mercredi 29 avril 2009
Médias
posté à 13h31, par
29 commentaires
Ce n’est pas nouveau : Le Point est à l’investigation journalistique ce que Bernard Madoff est à la finance… Et quand le magazine dépêche l’un de ses plus fins limiers - le très respecté et respectable Hervé Gattegno - sur la piste de Julien Coupat, les révélations tombent comme des obus à Verdun. Un très bel exemple de ce que le journalisme peut produire de plus infâme.
Je ne sais pas…
Je me tâte…
Est-ce que : oui ?
Est-ce que : non ?
Est-ce que je vais l’acheter ?
Est-ce que je vais conserver mes précieuses piécettes pour acquérir une lecture plus consistante1 ?
Sérieux : quel dilemme !
Aussi : ce n’est pas ma faute.
Tant Le Point s’y entend comme personne pour proposer des informations crédibles et faire monter le suspens, journalisme de qualité sans parti-pris sinon celui de l’enquête - profonde, très profonde… - et d’un labeur acharné pour faire éclore la vérité.
Un travail remarquable conjugué à un sens certain du commerce : faire et faire savoir, c’est ainsi que la presse surmontera la crise qui la frappe depuis dix ans.
Et il faudrait être le dernier des ânes bâtés pour reprocher au Point d’accoler souvent le surtitre « Révélation exclusive » au corps d’un article se contentant de reprendre pour argent comptant les informations refilées, au téléphone et sur le ton de la confidence, par un agent de la DCRI sans envergure et sans doute tout surpris de voir qu’il est encore des gens pour gober son boniment à deux francs six sous et cinq centimes d’euros.
En clair : je ne mange pas de ce pain-là.
Et qu’on ne compte pas sur moi pour critiquer l’effroyable manque de fond de ce que le magazine appelle des « Nouveaux indices compromettants pour Julien Coupat », copié-collé à la va-comme-je-te-pousse de fausses informations, d’insinuations scandaleuses et d’approximations bidons2.
Pour rigoler de sa façon ridicule de faire monter le sauce, l’article indigne se terminant sur ces mots aguicheurs : « Dans l’édition du Point à paraître jeudi en kiosque, vous découvrirez d’autres révélations sur les militants alternatifs de Tarnac » ; mazette, quel suspens !
Non plus que pour déplorer que l’auteur de l’article, Hervé Gattegno, ne soit pas encore condamné pour trahison journalistique et vivante injure à la déontologie.
C’est que le bonhomme peut se vanter d’un joli palmarès.
Lui qui a su, quand il écrivait encore au Monde, s’en prendre gaillardement au travail de Denis Robert, démolissant ce confrère qui s’acquittait seul du boulot qu’aurait dû abattre une corporation3.
Qui s’est retrouvé au cœur d’une trouble affaire, soupçonné d’avoir écrit un article de complaisance dans Le Monde, vibrant hommage à un marchand d’armes libanais (Iskander Safa, objet d’un mandat d’arrêt international pour blanchiment) qui se trouvait être aussi - quelle surprise, on se demande bien où la déontologie peut aller se nicher… - celui qui avait intégralement payé le voyage d’une semaine au Liban de ce reporter intrépide4.
Et qui depuis qu’il est passé du Monde au Point - transfert qui aurait été facilité par son amitié avecl’incroyable Marc Francelet, magouilleur de première, très trouble homme d’affaire et journaliste dévoyé - , a fait avec constance œuvre de salubrité médiatique, contribuant notamment à créer de toutes pièces ce danger prétendument représenté par « la mouvance anarcho-autonome d’ultra-gauche ».
Bref : Hervé Gattegno est un homme d’honneur, professionnel respectable qui ne fait pas carrière grâce à ses réseaux, n’insulte pas la déontologie et ne se contente pas de reprendre les informations aimablement distillées par les cercles du pouvoir et du renseignement.
On peut… non… on DOIT lui faire confiance.
Et il faudrait être un fieffé saligaud pour soupçonner le bonhomme de torcher ses articles en quelques minutes, sur le coin d’une table, sans se soucier de se ridiculiser en continuant envers vents et marées à fabuler sur les « neufs de Tarnac » quand même ses confrères les plus timorés crient désormais au scandale judiciaire et à la construction policière5.
Je ne m’y risquerai pas.
Et me contenterai de louer l’excellence du Point et de ses journalistes d’élite.
Jusqu’à m’écrier, avec autant de passion que de respect : Hervé Gattegno, scribouillard d’amour, journaliste de mon cœur, quel beau métier que le tien !
1 Par exemple, mais je dis ça au hasard, Contributions à la guerre en cours, écrits de Tiqqun que l’excellente maison d’édition La Fabrique vient de rééditer
2 Sur le fond, voir ce billet de CSP..
3 On se fiera ici à la plume d’un Denis Robert évoquant ce « journaliste du Monde qui faisait beaucoup d’efforts pour dénigrer mon enquête sur la multinationale. Il se prénommait Hervé et écrivait avec constance des articles assassins sur moi dans son journal. Ses papiers servent beaucoup à l’avocat de la multinationale pour bâtir ses plaintes ».
4 Interrogé par la police à propos de déontologie, Hervé Gattegno a eu des réponses pleines de verve et de sel - entre autres, l’inoubliable « Le fait que M. Safa ait pris l’initiative de m’adresser un billet d’avion n’a aucunement porté atteinte à mon indépendance de journaliste » - dont on lira un très bon résumé dans cet article de Bakchich.
5 Davantage que Le Monde qui s’est depuis le début honorablement comporté sur l’affaire Coupat, on pense ici à Libération, lequel a d’abord hurlé avec les loups avant de tourner casaque récemment.