jeudi 22 avril 2010
Le Charançon Libéré
posté à 21h14, par
22 commentaires
Un logiciel pour rendre justice ? Pour statuer sur la dangerosité des délinquants ? Le rêve… enfin : leur rêve. Avec le programme Predictive Analytics, testé en Floride et au Royaume-Uni, IBM ne réalise pas seulement le fantasme de tous les scénaristes hollywoodiens. Mais poursuit surtout l’un des objectifs de cette « société de contrainte » qui vient : prévoir et anticiper les délits.
Je fais chaque jeudi une petite chronique sur la radio libre FPP, à 12 h 15. Comme d’habitude, je te la copie-colle ici.
Je ne voudrais surtout pas me mêler de ce qui ne me regarde pas.
Ni te donner, Ami, des conseils que tu n’as pas demandés.
Mais je serais toi, je profiterais au maximum du temps présent.
Parce que demain s’annonce encore plus sombre et triste qu’aujourd’hui.
Que ce demain-ci va arriver à grande vitesse - en moins de temps qu’il n’en faut à une nuée de cendres islandaises pour bloquer toutes les routes aériennes mondiales
Qu’il va débarquer avec des gros sabots.
Et qu’il va sérieusement te latter la tronche au passage.
Je voudrais ici te citer un extrait d’une conférence donnée à Amiens il y a quelques mois par Pièce et Main d’Œuvre1, un collectif de lutte contre les nanotechnologies, aux analyses précieuses quand il s’agit de pointer cette « société de surveillance » qui est déjà la nôtre, cette « société de contrainte » qui nous attend.
Donc :
« L’idée de nous faire vivre dans un environnement totalement informatisé n’est pas de la science-fiction. Elle est – par exemple – portée par un groupe comme IBM, qui a récemment fait de la publicité dans les journaux pour « une planète intelligente ». Pour ces gens, cette notion d’intelligence est synonyme de communication, c’est-à-dire la capacité d’enregistrer des données et de les diffuser. Tout doit être monitoré, géré par ces puces communicantes. Il s’agit de supprimer tout ce qui fait friction, de tout lisser pour davantage de fluidité. De façon très sérieuse, IBM assure que la police sera demain capable d’anticiper les délits en supprimant l’impromptu, la surprise, l’inconnu. »
Pour être honnête, et malgré tout la confiance que j’accorde à Pièce et Main d’Œuvre, je n’avais pas pris au sérieux la fin de ce passage.
Que la police puisse prétendre anticiper des délits ?
Cela faisait trop film hollywoodien, trop caricaturalement Meilleur des mondes pour que j’y croie vraiment.
Je reste un grand naïf…
Quand à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne et chauffent déjà les microprocesseurs, je suis tombé sur un article du Monde titré « Un logiciel d’aide à la décision pour la justice » et évoquant Predictive Analytics, logiciel conçu par IBM, j’ai tout de suite - tu l’imagines - songé à Pièce et Main d’Œuvre.
Tant ce papier confirme exactement ce que disaient les membres du collectif.
Que je te résume les choses : Predictive Analytics prétend réaliser un suivi des délinquants pour calculer leurs risques de récidive.
A pour ambition, à en croire l’un de ses responsables et selon le site Clubic, de « donner au système de justice pénale la possibilité de puiser dans les bases de données riches pour détecter les tendances, faire des projections fiables, et prendre des mesures appropriées en temps réel pour combattre le crime et protéger les citoyens ».
Et devrait fournir aux gouvernements du monde entier, d’après ce même responsable, un « moyen pour créer des communautés plus sûres via l’identification, la prévision, l’intervention et la prévention des activités criminelles ».
Tu as bien lu : le mec parle de « prévention » et de « prévision » des activités criminelles.
On y est…
Pour te rassurer, tu te dis peut-être - je l’ai fait moi-même - que ce n’est là encore qu’un logiciel en travail, un programme à l’étude.
Erreur : le dernier-né d’IBM est déjà utilisé en Floride, où il sert depuis quelques jours à estimer les chances de récidive d’un mineur délinquant et à « recommander » (et non pas encore « décider ») des solutions de placement.
Et il est aussi testé au Royaume-Uni, le ministère de la Justice l’utilisant pour évaluer la probabilité de récidive des détenus (adultes) après leur libération.
Voilà.
Je ne sais pas si ça te fait le même effet qu’à moi.
Mais une telle annonce me file de sévères angoisses, ainsi qu’une sérieuse envie de dégommer tout ce qui, de près ou de loin, peut porter un logo IBM.
Je ne devrais pas être surpris, pourtant.
Et il suffit de se souvenir qu’IBM est l’entreprise qui a fourni, dans les années 1930 et par l’intermédiaire de sa filiale allemande Dehomag, les machines mécanographiques de poinçonnage de cartes perforées que le régime nazi a utilisées pour de multiples recensements2.
Que c’est sur des machines IBM que les Nazis ont compté, re-compté et encore re-compté les Juifs dans les ghettos et dans les les camps de concentration, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Et que c’est un numéro d’immatriculation conçu par IBM que les mêmes Nazis ont tatoué, dans un premier temps, sur les bras des prisonniers de leurs camps.
IBM a ainsi joué, contre monnaie sonnante et trébuchante, un rôle essentiel dans la Shoah.
Et cette collaboration lui a largement profité : tout au long des années 30, l’Allemagne a été la plus rentable de ses filiales.
Ce qui - tu l’avoueras - donne la parfaite mesure de l’absence totale d’intégrité qu’il convient d’attendre de la part d’une telle multinationale.
Demain s’annonce noir et sombre, disais-je.
Mais ce n’est sans doute pas la seule des conclusions à tirer de ce modeste billet.
Plus essentielle encore est cette conviction que les multinationales – qu’elles se prénomment IBM, Monsanto, Goldman Sachs ou Total – doivent devenir cible de notre courroux, de notre rage et de notre colère.
Ainsi que cette certitude qu’il faut simplement anéantir celles que Noam Chomsky qualifie d’ « institutions totalitaires », firmes sans morale, ni scrupules, mais disposant d’une incroyable capacité de nuisance.
Parce que si on ne les détruit pas, elles vont nous bouffer.
Tout cru.