ARTICLE11
 
 

mercredi 6 août 2008

En Sueur

posté à 22h32, par PT
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Guerre, racisme et coups de boule contagieux : chic, la saison de football reprend !
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Ce n’est pas parce qu’on n’aime pas ça qu’il faut en dégoûter les autres. Refrain connu. Ce n’est pas non plus parce qu’on aime le football qu’on ne se sent pas parfois nauséeux. Tant il est vrai que le sport-roi connaît les crapules et les lâches. Une interview sans ronds de jambe à lire avec les deux yeux avant de regarder autrement les premiers matches de la saison.

L’écriture est une curieuse occupation qui vous entraîne sur des terrains où vous n’aviez pas spécialement décidé de poser les semelles. Vous pourriez en deviser avec Jean-François Patricola qui se proposait d’accoucher un « Dictionnaire des morts violentes dans l’art » et se retrouve à pondre un « Dictionnaire alternatif du football ». Les éditions Scali jugeant le sujet moins segmentant.

Eh bien tant pis pour le football, qui en prend pour son grade au gré d’un pavé épais de 300 pages, richement outillé, une invitation à la découverte des arrière-cuisines parfois peu ragoûtantes du sport-roi. Qu’on ne s’y trompe pas : Jean-François Patricola est un mordu du ballon, un fin connaisseur des choses de la gonfle, mais pas que. Critique littéraire, romancier, essayiste, il est l’auteur de l’impeccable « Houellebecq ou la provocation permanente », objet littéraire en charge du démontage en règle du mythe tricoté autour de l’écrivaillon-fétiche des bobos de « Technikart » - ce qui déjà devrait suffire à nous en éloigner.

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Juste avant la reprise du championnat, Article 11 a contacté ce drôle de zèbre, féroce comme un Gattuso, habile comme Zidane. Encore que Zidane… Et vous savez quoi ? C’est bon de ne pas se sentir seul.


On croit tout connaître du foot, et pourtant votre livre éclaire des territoires inexplorés, rend compte de faits et de drames étrangers à la mémoire collective.

Il y a derrière ces pages un travail de documentation colossal, auquel la presse n’a pas le temps ou pas le droit de se consacrer. Les journalistes ne disent pas toujours ce qu’ils veulent… Ce n’est pas un essai, plutôt un texte léger dans l’esprit de « So Foot »1. Je dresse des constats, comme pour le coup de boule de Zidane qui appuie la thèse selon laquelle le battement d’ailes du papilon au Japon déclenche un tremblement de terre en Californie. A la suite de ce geste, on a assisté à une recrudescence de violence sur les terrains de football amateur… et à une recrudescence de coups de boule.

Gaffe : il est risqué d’érafler l’icône…

Je le sais bien. Le football est une vitrine nationaliste, politique et économique. Tout le monde s’en empare, c’est un objet qui permet au plus grand nombre de discourir, de briller. Qui ose encore se dresser seul contre tous ? Celui qui s’y risque est considéré tel le fou du village. On ne l’écoute pas.

Revenons-en à Zidane. Pourquoi tant d’impunité le concernant ?

Parce qu’on ne touche pas à l’icône, on ne touche pas au drapeau. J’ai été frappé de lire le texte de Jean-Philippe Toussaint2, qui considère Zidane comme un dieu descendu sur le terrain auquel on pardonne tout. A ce compte-là, que dire de l’agression de Schumacher contre Battiston ?3 Quand vous posez la question, vous n’obtenez que le silence en retour.

« L’Equipe » a tenté de dénoncer le geste de Zidane dans un édito post-finale de Coupe du monde. Mais le lendemain, le même éditorialiste a présenté ses excuses…

C’est l’illustration de l’absence d’indépendance et d’éthique qui gouverne aussi le football. Dans un autre registre, je me souviens de la réaction d’Akhenaton, le chanteur d’IAM, qui expliquait que Zidane avait fini comme il avait commencé : en caïd des banlieues.

« Un dangereux repli identitaire »

Vous décrivez donc le football en tant que scène ouverte des déploiements nationalistes. Le phénomène va en s’accentuant ?

Ce n’est pas un phénomène nouveau. La sélection italienne a servi de vitrine au parti du pouvoir mussolinien, de même que la sélection allemande, s’affichant avec le blason représentant l’aigle impérial, a incarné le régime nazi. Dans les deux cas, on était dans la propagande clairement identifiée et déclarée. Aujourd’hui, les politiques occupent le football en espérant des retours sur investissement. A l’exemple de Chirac, dont la cote de popularité était au plus bas en 1998, mais qui a su surfer sur le déferlement black-blanc-beur d’après-Mondial. J’ai du mal avec les gens qui enfilent le maillot d’un pays. Je suis toujours surpris de voir chez moi, à Metz, des gamins aux couleurs de l’Italie, du Portugal ou d’autres équipes, alors qu’ils appartiennent à la troisième ou quatrième génération d’immigrés, n’ont aucune attache avec le pays, n’en connaissent pas la langue. C’est de mon point de vue l’expression du communautarisme, un dangereux repli identitaire.

L’ambiance autour du foot est en pleine mutation elle aussi. La manière avec laquelle l’UEFA a orchestré le dernier championnat d’Europe en est l’illustration. On a vidé les stades de leur effervescence originelle pour remplacer les supporters par un public aimablement conditionné, digne d’un plateau de télé. En gros : encouragez votre équipe, mais n’emmerdez pas le voisin…

C’est vrai, et ça ne date pas d’hier. Pour avoir vécu au Cameroun, je tenais absolument à voir jouer cette équipe lors du Mondial 98. J’ai assisté au match contre l’Autriche à Toulouse. A l’entrée du stade, les supporters camerounais étaient systématiquement dépouillés de leur équipement, tams-tams, djembés… Autant dire qu’on se privait volontairement de ce qui faisait le piment d’une ambiance africaine ! Bientôt on fabriquera des clones. Et on tuera tous les affreux, comme l’annonçait Boris Vian. Il ne faut plus voir qu’une tête, ça fait penser à la secte Moon. Il ne manque plus qu’un Jamel Debbouze pour assurer la claque dans le rôle du chauffeur de salle. On est dans une démarche de décérébration prononcée.

« On gave les gamins à l’entonnoir »

La télévision est la principale responsable ?

Souvenez-vous du dernier France - Italie pendant l’Euro ! Les commentaires étaient assurés par l’âne et le bœuf4. Roland, c’est l’archétype du Français moyen portant le béret vissé sur le crâne, la baguette coincée sous le bas, qui s’en va voter Front National. Et il s’exprime devant douze ou treize millions de téléspectateurs… Parce qu’ils sont dits à la vitesse de la lumière, les mots fusent sans qu’on ne prête plus attention à leur sens. Comme dans le clip de Pink Floyd : on gave les gamins à l’entonnoir. Les gens ont entendu ces propos, ils les répéteront. Le téléspectateur est pris de réflexes pavloviens.

Quel intérêt les chaînes auraient à changer leur façon de verbaliser le foot quand de toute façon les audiences enfoncent le plafond ?

Reprenons l’exemple de France - Italie. Tous le ingrédients d’une tragédie grecque sont réunis. Je parle de tragédie grecque, mais ça pourrait tout aussi bien être du Molière. Trois actes, la mécanique est là, universelle, accessible. Il est possible d’en proposer une lecture différente avec des mots simples. Au lieu de quoi, on se contente de borborygmes. On préfère dire la messe. Avec les mêmes sermons.

Le foot finira par nous tuer ?

Ne sommes-nous pas déjà morts ? Le foot tue, c’est certain5. Mais le football, c’est aussi un ballon d’oxygène quand on l’aime vraiment. Je prends plaisir à m’arrêter dans les villages pour assister à ces matches disputés sur un champ de patates et regarder les gestes du joueur du dimanche. C’est salutaire. On n’est pas tous obligé de croire que le foot, c’est deux gris-gris de Zidane dans un match et 90% de ballons perdus… Il faut réussir à se détacher de l’image qu’on lui a confectionnée et se persuader que chaque match est un recommencement, un éternel retour à l’enfance.



1 Avec « Les Cahiers du football », l’une des rares publications spécialisées chaudement recommandables.

2 La mélancolie de Zidane, éditions de Minuit

3 Lors de la demi-finale du Mondial 82, le gardien allemand avait effectué une sortie kamikaze sur le défenseur français, qui y laissa des dents et des côtes cassées. Victime de plus d’un traumatisme crânien, Battiston quitta le terrain. L’Allemagne s’imposa aux tirs au but à l’issue d’une rencontre pareille à un morceau de légende.

4 Alias Thierry Roland et Franck Lebœuf, accusés par leur confrère Denis Balbir d’avoir tenu ce soir-là des « propos racistes ». Accusations fondées.

5 Dans son livre, Jean-François Patricola fait le récit du match disputé en 1969 par le Honduras et le Salvador dans un climat de défiance réciproque entre deux pays ennemis intimes. La victoire du Salvador débouchera sur une guerre de quatre jours qui laissera 2000 morts, des milliers de blessés et 50 000 exilés.


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