mardi 23 mars 2010
Le Charançon Libéré
posté à 15h20, par
14 commentaires
Des revendications fermes ? Une pression de la rue ? Un bras-de-fer avec le régime ? Oh-là, ne t’emballe pas… A chaque journée (de mobilisation) suffit sa peine. Aujourd’hui, selon Bernard Thibault, il s’agit d’abord d’« obtenir des inflexions » et d’organiser « un nouveau sommet social » à l’Elysée. Que veux-tu ? C’est ainsi que progresse le dialogue social. En douceur. Tout en douceur…
En l’excellent dossier que l’excellent (bis) journal d’enquête sociale Fakir a consacré il y a cinq mois à l’imposture syndicale, (l’excellent (ter)) François Ruffin partait en chasse.
Arpentait les lieux de lutte de France et de Navarre - Continental, Goodyear, Caterpillar…
Et y cherchait trace de Bernard Thibault, concessionnaire en détail, demi-gros et gros à temps plein, coiffeur au bol à temps partiel et représentant syndical un week-end sur deux (le divorce avec la classe ouvrière s’étant déroulé à l’amiable, le juge lui a généreusement accordé quelques heures de visite).
Une longue quête.
Infructueuse, très.
Et qui laissait le lecteur sur ce sentiment que Bernard Thibault était une fiction, baudruche syndicale sans existence, apparatchik ayant depuis si longtemps déserté le combat de ceux qu’il est censé représenter qu’il est devenu un mythe ridicule, à même de faire passer le monstre du Loch Ness pour une certitude scientifique à la Descartes - je le vois, donc je suis.
Bref, de quoi faire mentir la chanson :
Y’en a même qui disent qu’ils l’ont vu militer
(Si, si…)
En complément de cet excellent (quater) papier - que je te conseille fortement d’aller lire sur le site de Fakir - , compte avait été dressé des récents déplacements de Bernard Thibault, à l’Élysée ou dans les usines.
Tu sais quoi ?
Entre le 1er janvier et le 1er juillet 2009, Bernard Thibault - et Mailly ou Chérèque itou - n’est pas allé une seule fois soutenir les travailleurs de Goodyear (en lutte), les ouvriers de Continental (en lutte) ou les employés de Caterpillar (en lutte).
Dans le même laps de temps, Bernard Thibault - et Mailly ou Chérèque pareil - s’est rendu huit fois à l’Élysée, pour de joyeuses et très constructives rencontres avec Nicolas Sarkozy2.
Un décompte qui t’amènera forcément à cette - sévère mais juste - conclusion3 que Bernard Thibault n’aime rien tant qu’agiter sa courte crinière sous les lambris présidentiels - pour faire avancer le dialogue social.
Et que le même répugne un brin à aller manger des merguez et agiter le poing avec les salariés en lutte, fussent-ils de ceusses qui le financent, avec leurs adhésions, et lui donnent sa (prétendue) légitimité.
Que veux-tu ?
Il est de notoriété publique que les cuisines de l’Élysée sont (un peu et en général) mieux achalandées que les paniers pique-niques des grévistes.
Et il se murmure même qu’elles ont goût certain de « revenez-y ».
D’ailleurs : « Je pense qu’il serait logique que très rapidement le président de la République, qui l’avait un temps envisagé, convoque de nouveau un sommet social pour faire le point de la situation en matière d’emploi, d’orientation économique et sociale, en matière de pouvoir d’achat pour prendre des décisions concrètes d’application rapide », a déclaré le dirigeant cégétiste ce matin.
Encore un ?
Pour le coup, c’est de la gourmandise…
Et il faut que Bernard se méfie s’il ne veut pas qu’on dise bientôt de lui : La fourchette à gauche, le portefeuille à droite4.
De la mollesse centriste érigée en porte-étendard syndical, je n’ai pas grand-chose à dire que tu ne saches déjà ; celle-ci te révulse autant que moi.
Je constate juste que l’échec garanti de la journée de mobilisation d’aujourd’hui - comment pourrait-il en être autrement ? - sert grandement les intérêts de ceux qui n’envisagent la contestation que par le biais de sommets sociaux.
Et je suis certain que Nicolas Sarkozy et Bernard Thibault tireront un semblable constat de ces manifestations qui s’annoncent clairsemées : tout-va-bien-la-rue-est-calme-ne-changeons-rien.
Je parie aussi que la journée d’aujourd’hui ne changera rien à ce joyeux constat présidentiel dressé en janvier, à propos de ses rapports fructueux avec les syndicats : « Je ne crois pas, que dans notre histoire sociale, nous ayons jamais connu un dialogue aussi fréquent et aussi dense. »
Et je note enfin que Bernard Thibault, ce matin sur Europe1, a su trouver ces mots durs et combatifs qu’attend la population d’un leader syndical en situation de crise : « La question n’est pas de durcir (le mouvement) mais d’obtenir des inflexions en matière économique et sociale », a violemment martelé Nanard, avant de se montrer tout aussi incisif sur la question des retraites : « Une vraie bonne réforme des retraites peut passer en quinze jours. »
Obtenir des inflexions en matière économique et sociale…
Quand la trahison syndicale s’habille aussi clairement du langage technocratique de la pondération, il ne te reste guère d’autre alternative que de considérer la CGT pour ce qu’elle est : une antenne du Modem.
Sur ce, je te laisse : j’ai aérobic.
Hop : inflexion… extension !
1 Ceci est un excellent dessin de l’ami Fabian paru dans Fakir. Note que je ne lui ai même pas demandé son avis avant de le lui piquer.
2 Pour « la prévention des restructurations », pour un « sommet social », pour les « vœux aux partenaires sociaux », pour un autre « sommet social », etc etc…
3 As-tu mauvais esprit, quand même…
4 Sur le modèle, tu l’auras compris, de cette célèbre phrase pour décrire les radicaux-socialistes : « Le coeur à gauche, le portefeuille à droite ».
5 Ceci est un excellent dessin de l’ami Colloghan paru dans Fakir. Note que je ne lui ai même pas demandé son avis avant de le lui piquer.