. Une poignée de bureaucrates, maîtres incertains d’organismes supranationaux et véreux, gestionnaires de ces mafias que l’on nomme trusts, lobbies ou multinationales, s’efforcent d’imposer les lois de la rentabilité et du dérèglement social à l’ensemble des populations du globe. »
Ton membre est gangréné ? Une seule solution : l’amputation !
1 Dans Pour l’abolition de la société marchande, pour une société vivante, éditions Rivages
2 « you don’t need a weather man to know where the wind blows »
3 Wall Street s’écroule, Paf, les autres bourses suivent, et Repaf, tous les peuples de la terre se donnent la main et s’entendent pour recréer un monde parfait où l’argent ne compte plus et où tout se finit par des chansons comme chez nos amis les Gaulois. Alain Souchon dirige le monde et les bébés phoques sont sauvés.
4 C’est seulement dans l’histoire du vingtième siècle, ce coquin d’agité, que l’on trouve des éléments pour éclairer l’après crise. Et c’est là que ça se corse. Les crises financières de grande ampleur n’ont généralement pas débouché sur de grandes utopies, loin s’en faut. Elles ont plutôt agité les eaux croupies de l’autoritarisme le plus bas et des instincts humains les plus vils. En 1929, c’est en partie dans la faillite de l’économie mondiale que les fascismes et totalitarismes européens ont pêché le réservoir de haines et de frustrations populaires aptes à porter au pouvoir les monstres. Hitler est indirectement né de la désastreuse situation économique allemande. Pareil, même si le mal fut moindre, avec les crises de 1973 et 1979 : c’est bien elles qui portent au pouvoir l’ultralibéralisme assassin de Thatcher en Angleterre et de Reagan aux States. Même si, je te l’accorde, tu trouveras un contre-exemple parfait dans le New Deal de 1932 et les politiques keynesiennes de Roosevelt, plutôt positives, et nées de la crise de 1929. Si la nature a horreur du vide, l’humain, lui, s’empresse d’y remédier en le remplissant de ce qui se fait de plus manipulateur, de plus autoritaire : le Chef et ses oripeaux martiaux. En temps de crise, on n’a jamais trouvé mieux pour apaiser les foules. Si ce Chef s’avère en sus capable de fabriquer un bouc émissaire et d’exciter la vindicte populaire, la messe est dite. C’était la minute raisonnable. Retour aux choses sérieuses.