samedi 19 septembre 2009
Le Cri du Gonze
posté à 11h49, par
4 commentaires
Il y en a qui soignent leurs pensées sombres en plongeant dans des productions musicales joyeuses, et d’autres qui s’aspergent de notes distordues et de paroles charbon pour contrer la déprime. Le débat est ouvert, on se gardera bien de trancher. Reste que, dans un cas au moins, le chanteur le plus sombre du monde, Michael Gira, s’est fait anti-dépresseur. Explication.
« Nous prenons plaisir à contempler les images les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, comme les formes d’animaux les plus méprisés et des cadavres. »
(Aristote, Poétique)
Difficile d’évoquer la musique de Gira sans tomber dans le pathos, sans empiler les envolées lyriques lourdingues sur l’univers mental noir charbon trimballé par le musicien ricain. Exercice casse-gueule que je n’aurais jamais commencé si je n’étais pas tombé sur ce commentaire d’une certaine Naffanyaa, sur Youtube, en-dessous d’une vidéo de Gira : « God bless Michael Gira - his music saved me from depression. » Sur le coup, ça m’a fait marrer. Sauvée de la dépression par Michael Gira, le névropathe en chef ? Pourquoi pas apprendre la joie de vivre en lisant Hubert Selby Junior ? Ou s’initier au rire en compagnie du désopilant Hortefeux ? Et puis, en réfléchissant, j’ai compris que la chose n’était pas si absurde. Ok, cette musique est poisseuse comme un mauvais trip aux champis, parle de soleils morts et de compagnes nécrosées. Il n’empêche, barboter épisodiquement en terre sépulcrale n’a jamais empêché de briller par ailleurs des milles feux de la joie de vivre. L’effet catharsis (l’art comme Destop existentiel : une dose par-ci par-là ,et les canalisations rutilent) existe depuis Aristote, pas de raison que ça ne fonctionne plus de nos jours. Au final, une petite perfusion de Michael Gira ne devrait pas faire de mal aux plus dépressifs d’entre vous. Les autres se contenteront de se laisser envoûter par le talent mélodique du sieur Gira, lyriste en chef et fer de lance de deux groupes essentiels de ces vingt dernières années, The Swans et The Angels of light. Quelques pépites.
Les Swans : remueurs d’entrailles en chef
Au commencement étaient les Swans. Des volatiles hirsutes et dérangeants, menés par un fou furieux nommé Michael Gira. Ils déboulaient tantôt dans un fracas d’enfer, noise grinçant en perfusion, tantôt dans un dépouillement funèbre, cotonneux, souvent malsain.
Écouter un de leurs albums, c’est accepter d’entrer dans un univers glauque, de longues nappes de bruits blanc traversées de spasmes vocaux. La voix de Michael Gira vous saisit aux tripes, transperce vos défenses mentales pour appuyer là où ça fait mal, en plein cœur de vos pulsions refoulés. Là-dessus, le murmure sépulcral de Jarboe, chanteuse vénéneuse et alors compagne dudit Gira, vient enfoncer le clou. L’ensemble rebute et attire, puis attire de plus en plus, jusqu’à l’addiction. Alors vous êtes pris au piège. Se reconnaîtront ici en premier lieu les adorateurs d’un certain album mythique, The Great Annihilator, symphonie schizophrène qui n’en finit pas de hanter ceux qui ont eu le cran de s’y frotter durablement…
Les chansons des Swans dégagent quelque chose de profondément dérangé, de « Killing for company » (ci-dessus), description d’une compagne de lit bouffée par les vers, à la très schizo « Celebrity lifestyle » (ci-dessous) en passant par l’illuminée « Failure », chanson la plus sombre du monde (ou pas).
Le faux calme après la vraie tempête : The Angels Of light
Bien sûr, à l’aune des Swans, les Angels of light semblent un chouïa en demi-teinte, en tout cas à la première écoute. Un zeste de furie s’est perdu en route, la brutalité n’est plus la même. Pourtant, en arrière-fond, rôde la même force mélodique, celle qui prend aux tripes et sévit dans les arrières-cours cervellesques des inconscients s’y frottant. Il suffit d’écouter « Promise of water » (ci-dessus) pour s’en convaincre. Une lente montée monotone, qui joue sur les nerfs et envoûte à rebrousse-poil, comme une mauvais trip au Lithium.
Fondé en 1998, dans la foulée de la dissolution des Swans (qui ont sévi de 1982 à 1998), les Angels of light ont également une solide réputation de groupe de scène, d’autant que le groupe s’est enorgueilli de la présence du guitariste Kid Congo Power aka Je n’ai joué que dans des groupes de mabouls genre les Cramps, les Bad Seeds de Nick Cave ou Gun Club, ainsi d’un certain nombre d’agitateurs musicaux de la réjouissante Akron Family. Ci-dessous, prestation live toute en bizarrerie monotone, qui ne manquera pas de ravir les plus noise d’entre vous et de débecter JBB, ce sagouin.
Autres réjouissances associées au sieur Gira
Ce n’est pas un hasard si Gira, au fil du temps, a fini par devenir une sorte de gourou pour fondus de musique folk. Pas n’importe quel folk, bien sûr, celui capable de vraiment remuer, de faire passer quelque chose. Devendra Banhard ou Moldy Peaches, ce genre de gens respectables, pas les babos mous qui annonent leur Blowin’ the wind comme la première Première Dame venue.
Reprenons, Gira a pris l’habitude, depuis un certain temps, de fréquemment se produire en solo. Pour avoir assisté à la chose, Bibi peut confier que l’expérience relève du miracle. Car d’esbroufe il n’y a pas, l’heure est au dépouillement absolu : une simple guitare gratouillée de manière très monotone et une voix qui s’enroule autour de rythmes binaires. Rien d’autre. Et pourtant, le silence accueillant la fin de chaque chanson a quelque chose de véritablement religieux. Faire naître le sacré en parlant d’entrailles et de vies brisées, de suicides et de villes tombeaux, l’exploit est de taille. Sur la vidéo ci-dessus, on notera le dépouillement bizarre du décor, parfaitement adapté à sa prestation cotonneuse.
Et puis, Michael Gira étend ses tentacules charbonneuses au delà des simples prestations musicales. Non content d’avoir écrit un roman encensé par la critique et publié par la maison d’édition d’Henry Rollins (du beau linge) - traduit en France par Le Serpent à Plumes sous le nom de La Bouche de Francis Bacon - , Gira est depuis une dizaine d’années à la tête de Young God Records, label sur lequel sévissent des gens aussi recommandables que Lisa Germano, Devendra Banhart (que Gira a découvert ; ci-dessous, un documentaire consacré à leurs collaborations), Ulan Bator ou la Akron Family. La liste parle d’elle même. Pour le reste, tu l’auras compris, je t’encourage fermement à suivre ses productions d’un œil avisé. La catharsis, il n’y que ça de vrai…
1 Précision façon HS : Lémi étant parti vendanger joyeusement, en des contrées champenoises si paumées que les cyber-cafés y sont encore choses inconnues, il ne pourra participer à la conversation passionnante, trépidante et cultivée qui ne manquera pas de naître - éventuellement - sous ce billet.