mercredi 2 février 2011
Littérature
posté à 21h29, par
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Elle n’a pas eu les honneurs de l’histoire, Gerda Taro. Morte trop tôt alors qu’elle couvrait la guerre d’Espagne, éclipsée par la gloire de son compagnon Robert Capa, son œuvre photographique restant largement méconnue. François Maspero a eu la bonne idée de lui consacrer un livre, oscillant entre biographie inspirée et hagiographie fascinée : L’ombre d’une photographe.
Ce n’est pas sa faute, à Capa. Qui pourrait lui reprocher d’être devenu LE grand photographe de guerre de l’époque, celui qu’on associe immanquablement à la Guerre d’Espagne ? Qui oserait critiquer le seul photographe présent sur les plages normandes le 6 juin 1944, celui qui avait pour devise « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près » ? Robert Capa est à juste titre une légende de la photographie, un personnage quasi intouchable, sanctifié au rayon mythe & Leica – sa mort précoce (1954) sur une mine indochinoise le cristallisant for ever en beau jeune homme aventurier et trompe-la-mort (celui romancé par Jean Vautrin et Dan Franck dans la série Les Aventures de Boro, reporter photographe).
Si plus personne ne se souvient de la photographe Gerda Taro, c’est pourtant en grande partie de la faute de son compagnon mythifié. La stature de Capa a écrasé la postérité de Gerda Taro, ne lui accordant que le statut de compagne du grand Photographe, de collaboratrice, d’amante, de camarade de combat, voire de martyre... mais jamais de photographe. Comme l’écrit François Maspero qui lui a consacré un très beau livre, L’Ombre d’une photographe (Le Seuil, 2006) : « Pendant plus de 60 ans, quand on cherchait son nom, on le trouvait certes cité des centaines de fois. Mais toujours associé, en quelques lignes, en quelques pages, à l’homme dont elle a un temps partagé la vie. Rien de plus. Fugace passage dans la biographie d’un personnage célèbre[...]. »
Gerda Taro n’a pas eu le temps de devenir l’égale de Capa, même si elle en avait clairement la stature. Elle est morte trop tôt, à 27 ans, alors qu’elle s’était lancée depuis peu dans la photographie, peu après son arrivée à Paris en 1933 (elle fuyait alors le régime nazi de son Allemagne natale). Ses premiers reportages à peine publiés, elle a disparu, écrasée accidentellement par un char républicain près de Brunete, cerca Madrid. Étoile filante.
Autodidacte tardive (contrairement à Capa, baigné dans la photographie dès l’enfance), Gerda Taro partageait avec lui un penchant marqué pour la cause républicaine espagnole et une folle envie de témoigner de la victoire (inéluctable, pensait-elle) des combattants anti-fascistes. C’est elle également qui eut l’idée, en 1936, de créer un personnage autour de son compagnon, de construire de toute pièce Robert Capa. Alors qu’André Friedmann était un photographe hongrois doué mais peinant à joindre les deux bouts, Capa allait devenir un chasseur d’images ricain riche et légendaire, un Buck Danny de la photo - sourire bright et Bogart attitude. Stratégie réussie. Pendant un temps, Friedmann et Taro mêleront leurs photos sous la signature Capa1, façonnant ensemble la légende d’un photographe inventé de toute pièce. Puis, avec le temps et Gerda disparue, Friedmann deviendra Capa à lui seul, incarnant le personnage pour la postérité.
Soyons franc. Si le livre de Maspero, grand éditeur et - parfois - grand écrivain (lire Le Sourire du chat et Les Abeilles et la guêpe, c’est un ordre), se termine d’une traite, s’il a l’immense mérite de faire revivre le talent et l’engagement d’une grande femme oubliée, il verse parfois un tantinet dans l’hagiographie. Comme si l’auteur, à force de creuser le sujet, était tombé éperdument amoureux de la belle Gerda (et un peu jaloux du croustillant Robert). Glissement dans la romance nécrophile qui donne quelques pages un peu lourdes sur la légèreté translucide de Miss Taro, sur sa beauté combattante, genre Marianne guidant le peuple avec la grâce d’un moineau über-sensuel. Un brin comique parfois, mais peu dérangeant. D’ailleurs, même Capa, l’homme à femmes par excellence, devenait mièvre quand il parlait de Gerda Taro - celle qui jamais ne lui céda totalement et refusait l’idée de mariage (pas de fil à la patte !) -, pleurant la disparition du « seul amour de sa vie » et plongeant dans le bourbon pour oublier sa peine. Tiens, même moi...