mercredi 30 septembre 2009
Médias
posté à 08h50, par
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Si la crise nous a appris quelque chose, c’est bien qu’il y a des thunes à se faire dans l’escroquerie écolo-durable. Simple comme bonjour : pour sauver la planète, il faut en faire quelque chose de rentable. Les mecs qui viennent de lancer le nauséabond « Green Business », magazine pour entrepreneurs écolos, l’ont bien compris. Plongée dans un green world très capitaliste…
« Pour le développement durable, penser le futur ne signifie pas ouvrir un espace de transformations radicales possibles, mais naturaliser le système actuel, voir proposer une espèce de “fin de l’histoire”. »
D’abord ton œil de badaud fatigué tombe sur l’affiche publicitaire présentant l’opus n°2. L’esprit embrumé, il te faut une ou deux secondes pour tilter, débloquer tes méninges et illico rebrousser chemin. Tu te places face à l’immondice, l’œil perplexe, les neurones hésitantes, et détailles la couverture du magazine en question. Green Business, ça s’appelle, et ça semble tout dire. En grand, la ganache à Cohn-Bendit, le menton dans la main genre penseur de Rodin en goguette, coquet (le green business lui va si bien). Une interview exclusive est annoncée, tu frémis. En haut de couverture, ce titre surréaliste : « PME : sept leçons pour réussir son business durable. » Et la petite accroche bobo des familles, plus bas : « Le tour d’Europe de l’urbanisme durable ».
Un instant, tu restes interdit. Green Business. Bordel, pas à dire, c’est alléchant question infamie bobo vomitive. Mais voilà : c’est plus que tu ne peux le supporter en ce matin nauséeux. Tu décides de faire le mec qui n’a rien vu, tes neurones sont déjà suffisamment tourneboulées par l’idée de VGE forniquant avec Lady Dy (tu as appris ça le matin même), pas moyen de rempiler pour l’horreur. Tu fuis comme un lâche.
Cette nuit là, la chose revient te hanter dans ton sommeil. Ivan Illich t’apparaît en rêve, il te somme de te coltiner l’infamie ou alors il reviendra personnellement te botter le train. Puis Theodor te menace : si tu fuis, tu es le prochain sur la liste d’Unabomber… Au réveil, tu comprends que tu n’as pas le choix, une mission t’a été confiée, tu ne peux reculer. Tu diriges tes pas vers une échoppe adéquate, tu déniches l’engin, il a l’air chic et toc, et tu l’empoignes de la main moite de l’adolescent achetant son premier Playboy. La vendeuse te regarde comme un pervers et glisse sybilline : « Ça se vend très bien en ce moment, le premier numéro a fait un carton. M’en direz des nouvelles. » Radasse.
Rentré chez toi, tu t’attaques à la chose. Et… ta journée s’illumine. Rien de maso là-dedans. Simplement, ces gens-là sont tellement minables et prévisibles que tu as le choix entre deux attitudes face à leur torchon : te lamenter sur l’inanité d’un système qui voit de telles bouses prendre leur aise en librairie et des lecteurs les lire en masse, ou bien te fendre la poire en déposant au passage quelques saillies fielleuses. En ces temps de disette humoristique, la deuxième solution s’impose. Facile, d’ailleurs, car ici, tout est invitation au rire. Les rubriques portent des intitulés genre sabir écolo-branchouillard pour neuneus durables : « Green buzz », « Briefing-attitudes », « Briefing-néo », « Grand green », « Porte nawak » (???) et ma préférée, consacrée à la bourse : « Green 40 » (gnniiihh)… Ça sent ses heures de brainstorming pubard bas de gamme – « et si on mettait green tous les deux mots pour faire plus crédiblo-saxon » ? Ce green là, éponyme, annonce la couleur : il s’agit de réconcilier fric et écologie, business et développement durable. En résumé : capitalistes de tous les pays, unissez-vous dans la mise au green, c’est fun et ça grouille de pognon.
Quelques articles valent leur pesant de CO2 détaxé. Piochés au hasard d’une lecture fulminante : un petit aperçu sur la tente du future, toute de technologie vêtue, celle qui s’illumine quand tu lui envoies un SMS (« pratique pour la retrouver dans la pénombre » : je ne sais pas comment j’ai pu vivre sans…). Un genre de roman-photo hagiographique sur Jean Noël Debroise, « patron de choc écolo » chez Alstom (et accessoirement huile de « Génération écologie ») ; on le voit réparer lui-même ses trains, délaisser son bureau pour squatter l’usine de trams, pointer comme tout le monde avec un sourire d’une telle humanité qu’on pense illico à Gandhi… ce gars-là met les mains dans le cambouis (ceci dit, son costume reste irréprochable) pour sauver la planète. Un autre article porte bien son titre « Décroissance au Medef, un tabou levé ? » (arrgghhh) : la réponse est oui, les patrons tournent au green foncé. Un peu plus loin, une investigation de haute volée : « Biodiversité à l’armée : Tabou levé ? » (mhhhgnnhh), la réponse est oui, du kaki au green, le pas est vite franchi. Cohn-bendit, lui, nous parle d’un développement industriel « tourné vers les énormes chantiers d’une industrie verte » et place « green tech » tous les deux mots. On est entre gens de même langage…
Au fil des pages, la lassitude gagne. Des éco-tartuffes se tripotent inlassablement la nouille pour te prouver – maladroitement – que l’écologie politique n’a pas de sens, que ce n’est pas le système qu’il faut changer mais plutôt ses courroies de transmission. Cohn-Bendit est ainsi félicité dans l’accroche de son entretien, il n’est pas comme ces ploucs adeptes de la décroissance, il vit avec son temps : « Il incarne désormais l’écologie comme on veut la comprendre. Pas celle des Verts de la décroissance qui continuent à rejeter le dogme libéral. » On annonce Arthus-Bertrand en guest-star pour un prochain numéro…
En dernière page, point d’orgue adapté, un certain Philippe-Henri Lartimer, bien connu des cercles militants (il est, comme le claironne l’accroche, « consultant international en réforme des marchés des capitaux et professeur d’ingénierie financière » ; mazette, ça change des babos mous ; sa photo, genre je reviens direct des maldives bronzé et carnassier, quasi berlusconien, confirme la bonne impression donnée par l’intitulé) pond une chronique écolo-radicale intitulé : « Pour un consortium bancaire du durable. » Son développement est limpide, guidé par cette idée simple : « Il est temps que le Grand Capital s’invite dans la pensée écologique. »
« Que le grand capital s’invite dans la pensée écologique ? » Mon cher Philippe-Henri, tu en rêvais, Green Business l’a fait.
HS : (Lémi étant - une fois encore (mais il est toujours partis par monts et par vaux, cet animal…) - loin de toute connexion internet, il ne pourra participer à un éventuel débat sous ce billet.)