jeudi 21 janvier 2010
Le Charançon Libéré
posté à 23h50, par
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Il est désormais la figure de proue du capitalisme moralisé ! En un geste d’un désintéressement admirable, Henri Proglio a balancé 450 000 € par la fenêtre, tirant un trait sur son salaire chez Veolia pour se contenter des miettes qu’EDF lui concède. Un geste d’autant plus remarquable qu’il donne l’apparence de mettre fin au scandale sans changer grand-chose à l’indécente réalité.
Le scénario est bien rodé, qui voit ce gouvernement (de combat) remporter (petite) victoire sur (petite) victoire alors même qu’il feint de reculer devant l’opinion publique et la pression médiatique.
Et il faudra faire un jour le compte des tous ces renoncements-qui-n’en-sont-pas-réellement.
Le scénario est bien rodé, disais-je, et il obéit aux mêmes impératifs que ceux faisant le succès d’un film hollywoodien - à budget égal, toutes choses se valant par ailleurs.
Ainsi : un, je fonce bille en avant, tout au culot ; deux, je courbe l’échine devant la réaction suscitée ; trois, je donne toutes les apparences d’une vive reculade sans rien lâcher d’autre sur le fond que quelques piécettes ; quatre, je savoure mon plaisir.
Et devine quoi ?
Ça marche super bien !
(Sais-tu ? Le grand Lao Tseu ne disait pas autre chose : « Quand l’idiot montre la Lune, le sage Proglio compte ses billets. »)
Adonques, tu n’as pu manquer la nouvelle : Henri Proglio tourne casaque.
Il recule.
Se sacrifie pour le bien commun.
Et consent royalement à faire une croix sur la plus maigrelette des deux rémunérations à avoir déclenché le scandale que tu n’as pu manquer (« sacrifiant » son salaire de 450 000 euros chez Veolia).
La nouvelle, publiée par Le Monde en fin d’après-midi, n’a pas manqué de susciter un retentissement mérité.
Et elle a provoqué un joyeux unanimisme médiatique, les journaux se poussant à qui mieux-mieux pour prouver combien la conjugaison du verbe « renoncer » n’a aucun secret pour eux1.
Ce n’est pas nouveau : les médias n’aiment rien tant que raconter de belles histoires - Story Telling en bandoulière - , surtout s’ils pensent avoir contribué à leur issue heureuse.
Et il ne fait guère de doutes qu’ils vont continuer à tartiner un brin sur l’ascétisme remarquable du nouveau patron d’EDF, maître yogi conjuguant goût de l’austérité monacale et sens inné des affaires.
Tout autant qu’il est certain que les politiques (de droite) vont leur coller à la roue, se félicitant d’un capitalisme si moralisé que ceux n’ayant d’autre ambition que de faire de l’argent consentent spontanément à en récolter un peu moins.
Ainsi de l’ûber-geek-icône Nathalie Kosciusko-Morizet, ambitieuse et froide politique de droite ayant réussi cet exploit de faire oublier qu’elle l’est, première à faire savoir publiquement sa satisfaction : « C’est un geste fort, un geste responsable, quelque part la confirmation qu’Henri Proglio est bien le bon choix pour une entreprise publique comme EDF », a t-elle claironné à peine la décision connue.
Et je me félicite avec elle de ce don de 450 000 € que Proglio a consenti à l’entreprise privée Veolia, plutôt que de réduire ses prétentions auprès de l’entreprise publique EDF.
Comme je me réjouis avec François Fillon de la « sagesse » de ce grand patron.
C’est chouette.
À cette apparente victoire, impression que Proglio se retire pour ne plus manger que du pain sec et de l’eau, sentiment que le grand patron loué par tous2 consent au plus massif des sacrifices financiers pour ne garder que le strict minimum, je voudrais apporter un léger correctif.
Et faire remarquer (ce qui ne t’aura pas échappé, j’en suis sûr) qu’Henri-l’austère-ermite conforte sa position davantage qu’il ne renonce à quelque chose.
La concession veolia-nesque n’ayant au fond d’autre but que de légitimer l’indécent salaire accordé au nouveau patron d’EDF.
Et d’autre ambition que de faire oublier l’augmentation de 45 % par rapport à son immédiat prédécesseur3.
C’est réussi.
Et je suis sûr qu’il n’est rien de mieux pour faire progresser le pouvoir d’achat.
Si la feuille de salaire du dirigeant d’EDF connaît une augmentation de 45 %, il en est (au moins) une autre dans la même entreprise à subir une variation aussi importante.
Quoique dans un sens inverse…
Agent de l’entreprise publique et militant CGT, Dominique Liot vient ainsi d’apprendre qu’il était « mis à pied 21 jours pour avoir rétabli en avril dernier le courant d’une famille de Rmistes privée d’électricité en raison de factures impayées ».
Une opération qu’il revendique, avec une classe certaine : « Je ne regrette rien. D’un côté, il y a des gens pauvres, qui ont encore besoin d’un peu d’énergie dans leur maison, et de l’autre, il y a des dirigeants qui foncent tête basse vers cette logique de folie, le libéralisme mondial. »
Je sais bien qu’il n’est rien à voir entre Dominique Liot et Henri Proglio.
Mais je ne peux m’empêcher de penser que toutes les sacrifices ne se valent pas.
1 Ainsi, pour les titres : Finalement, Henri Proglio renonce à 450 000 euros de salaire pour Le Post, Proglio renonce à son indemnité de Veolia pour Arrêt-Sur-Image, Le PDG d’EDF renonce à son salaire chez Veolia pour Le Monde, Proglio renonce à sa double rémunération pour Libération et Proglio renonce à son double salaire pour Le Figaro. J’arrête là la liste, mais elle pourrait se poursuivre ad vitam nauseam.
2 Avant l’annonce par Proglio de son « renoncement », les figures régimaires avaient fait part, avec un bel ensemble, de leur conviction que nul grand patron ne l’était autant que lui : il fait partie « des grands dirigeants de grande qualité de notre pays », soulignait le porte-parole du gouvernement, Luc Châtel, tandis que Patrick Devedjian, ministre de la Relance, mettait en avant les « succès » de l’intéressé ; ce « grand patron est un bon patron », justifiait Christian Estrosi, et Frédéric Lefèbvre, porte-parole de l’UMP, lui faisait écho en soulignant qu’« EDF mérite d’avoir à sa tête l’un des meilleurs ».
3 « Pierre Gadonneix émargeait à 1,1 million d’euros par an. Henri Proglio bénéficiera lui, pour la même fonction, d’une rémunération (fixe et variable) de 1,6 million d’euros annuels. Soit un généreux coup de pouce de 45% », constate Libération en sa rubrique Désintox.