lundi 2 novembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 13h35, par
23 commentaires
Il ne manquait plus que lui… Après Éric Besson et les satrapes de l’UMP, après Ségolène Royal et les patriocards de gauche, voici le peuple qui se raboule dans le fallacieux débat sur l’identité nationale. Et pas qu’un peu : à en croire le sinistre ministériel en charge de la question, celui-ci s’est carrément « saisi du débat », avec enthousiasme et pétulance. Pour un peu, on y croirait…
Le peuple a bien des vertus.
Et la moindre n’est pas de servir indistinctement - à l’occasion et selon le sens du vent - de caution et de repoussoir.
Un jour infâme et triste réalité collective, lâchant la bride à ses plus bas instincts et incapable de se déterminer clairement sur les questions engageant son avenir ; le peuple est sale et idiot1.
Le lendemain glorieuse et salutaire entité, planant haut au-dessus du débat et se mouvant sans qu’on la guide, si fière incarnation de l’esprit commun qu’elle lit comme en un livre ouvert dans les complexes attendus du débat ; le peuple est clairvoyant et lumineux2.
Deux faces - légitimité populaire ou indignité populiste - d’une même médaille, représentation fantasmée du peuple n’ayant d’autre utilité que de justifier - chez ceux qui l’agitent - leurs postures politiciennes.
Pour eux, le peuple est tout, un versant et son contraire.
Et c’est le meilleur moyen de prouver qu’au fond il n’est rien, sinon un alibi bidon dissimulant mal un très profond mépris.
Tu ne seras donc pas surpris d’apprendre que, à en croire Éric Besson, le « peuple français s’est déjà saisi du débat » sur l’identité nationale.
[Seulement « saisi » ? Foin de tiédeur : il l’a carrément empoigné à bras-le-corps, ce foutu débat. Pour te dire : ce matin, ma boulangère m’a demandé ma carte d’identité avant de me refiler une baguette…]
Et même, précise le ministre qui s’appuie sur quelques sondages incohérents3 : « Il a envie qu’il ait lieu ».
[Clair : on est chaud, on est chaud, on est chaud ! Marine, accroche-oi : le peuple français se radine dans ton pré-carré !]
Tellement envie qu’il n’est pas loin de rejouer la prise de la Bastille et que - n’en doute pas - de longues cohortes de Français ne tarderont pas à se pencher sur cette nouvelle mouture des cahiers de doléance, version identitaire, numérique (ICI : c’est quand même chouette, le web 2.0…)et sous-préfecturarisée : « Les élites peuvent toujours dire ce qu’elles souhaitent, le peuple s’est déjà saisi du débat dans les blogs, sur les radios », a aussi asséné l’affreux.
Adoncquqes, que je te résume ce qu’il faut comprendre : le peuple justifie la basse manœuvre électoraliste, internet certifie la vitalité du débat démocratique et une prétendue fracture avec les élites enrobe l’ensemble, histoire de bien faire passer la pilule.
En sorte que - si tu n’avais guère de mémoire - tu pourrais aisément oublier que les petits copains d’Éric Besson sont ceux-là mêmes qui ne rêvent que de faire taire les débats sur le net et « dans les blogs », que nulle mieux que la majorité à laquelle il appartient n’aura - sur ces dernières cinquante années d’histoire politique française - incarné la coupure d’une élite népotico-consanguine avec la masse de ses concitoyens, que les satrapes de l’UMP n’ont pas eu, ces dernières semaines, de mots assez durs pour s’en prendre à un supposé sentiment populaire ne rêvant rien tant que de fesser Frédéric Mitterrand et Jean Sarkozy, et que le peuple n’existe chez eux que quand il s’agit de jouer avec sa part la plus sombre, celle qui monta à l’assaut d’une élection présidentielle - un jour d’avril 2002 - le couteau entre les dents et le bulletin lepéniste sur le cœur.
Bref, tu le sens : il y a comme une contradiction dans le couscous…
Je te l’accorde : cette déclaration d’Éric Besson, mensongère référence au peuple, n’est qu’anecdotique manipulation ; juste une de plus en un monceau de semblables.
Et point ne faudrait attacher trop de sens - fut-il caché - aux phrases d’un homme ayant compris que remplir parfaitement son rôle d’’abominable était sa meilleure garantie de longévité politique4 .
Mais quand même : cette façon de tordre, en tous sens et au mépris d’une quelconque réalité, la notion de peuple est fort révélatrice.
Ne serait-ce que pour une bonne raison : quand le peuple n’est rien d’autre qu’un argumentaire de campagne, la nation elle-même - peu importe que tu attaches grande considération à ce terme ; en ce qui me concerne, il m’horripile grave - se trouve ravalée au rang de vide coquille puante, parfait réceptacle pour les prises de position les plus immondes.
Tant, si le peuple peut éventuellement faire la nation (il est quelques occurrences historiques où il l’a fait, sans doute ; depuis, nous ne vivons que dans la naphtaline de ces moments-là), sa représentation fantasmée par l’UMP n’est même pas suffisante à justifier l’existence d’un débat sur la question.
C’est là - au fond - ma seule conviction : le peuple n’existe pas tant qu’il se laisse cantonner, par Besson et ses comparses, à une honteuse ombre de lui-même ; il ne prendra réellement corps que lorsqu’il mettra bas manipulateurs et fielleux autocrates.
En clair : la nation n’est rien, le peuple est tout.
Et celui-ci va - un de ces jours - te la mettre sévère, Éric.
1 À titre d’exemple, le peuple français s’est trouvé fort sale et idiot ce triste jour de 2005 où il s’est refusé à voter la Constitution européenne.
2 À titre d’exemple toujours - mais quel didactisme ! - , le peuple français s’est montré très clairvoyant et lumineux ce jour béni de 2007 où il s’est choisi le royal meneur de revue pour conducteur suprême.
3 Selon un sondage BVA, une majorité jugerait la tenue d’un débat sur l’identité nationale « important » et une autre majorité estimerait qu’il s’agit avant tout d’une tactique électorale « visant à mobiliser les électeurs de droite en vue des élections régionales ».Comment ? Pas logique ? Rhôôôô…
4 Parfaite illustration - même si de façon très tortueuse et indirecte - le grand nombre de billets qui lui ont été consacré sur ce site. Promis : demain, j’arrête.