lundi 9 septembre 2013
Inactualités
posté à 21h45, par
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Partout, des communautés humaines, réunissant gens du cru et d’ailleurs, s’insurgent contre l’exploitation capitaliste du temps et de l’espace. La résistance aux aménageurs libère d’autres possibles pour la planète. Premier volet d’un texte en trois parties.
Ce texte a été publié dans le numéro 11 de la version papier d’Article11, imprimé en mars 2013. C’est le premier opus d’une série en trois parties, intitulée « Une Zone à Défendre : La planète ». Les épisodes 2 (« Richesse des possibles dans les luttes de territoire », n°12) et 3 (« Le retour des délocalisés », n°13) seront mis en ligne sur le site dans les jours à venir.
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Du Val de Suse au Cotentin, des vallées basques à la Crête, de la Calabre aux forêts de la région de Moscou, des centaines de milliers de personnes se sont mises en mouvement ces dernières années pour s’opposer à des projets détruisant des territoires et les modes de vie qui s’y étaient développés. Si on leur adjoint les paysans et citadins luttant de l’Inde à l’Équateur contre l’accaparement des terres, les villageois en lutte contre l’appropriation des forêts au Cambodge ou les habitants chassés de leurs quartiers en Chine, on peut même affirmer que ces mouvements d’opposition concernent des millions de gens.
De telles manifestations de résistance ne sont certes pas nouvelles. On n’a pas oublié le Larzac, on peut aussi découvrir la lutte de la vallée de la Bormida, située entre Ligurie et Piémont. Ignoré en France, presque oublié en Italie, ce combat des habitants du coin contre une fabrique d’explosifs (devenue ensuite usine de produits chimiques) a duré 117 ans, de la fondation de l’établissement à sa fermeture en 19991. Si ce mouvement a suscité des solidarités en Italie, il n’a rien connu de comparable à ce qui s’est passé l’an passé quand, dans la vallée de Suse, un jardinier a été électrocuté en tentant d’échapper aux policiers. Le drame s’est déroulé le 27 février, lors d’une action de résistance aux expropriations du chantier du TAV – le TGV Lyon-Turin. Il a déclenché une réaction de solidarité de grande ampleur dans la péninsule (manifestations spontanées dans une dizaine de villes, blocages de gares ou du périphérique…). Il faut dire que, deux jours avant l’« accident » de Luca, 100 000 personnes avaient défilé dans la vallée.
Il s’est passé quelque chose de comparable en France – à une moindre échelle – après les premières expulsions qui ont frappé la ZAD à Notre-Dame-des-Landes. Solidarité de centaines de personnes apportant de la nourriture et du matériel, imposante manifestation du 14 novembre, affrontements à répétition… Les événements ont pris une telle ampleur que le gouvernement, et en particulier son chef (qui en fait une affaire personnelle), a dû lâcher du lest. L’issue de la manÅ“uvre consistant à créer une « commission de dialogue » dépendra du rapport de force que les opposants à l’aéroport réussiront à créer au terme de quelques mois de trêves.
Si tant de gens s’identifient aux combats de la vallée de Suse ou de Notre-Dame-des-Landes, c’est pour une raison semblable à celle qui avait attiré des dizaines de milliers de personnes dans les rassemblements du Larzac. Le refus de l’arbitraire étatique, quand il prend, sur un territoire donné, suffisamment de force pour tenir dans le temps, offre un espace à la fois géographique et symbolique où peuvent confluer tous les combats contre les commandements d’en haut qui pourrissent la vie des gens d’en bas. Étudiants refusant la énième transformation néo-libérale de l’enseignement, ouvriers opposés à la destruction du droit du travail, activistes divers... Les manifestants ont afflué dans la vallée de Suse parce qu’ils y trouvaient ce qu’ils ont besoin de construire pour eux-mêmes : une puissance. Cette dernière s’ancre dans la réalité d’un territoire, c’est-à -dire la rencontre d’un sol et des hommes qui l’habitent, et de tout ce que cette rencontre a produit : paysage, productions matérielles, relations humaines, imaginaire, etc. Le caractère concret d’un lieu précis tranche avec l’abstraction des lieux de pouvoirs, bureaux disséminés de Rome à Bruxelles, couloirs des multinationales, arrière-boutiques des mafias et des partis, et jusqu’aux hauteurs dématérialisées des échanges électroniques de la finance mondialisée – le bruit de fond de ce réseau des pouvoirs ultimes qu’il est tout de même bien pratique d’appeler l’Empire.
Les ouvriers qui refusent la délocalisation de leur usine sont eux aussi confrontés à l’Empire et à la difficulté de lui donner un visage. Mais ils se trouvent en position de faiblesse : on leur a annoncé que cet espace où leur vie se valorisait par le travail ne vaut plus rien. Par conséquent, leur vie non plus. Pathétique spectacle des ouvriers occupant une usine qui doit fermer ! Impasse de travailleurs en quête d’un repreneur, c’est-à -dire d’un nouvel exploiteur qui consente à les exploiter ! Les plus radicaux peuvent, par quelques saccages opportuns et prises à partie de politiciens, obtenir un peu de thune pour aller se faire voir ailleurs. Car là où ils sont, ils ne sont plus rien. Le délocalisé est ainsi renvoyé à la condition du prolétaire absolu puisque de sa seule richesse, sa force de travail, personne ne veut. Il ne peut même plus dire qu’il n’a à perdre que ses chaînes : ça fait longtemps que ces dernières ont été revendues aux Chinois ou aux Bulgares.
La puissance des luttes de territoire tient au contraire à ce qu’elles s’appuient sur des lieux indispensables à la délocalisation : en les occupant, nous la bloquons. Pour que fonctionne une société fondée sur la parcellisation de la production, la fabrication à bas prix et la circulation incessante (de l’information, de la finance, des gens et produits), il faut qu’existent des lieux concrets par où les flux passent. Il faut des aéroports pour que les dirigeants et les touristes low cost décollent. Il faut des tunnels de 57 kilomètres pour que les managers aillent plus vite de Lyon à Turin. Il faut la LGV (ligne à grande vitesse) Poitiers-Limoges pour que le capital circule2. C’est là que les luttes de territoire contemporaines se distinguent de celles d’autrefois, dont le moteur essentiel restait le refus de l’autoritarisme étatique : aujourd’hui, c’est tout un monde qu’elles remettent en cause.
Pour préciser le visage de ce monde à combattre, lisons le 4e numéro de la revue Territoires 2040, éditée par la DATAR3. Dans l’introduction, trois points retiennent l’attention : 1 - Il est primordial d’accepter l’inéluctabilité de l’innovation dictée par la technoscience et les nécessités économiques. 2 – La leçon de Fukushima, ce n’est pas qu’il faut empêcher les catastrophes, mais y préparer les populations. 3 – On va vers un monde où se développera la ségrégation spatiale : communautés ultrasécurisées pour les riches, ghettos pour les pauvres…
L’espace de l’avenir est ensuite esquissé à grand renfort de cartes, fictions et scénarios. Il se présente ainsi : quelques métropoles produisent la valeur, bien séparées de ces terrains vagues où survivent les populations dévalorisées. Les zones séparant les cités sont réservées aux axes de circulations, aux barrages ou aux centrales alimentant les villes - ce que ces aménageurs appellent les Grands Projets.
« Contre l’aéroport et son monde » : C’est au moins autant pour la deuxième partie du slogan que pour la première que des milliers de gens ont pataugé dans la gadoue du bocage nantais. Et c’est parce qu’ils sentent que c’est tout un mode de vie qui veut percer la montagne que des milliers d’autres sont venus dans la vallée de Suse. Le plus fort, c’est qu’en s’opposant à un monde, ils sont en train d’en créer un autre.
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NDLR : Cet article est illustré en page d’accueil par un détail d’une Å“uvre de Marcel Dzama, peintre canadien contemporain.
1 Voir l’ouvrage de Patricia Dao, Bormida (Oxybia Editions) ; ainsi que l’entretien de l’auteur publié sur le site d’Article11 en date du 27 février 2013.
2 Le président du Conseil régional du Limousin déclarait récemment : « C’est l’attractivité du Limousin qui est en jeu. Quand une entreprise veut faire venir des cadres, organise une réunion avec des clients, la question de la LGV remonte systématiquement. » Cité par l’excellent Le Communard – un peu de cassis dans beaucoup de rouge – depuis la montagne limousine. Pour commander le journal, qui contient aussi d’intéressantes réflexions sur la ZAD : lecommunard@riseup.net .
3 Direction à l’aménagement du territoire.